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Le sultan Moulay Ismail a-t-il vraiment demandé la main de fille du roi Louis XIV ?


Peu d’anecdotes dans l’histoire diplomatique franco-marocaine ont autant captivé l’imagination que la prétendue demande en mariage du sultan Moulay Ismaïl à la fille du roi français Louis XIV. Dans le contexte géopolitique du XVIIe siècle, cet épisode intrigant a suscité l’intérêt de nombreux historiens, en plus d’alimenter les spéculations romantiques les plus improbables.

Moulay Ismaïl, qui a régné sur le Maroc de 1672 à 1727, est un contemporain de Louis XIV, dit le Roi Soleil en France. En 1698, après 22 ans de règne, le sultan marocain a envoyé son ambassadeur, Abdellah Benaïcha, à Versailles. Ancien corsaire devenu diplomate, l’homme a été chargé de négocier un traité bilatéral.

Sultan Moulay Ismail du Maroc. / Ph. DRSultan Moulay Ismail du Maroc. / Ph. DR

Le Bal au Château de Saint-Cloud

Lors de son séjour en France, l’émissaire marocain prend part à un bal au château de Saint-Cloud, organisé par Philippe d’Orléans, frère du roi Louis XIV. C’est là qu’il rencontre pour la première fois Marie-Anne de Bourbon, princesse de Conti, fille légitimée de Louis XIV et de sa favorite, Louise de La Vallière.

Dans l’émission Secrets d’Histoire sur France 2, l’historien Michel de Decker a décrit Marie-Anne comme une figure captivante. «Elle était fine, élancée, elle dansait admirablement. Elle avait de l’allure… Toute la cour était en émoi, dès son apparition». La veuve de 32 ans, également connue sous le nom de Mademoiselle de Blois, a fait forme impression auprès de l’ambassadeur du Maroc.

Selon l’historienne Clémentine Portier-Kaltenbach, Benaïcha «nourrissait ce rêve fou de voir son sultan épouser la fille de l’empereur d’Europe, l’empereur des Français, Louis XIV». Pour autant, l’admiration de l’ambassadeur pour la princesse n’a rien de sentimental. Elle est plutôt motivée par une ambition diplomatique.

A son retour au Maroc, Benaïcha régale le sultan Moulay Ismaïl d’anecdotes sur la beauté et la grâce de la princesse. Intrigué par la perspective d’une alliance stratégique avec la France, le sultan prend le temps d’y réfléchir. Malgré un harem conséquent à son actif, composé de 500 concubines qui lui auraient donné près de 1 000 enfants, Moulay Ismaïl voit dans une telle union des avantages politiques conséquents.

L’ambassadeur du Maroc en France Abdallah Benaïcha. / DRL’ambassadeur du Maroc en France Abdallah Benaïcha. / DR

Les récits historiques autour d’une proposition en mariage

Dans son ouvrage «المنزع اللطيف في مفاخر المولى إسماعيل بن الشريف» (Le chemin délicat dans les gloires de Moulay Ismail ibn Sharif), l’historien marocain Abd al-Rahman ibn Zaydan (1873 – 1946) donne un aperçu de cette ouverture diplomatique. Selon l’auteur, le sultan aurait chargé Benaïcha de présenter en son nom une demande en mariage à Louis XIV.

Selon le récit d’Ibn Zaydan, la proposition a été formulée dans une lettre que Benaïcha aurait dictée en espagnol et fait traduire vers le français. La missive, datée du 14 novembre 1699, souligne : «Notre seigneur le Sultan m’a ordonné que si la réponse du roi de France est conforme à ce qui est contenu dans cette lettre, je m’embarquerai sur tout navire français accostant au port de Salé ou ailleurs, pour me rendre auprès de Sa Majesté, cet auguste roi».

L’écrit enchaîne sur le désir de Moulay Ismaïl de «conclure une alliance avec le plus estimé et le plus grand des rois, et de lui permettre l’entrée dans tous les ports de l’Empire chérifien (Maroc) et toutes ses villes et régions, ainsi qu’à tous ses sujets».

Des interprétations historiques contradictoires

Cependant, la véracité de cette proposition et sa réception à la cour de France ont fait l’objet de débats parmi les historiens. Comme dans le livre «Le Maroc : géographie, histoire, mise en valeur» de Victor Piquet, certains suggèrent que la proposition a été accueillie avec dérision et indignation, ce qui aurait poussé Louis XIV à répondre en invitant Moulay Ismaïl à se convertir au christianisme.

Abd al-Rahman ibn Zaydan présente quant à lui une version plus nuancée. Il cite des historiens français proches de Louis XIV, affirmant que le roi français aurait été contraint de décliner poliment la proposition, invoquant comme raison officielle des différences culturelles. Officieusement, le monarque aurait été réticent à cause des pratiques polygames de Moulay Ismail et aux rumeurs sur sa sévérité et sa forte personnalité.

Toujours est-il que cette histoire a acquis une telle notoriété dans les cercles royaux français qu’elle a inspiré au poète Jean-Baptiste Rousseau des vers pour la princesse, faisant l’éloge de sa beauté et de sa grâce. Mais de leur côté, les historiens marocains ont mis en doute encore plus l’authenticité de cette demande en mariage.

Dans son livre «قراءة جديدة في تاريخ المغرب العربي: عهد الإمبراطورية» (Une nouvelle lecture de l’histoire du Maghreb arabe : l’ère de l’Empire), Abdelkarim Ghallab réfute ce précédent et le qualifie de mythe attribué au récit historique. Abd al-Rahman ibn Zaydan, sans nier catégoriquement la véracité des faits, reste sceptique quant à la manière dont ils se seraient déroulés réellement.

Quant à Abdelhadi Tazi, son ouvrage «التاريخ الدبلوماسي للمغرب الأقصى: من أقدم العصور إلى اليوم» (L’Histoire diplomatique du Maroc : de l’Antiquité à nos jours) propose une interprétation différente. Il suggère que la demande en mariage aurait pu être une manœuvre diplomatique, visant à améliorer les relations avec la France, alors au bord d’une rupture.

Cette histoire a marqué aussi la culture populaire. Deux siècles et demi plus tard, elle a inspiré à l’autrice Anne Golon un roman dans le cadre d’une série littéraire, «Angélique, marquise des Anges». L’opus littéraire a été immortalisé à travers un opus cinématographique, réalisé par Michèle Mercier. L’un des films de cette série culte des années 1960, fréquemment rediffusée à la télévision française, s’intitule «Angélique et le Sultan».

La diplomatie marocaine aux XVIIe et XVIIIe siècles

L’histoire évoque également le contexte plus large de la diplomatie maroco-européenne aux XVIIe et XVIIIe siècles. Dans son ouvrage encyclopédique, l’historien marocain Abdullah Farid al-Wajdi fournit de précieuses indications sur les capacités diplomatiques du Maroc à cette époque. Il décrit de nombreux exemples d’envoyés marocains démontrant une maîtrise des langues étrangères et des protocoles, remettant en cause l’idée selon laquelle la diplomatie marocaine serait inférieure à celle de ses homologues européennes.

L’ambassade du Maroc auprès de la reine Victoria d’Angleterre, en 1860, en est un exemple. Le récit détaillé de cette mission diplomatique, tel que consigné par Mohammed Tahar al-Fassi, révèle la haute estime dans laquelle les diplomates marocains ont été tenus. La reine se serait levée pour accueillir la délégation, exprimant sa joie et s’enquérant des nouvelles du sultan.

Réalité, fiction ou stratégie diplomatique ?

Dans le mausolée de Moulay Ismaïl à Meknès, quatre horloges comtoises témoignent silencieusement de cet épisode historique. La légende raconte qu’il s’agirait de cadeaux du Roi Soleil, Louis XIV, en compensation de son refus d’accorder la main de la belle Marie-Anne au sultan marocain.

Même si la vérité derrière la proposition de Moulay Ismail ne sera peut-être jamais définitivement établie, cet épisode continue de fasciner les historiens et le public. Elle rappelle l’interaction complexe entre diplomatie, culture et ambitions personnelles, dans une dynamique qui caractérise depuis longtemps les relations internationales.

Le mausolée du sultan Moulay Ismail à Meknès : Deux horloges en bois qui seraient un cadeau du roi Louis XIV au sultan Moulay Ismail / DR.Le mausolée du sultan Moulay Ismail à Meknès : Deux horloges en bois qui seraient un cadeau du roi Louis XIV au sultan Moulay Ismail / DR.

En réfléchissant à cette curieuse histoire, nous nous souvenons des propos de l’historien marocain Abdelhadi Tazi, qui suggère que tout cet épisode pourrait avoir été une habile manœuvre diplomatique. Dans le labyrinthe complexe de la géopolitique du XVIIe siècle, la véritable signification de ce précédent ne réside peut-être pas dans sa véracité littérale, mais dans ce qu’il révèle des stratégies diplomatiques et des perceptions culturelles de l’époque.

La saga de Moulay Ismaïl et de la princesse de Conti, qu’elle soit un fait historique ou un mythe diplomatique, reste un chapitre captivant de la longue et complexe histoire des relations franco-marocaines. Elle continue d’inspirer le débat, la recherche et l’imagination, mettant en avant la fascination durable pour l’intersection du pouvoir, de la politique et de l’amour dans les annales des siècles passés.





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