Entre le 14 et 16 août 1912, quelques mois seulement après la conclusion du «Traité pour l’organisation du protectorat français dans l’empire chérifien», la France coloniale assistera à une première démonstration des forces de la résistance marocaine. Ce jour-là, Cheikh Ahmed Al Hiba parvient à conquérir Marrakech où il sera accueilli avec des youyous pour s’autoproclamer sultan du Maroc. Son soulèvement motivera durant plusieurs années la résistance nationale, notamment celle des Amazighs dans le Haut-Atlas.
Nous sommes en 1898. A Smara, le père d’Ahmed Al Hiba, Mohamad Mustafa Ould Sheikh Mohamad Fadel Ma El Aïnin, né près d’Oualata (en Mauritanie actuelle) vient de mettre en place une petite forteresse. Il lance ensuite un appel à une «guerre sainte» contre les colonisateurs. «Ami de Moulay Hassan 1er, de Moulay Abdelaziz et de Moulay Hafid, (…) il défendit l’islam à la fois en Mauritanie et au Maroc, lutta contre la pénétration pacifique [du colonisateur] et fit de sa zaouia une centre de recrutement et de ses disciples des soldats», raconte Jean Wolf dans son ouvrage «Les secrets du Maroc espagnol : L’épopée d’Abd-el-Khaleq Torrès» (Editions Eddif, 1994). «Il déclare être un descendant de la dynastie Idrisside, se surnomme lui-même « sultan élu de Dieu » et s’oppose vigoureusement à toute pénétration étrangère au Sahara occidental.»
Des troupes marocaines près de Tadla. / Photo d’illustration
Chassé de Smara par les colons, il s’installe d’abord à Tiznit. Le 23 juin 1910, l’armée venue du sud est battue par le général Charles-Emile Moinier dans la région de Tadla ce qui met un terme aux ambitions de Ma El Ainin qui, se retranchant vers Tiznit, meurt le 23 octobre 1910.
Un sultan sahraoui au Sud du Maroc
Mais avant de mourir, il passera le flambeau à son fils, Ahmed El Hiba Ma El Ainin, qui s’autoproclamera Amir Al Moujahidin puis sultan de Tiznit. Il sera ainsi reconnu comme tel par «les tribus de la région de Tiznit, de Taroudant, de l’Anti-Atlas occidental, des régions de Drâa et de Dades, les Chtouka, les Ida ou Tanan, les Mesguina, et les Haouara», comme le rapporte aussi Michel Abitbol dans «Histoire du Maroc» (Editions Edi9, 2014). «Glorieux Rogui à l’âme indomptable, [Ahmed Al Hiba] brandira l’étendard de la révolte», décidé de reprendre la lutte contre les colons.
«Il devient à son tour l’un des chefs de la résistance saharienne et sud-marocaine, notamment après la proclamation du protectorat français sur le Maroc en 1912. Cet événement l’amène à marcher sur Fez. Après avoir été proclamé sultan à Tiznit, et plus tard à Agadir, il entre le 18 août à Marrakech.»
Ahmed Al Hiba près de Marrakech. / Ph. DRAhmed Al Hiba près de Marrakech. / Ph. DR
L’occupation de Marrakech
Le 12 août 1912, Moulay Abdelhafid abdique au profit de son frère Moulay Youssef. Ce dernier est couronné le 12 août à Fès. Deux jours plus tard, Ahmed Al Hiba marchait vers Marrakech à la tête d’une imposante armée. Bien que les historiens divergent sur la date exacte de l’arrivée de celui qu’on qualifie de «prince bleu» à cause de son accoutrement sahraoui, sa conquête de Marrakech aurait eu lieu entre le 14 et le 18 août 1912.
«Un long périple à partir de S’mara, qui le mènera jusqu’à la ville de Marrakech où il sera effectivement proclamé Sultan des musulmans et successeur désigné par la communauté, pour succéder au Sultan Moulay Abdelhafid», comme le rapporte Mohamed Mokhtar Soussi dans son ouvrage «Al Maassoul».
Photo d’illustration. / DR
Avec une armée composée de nomades, venus de Tekna, d’Ouled Dlim et de la légendaire tribu des Rguibates, et berbères du Souss et de l’Anti-Atlas, il surprendra les forces coloniales et décrochera l’approbation des Marrakchis. «Les habitants, les oulémas et les notables de la région de Marrakech avaient fait tous leur allégeance à Cheikh El Hiba à l’exception du Pacha Thami El Glaoui et du futur Visir Lemnebhi», un duo qui «jouait déjà le rôle d’agent à la solde de l’administration centrale française installée à Fès», rapporte la Gazette du Maroc, dans un article publié en 2006.
La bataille de Sidi Bou Othmane
Mais la réaction de la France ne tardera pas. «De Casablanca, une armée française marcha vers Marrakech avant d’être déboutée par les hommes d’Al Hiba», raconte l’historien Youssef Al Moraachli dans un recueil des histoires des personnalités arabes et musulmanes.
Arrivée des troupes françaises à Marrakech en 1912. / Ph. DR
En effet, Al Hiba affrontera les forces coloniales à trois reprises : D’abord quelques jours après avoir occupé Marrakech et s’être autoproclamé sultan, à Skhour Rhamna lors d’une première bataille, puis à Bir Ouham vers le 22 août. La bataille décisive sera celle de Sidi Bou Othmane près de Marrakech le 6 septembre 1912, où les troupes du «sultan bleu», dirigées par son frère Mrebbih Rebbou et son oncle, seront battues par les forces françaises. Ahmed Al Hiba quitte donc Marrakech et se retranche à Asni. «En 1913, l’armée d’Ahmed Al Hiba est repoussée au sud de l’Atlas. La même année, le lieutenant-colonel Mouret pénètre dans Smara et combat le frère d’Al Hiba, le 10 mars 1913, dans l’oued Tagliyat», raconte Pierre De Boilley.
A Kerdous, au sud de l’Atlas, Al Hiba se refugie chez des tribus amazighes mais n’abandonnera pas sa lutte contre les colons. Chez les Ida Ou Baakil, il échappe même à un bombardement aérien à Kerdous, en 1917. Mais suite à la maladie, il meurt le 23 juin 1919 et cède sa place à son frère Merebbi Rebbou.
Image d’illustration. / DR
Ce dernier, avec son autre frère Niama, «combattront comme des lions, en pleine illégalité et mèneront une guerre désespérée grâce à laquelle l’anti-Atlas gardera fièrement son autonomie jusqu’en 1934». En effet, c’est durant cette même année qu’Assou Oubasslam de la tribu Aït Atta rendra les armes suite à une résistance de plusieurs décennies menée par cette tribu dans le Saghro. La France venait alors de pacifier l’ensemble des tribus marocaines…