Le parc national de Khnifiss semble sortir de nulle part, après des kilomètres et des kilomètres de désert à perte de vue. Le lieu émerge, la cacophonie des oiseaux, la lagune d’un bleu infini, l’arrière pays désertique, les animaux sauvages surprennent au premier abord. On pourrait s’oublier et croire qu’on est dans un autre pays, pourtant on est bien au Maroc, à 180 km au nord-ouest de la ville de Laâyoune, entre Tarfaya et Tan-Tan, en face des îles canaries.
Une myriade de couleurs
Ici la nature est généreuse en couleurs. Khnifiss à marée basse devient verte, plus loin on peut apercevoir le bleu de l’océan et de la lagune, et enfin le jaune du désert. La baie est l’une des premières au Maroc (en 1980) à avoir été inscrite à la convention de Ramsar (traité international adopté le 2 février 1971 pour la conservation et l’utilisation durable des zones humides, qui vise à enrayer leur dégradation ou disparition, en reconnaissant leurs fonctions écologiques ainsi que leur valeur économique, culturelle, scientifique et récréative). En 1998, la direction du patrimoine culturel au Maroc a inscrit la lagune de Khnifiss, ou lagune de Naïla, à la liste indicative de l’Unesco.
«Le parc de Khnifiss est le prolongement d’une zone humide. La réserve est un site d’intérêt biologique et écologique (SIBE). Le parc est érigé en trois écosystèmes, une partie océanique, lagunaires, et désertique», indique Salek Aouissa, président du réseau association de Khnifiss à Yabiladi. L’organisme œuvre depuis 2000 à «organiser le tourisme, minimiser l’impact sur l’écosystème lagunaire et le développement de l’éco-tourisme», ajoute la même source. En 2006, Khnifiss devient parc national, l’un des plus grands du royaume. «C’est aussi un site d’intérêt biologique et écologique (SIBE)», ajoute le président de l’ONG.
Une diversité de paysages peuvent être observés à la lagune de Naïla. / DR
Beaucoup de titres pour un patrimoine riche mais fragile. Le site fait près de 185 000 hectares, la diversité des paysages qui se déroulent devant les yeux des touristes sont exceptionnels. La zone, sauvage est préservée par une interdiction de construire. Le but est de préserver l’écosystème et la biodiversité présente.
«D’après d’importantes études réalisées depuis 1985, nous dénotons une diversité biologique importante. Les résultats montrent que près de 20 000 oiseaux, dont beaucoup d’oiseaux migrateurs, viennent dans le parc national de Khnifiss, avec, dans le détail, 212 espèces. Il y a aussi les oiseaux du désert, beaucoup de faucons, d’aigles royaux, etc.»
Gazelle de Cuvier, fennecs, renards…
Outre la richesse ornithologique, la faune marine est diversifiée. «La partie désertique est caractérisée par une faune incroyable. On peut observer des fennecs, des porcs épics, des renards, des renards roux», détaille la même source. Par ailleurs, à Khnifiss, la gazelle de Cuvier, peut être observée à son état sauvage. Pour préserver cette espèce, le Haut-commissariat aux Eaux et forêts et à la lutte contre la désertification (HCEFLD) a construit une réserve pour «réintroduire l’espèce et développer le fait de le lâcher dans la nature», précise le responsable, qui déclare que le projet est «essentiel» pour la région.
«Si la réserve Khnifiss n’existait pas, et qu’il n’y avait pas d’escale des oiseaux migrateurs, il n’y aurait pas eu de richesse à Dakhla, ni dans les zones humides au Sénégal. C’est une continuité de la biodiversité d’Afrique du nord vers l’Afrique de l’Ouest. C’est une surface protégée qui représente une richesse africaine.»
Même son de cloche chez Sidi Imad Cherkaoui, ornithologue et professeur à l’université Moulay Ismail, ce dernier déclare à Yabiladi que «toute la zone de Tarfaya est une zone humide très vaste, sur une superficie large et aride». «Le lieu devient une attraction particulière pour les oiseaux migrateurs qui passent entre les deux continents, l’Europe et l’Afrique, c’est ce qu’on appelle l’axe Est-Atlantique (East Atlantic Fly Wing) prisé lors des escales des oiseaux migrateurs», ajoute le scientifique.
«Pour franchir le Sahara, qui représente une barrière pour les oiseaux migrateurs, ils trouvent Khnifiss, s’y reposent, s’y alimentent pour migrer. C’est une oasis en plein milieu du désert, pour leur permettre d’accumuler la graisse nécessaire pour continuer leur périple vers les zones méridionales.»
Les oiseaux qui font escale à Khnifiss sont divers et variés. Flamants roses, Spatules blanches, Barges à queue noire ou rousse, Bécasseau Maubèche, Huîtrier Pie, mais aussi «plusieurs espèces de Limicoles et des Laridés, comme les Mouettes et les Goélands». Selon le scientifique, des espèces importantes sont présentes sur la lagune de Naïla, comme la Tadorne Casarca, la Sarcelle marbrée, etc.
Le désert et la lagune cohabitent dans un ensemble parfait. / Ph. Ali Ettalbi
La multitude d’habitats dont jouit le site, comme les zones arides peu profondes, les sables vierges dénotent de son importance au niveau environnemental. «C’est une zone de frayèr pour les poissons (où ils se reproduisent, ndlr). Du coup, beaucoup de prédateurs sont attirés par l’endroit», indique l’ornithologue. La zone dispose de vasières (étendue côtière ou sous-marine couverte de vase) soumises au marées basses et hautes. «Quand les vasières sont dégagées à marée basse, elles attirent beaucoup de limicoles – groupe d’oiseaux qui affectionnent les zones humides peu profondes et s’alimentent dans les vasières – ils enfouissent leur bec dans la vase pour s’alimenter», détaille le professeur à l’université Moulay Ismail.
Les oiseaux hivernaux passent tous les hivers là-bas. Quant aux migrateurs de grand parcours, ils peuvent «rester quelques jours, comme plusieurs semaines, pour continuer ensuite vers le sud». Les oiseaux migrateurs par contre, sont de passage pendant l’automne et le printemps.
«Depuis la pacification du Sahara, beaucoup de touristes, d’ornithologues, de chercheurs sur la faune, viennent à Khnifiss pour voir les oiseaux. Mais aussi, des touristes viennent en caravane, font escale dans le parc national et y séjournent quelques jours, dans leur périple en direction de Dakhla. D’autres viennent pour pratiquer la pêche.»
Espace fragile à préserver
Le réseau association de Khnifiss œuvre depuis de nombreuses années pour que la destination ne soit pas endommagée par l’afflux touristique. «Le site est connu depuis trois décennies, on avait peur que ça devienne une destination touristique, non organisée et non encadrée», se remémore Salek Aouissa. Des études et des démarches ont été entamées pour qu’il y ait un encadrement, une organisation pour ne pas menacer la biodiversité.
Au tout début, des investisseurs se sont installés à Akhfennir (à quelques kilomètres de Khnifiss) pour «commercialiser le site comme zone de pêche». Cette direction, prise par les entrepreneurs, est loin des objectifs de l’ONG de Salek Aouissa. L’association a alors commencé petit à petit, à apprendre «des éco-gestes», puis a renforcé les capacités locales. «On a regroupé les pécheurs en coopérative, on a limité le nombre de barques à 11. Si on a 200 barques comme à la Merja Zerga, on va menacer l’écosystème», ajoute le président de l’ONG.
La lagune de Naïla est un passage obligé pour de nombreux oiseaux migrateurs. / Ph. Ali Ettalbi
Les structures d’accueil ont été améliorées par la création d’un sentier pour les visiteurs, un embarcadère qui mène directement vers les barques pour pouvoir faire le circuit maritime.
«Nous travaillons étroitement avec l’union internationale de la conservation de la nature (UICN), pour créer une carte ornithologique des circuits sur la lagune Khnifiss.»
Plusieurs types d’excursions sont possibles, selon le niveau d’expertise et les affinités des touristes. Le premier est pour les pécheurs amateurs, où les barques les mènent vers l’embouchure de l’oued pour pêcher à leur guise, puis un autre circuit vers l’intérieur de la lagune «pour observer la faune». Ce tour est réservé aux spécialistes, ornithologues, et photographes. Enfin, pour les amateurs de randonnée, un circuit sur la falaise est organisé avec des guides, avec «des points d’observation et des jumelles pour observer les oiseaux».
A la fin de la journée, les touristes quittent le parc national, pour se diriger vers Akhfennir, à 17 kilomètres, où les auberges sont disponibles pour y passer la nuit.
«On a récemment signé une convention avec la région de Laayoune-Sakia pour valoriser ce patrimoine naturel, en partenariat avec l’association. Il sera effectif en 2018. Nous avons quatre partenaires, le HCEFLD, notre association, la région et la province de Tarfaya.»
Les amoureux de la nature peuvent observer des flammands roses au large de la lagune. / DR