La rivalité entre le Maroc et l’Algérie a dépassé les querelles sur les réseaux sociaux autour du patrimoine culturel, culinaire et vestimentaire pour s’étendre au domaine des cyberattaques. Les tensions entre les deux nations se sont propagées dans le cyberespace, où des hackers marocains et algériens s’en prennent à des sites gouvernementaux, des comptes sur les réseaux sociaux et des institutions médiatiques.
Récemment, des hackers algériens ont orchestré une attaque significative en divulguant un grand volume de données sensibles. Le groupe algérien JabaRoot DZ a mené une série de cyberattaques contre les sites du ministère marocain de l’Inclusion économique et de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS).
Cette attaque est la plus marquante d’une longue série de cyberattaques mutuelles entre hackers des deux pays, une cyberguerre en escalade alimentée par des tensions politiques. Yabiladi a récapitulé les incidents cybernétiques entre hackers marocains et algériens au cours des 15 dernières années, souvent liés à des développements politiques ou des points de tension, tels que la question du Sahara occidental et le soutien de l’Algérie au Polisario.
Cyberattaques politisées
En 2010, après les événements tragiques de Gdim Izik où 11 agents de sécurité marocains ont été tués, des hackers marocains ont ciblé les sites du ministère de l’Intérieur algérien et de l’Office National du Tourisme Algérien. Ces attaques ont été décrites comme des actes de «vengeance» et de représailles pour la violence à Laâyoune.
Le même mois de novembre 2010, des hackers marocains ont infiltré le site de l’ambassade d’Algérie aux États-Unis, y laissant un drapeau marocain et l’hymne national en guise de signature.
Ces offensives cybernétiques ont continué en 2011, avec des hackers marocains attaquant plusieurs sites gouvernementaux algériens, notamment celui de l’administration fiscale. Ils ont laissé un message défiant sur la page d’accueil : «Les forces dissuasives marocaines défendent les intérêts suprêmes du Royaume.» La page affichait également la devise nationale marocaine, «Dieu, la patrie, le roi», ainsi qu’une carte du Maroc ornée du drapeau national.
Selon le journal algérien TSA, des hackers marocains ont également infiltré d’autres sites financiers et gouvernementaux, y compris la bourse d’Alger. Les hackers algériens ont rapidement riposté en piratant 174 sites d’entreprises et d’institutions marocaines, laissant un message «en réponse à un groupe d’idiots marocains». Ces attaques ont coïncidé avec un discours du roi Mohammed VI à l’occasion du 36e anniversaire de la Marche Verte, où il a appelé l’Algérie à contribuer à un Maghreb fort et uni.
En 2013, des hackers marocains ont ciblé le site de la chaîne de télévision publique algérienne (ENTV), laissant des messages affirmant la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Le même jour, ils auraient également infiltré le site de la bourse algérienne. Les hackers marocains ciblaient fréquemment les journaux algériens.
En 2014, des groupes de hackers algériens ont riposté. Selon un rapport de l’Institut Marocain d’Analyse de Politique (MIPA), des sites web, y compris celui du ministère marocain des Affaires étrangères et d’autres portails gouvernementaux, ont été attaqués par des hackers algériens.
«Pas de paix entre les systèmes»
En 2020, la cyberguerre entre les deux nations s’est encore intensifiée. Cette année-là, des hackers marocains ont infiltré le site du ministère algérien de la Santé, ainsi que ceux de l’agence nationale pour le développement des ressources en hydrocarbures, UNESCO Algérie, et d’autres, y compris le Programme de soutien à la politique sectorielle environnementale, l’ONID et l’hôtel Mazafran.
En novembre 2021, des hackers algériens ont riposté en piratant le site de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM), remplaçant son contenu par un drapeau algérien et le message : «Pas de paix entre les systèmes». En réponse, le Morocco Hack Team a ciblé le site du ministère algérien des Finances.
Plus tôt la même année, des hackers marocains ont pénétré 280 sites algériens, y compris de nombreux affiliés au gouvernement. L’attaque aurait été en réponse à des commentaires jugés «insultants» sur le roi Mohammed VI par la chaîne Al-Shorouk TV.
La cyberguerre a continué en 2022. En mars, le ministère algérien de la Justice a accusé des hackers marocains d’avoir compromis son compte Twitter officiel, qui a brièvement publié des messages pro-russes et des accusations incendiaires contre le président ukrainien Volodymyr Zelensky avant que les tweets ne soient supprimés.
En août de la même année, le site de l’Université des Sciences Dhar El Mahraz de Fès (FSDM) a été piraté par un jeune hacker algérien. En janvier 2023, le site de la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc (BNRM) a été compromis. Les hackers ont laissé un message : «Nous envoyons un message aux hackers marocains : arrêtez de divulguer des données algériennes et nous arrêterons.»
Peu de temps après, des données confidentielles du ministère marocain de l’Éducation nationale ont été publiées, exposant des informations sur près d’un million d’étudiants. En représailles, des milliers de dossiers sur des étudiants algériens ont été divulgués en ligne, selon des rapports médiatiques.
Un champ de bataille alternatif
Le conflit cybernétique en cours continue de compromettre des données sensibles et de perturber l’infrastructure numérique dans les deux pays. Les experts décrivent ces incidents comme une nouvelle forme de confrontation.
Dans un article intitulé Une guerre de l’ombre cybernétique entre l’Algérie et le Maroc, le chercheur en affaires africaines Hamdi Bachir soutient que cette vague croissante de cyberattaques marque une nouvelle phase d’hostilité non conventionnelle. Il avertit que ces attaques sont susceptibles de s’intensifier davantage, ciblant les systèmes gouvernementaux, l’infrastructure, les services publics, les installations militaires et les secteurs économiques, notamment le pétrole et le gaz.
Arrivant à une conclusion similaire, la société de cyber-intelligence spécialisée dans la gestion du paysage des menaces externes, CYFIRMA, a déclaré dans un rapport de 2024 sur les cyberattaques au Maroc que les récentes attaques dans le pays «sont devenues un outil puissant pour infliger des dommages et affirmer une influence».
Au-delà des considérations géopolitiques, ces attaques mettent en évidence la vulnérabilité du Maroc. Une analyse de MIPA sur les réalisations et les défis de la cybersécurité au Maroc indique que la nature évolutive des cyberattaques «nécessite une adaptation constante, une conformité avec le contexte international, et un investissement dans des solutions technologiques, des ressources humaines, et une coopération nationale et internationale pour assurer une posture de cybersécurité robuste».