Pour cet épisode de Nomad, direction la ville de Tanger, la phénicienne, romaine, musulmane et indéniablement internationale. Notre périple débute depuis le mythique café Hafa, qui surplombe la baie de Tanger. Bien que le café mythique fasse incontestablement partie intégrante du patrimoine de la ville, nous partons à la découverte d’un autre trésor, qui donne sur la mer d’Alboran.
Il s’agit des mystérieuses tombes phéniciennes, non loin du café Hafa, sur le plateau du Marchan à quelques 15 mètres au dessus du niveau de la mer. De forme triangulaire et taillés à même la roche de la colline, ces quelques tombes, sont toujours visibles, bien que dans un état de délabrement désolant.
Photo d’illustration. / Ph.DR
Appelé tombeaux phéniciens, ce site fait écho à l’histoire chargée de la ville de Tanger. En effet, bien que le détroit ait été assiégé depuis le paléolithique, voire avant, la période phénicienne léguera un précieux patrimoine. Dans son ouvrage «Maroc du Nord : cités andalouses et montagnes berbères», Antonio Gaudio écrit :
«Ces tombes révèlent une page nouvelle de l’histoire du Maroc qui se situe bien avant l’époque où l’Amiral Hannon arriva sur ses côtés. Les textes anciens relancent l’existence de comptoirs fondés par les phéniciens le long de celles-ci (…)»
Cette présence dans la ville a été relatée par de nombreux chercheurs après la découverte de nombreux objets en céramique, bijoux et ustensiles phéniciens dans les nécropoles de la région de Tanger. Paul et Max Vauthey écrivent dans leur compte rendu, «Michel Ponsich, Nécropoles phéniciennes de la région de Tanger» que «ce sont les bijoux, dans les nécropoles, qui apportent des indices indispensables sur l’époque phénicienne dans la région de Tanger : ce sont les pendeloques à boisseau typiquement phéniciennes, les pendentifs à granules, la rose de Rhodes, les anneaux de nez ; à côté de ces objets de qualités élaborés dans les métaux précieux, or et argent, de nombreux bracelets de bronze dénotent une influence encore toute proche de la culture mégalithique».
Nommés à tord ?
Cependant, trois des chercheurs contactés par Yabiladi, nous affirment que ces tombes sont nommés à tord, et qu’elles ne dateraient nullement de l’époque phénicienne. L’un d’eux, Aziz El Idrissi, chercheur, archéologue et directeur du Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain (MMVI), est catégorique : «Ce ne sont pas des tombeaux phéniciens, ce sont des tombeaux anciens, certainement puniques, mais qui ont été réemployés pendant l’époque romaine, parce que le mobilier extrait est romain».
«Il y a une différence entre ce qui se dit et ce qui est véhiculé par le grand public et ce que peuvent dire les chercheurs. Le travail scientifique et les chercheurs peuvent seulement affirmer que ces tombeaux ont été réutilisés à l’époque romaine.»
Aziz El Idrissi, archéologue
Mais alors pourquoi le mystère quant à leur origines demeure-t-il toujours aussi entier ? En réalité, «il n’y pas eu de fouilles récentes, toutes sont anciennes, et les techniques ne sont plus les mêmes. Les chercheurs évoquent le mobilier -qui bien qu’ils puissent être phénicien- soulève aussi un problème de méthodologie», nous confie Aziz El Idrissi.
Les tombeaux «phéniciens» de Tanger. / Ph.DR
Un chantier qui pourrait apporter grand nombre de réponses, mis la tâche n’est pas mince, confie notre interlocuteur. En effet, la particularité de Tanger, c’est qu’elle a été occupée de manière quasi permanente, et que «forcement nous ne disposons pas de toutes les réponses à nos questionnements».
L’un des obstacles, est que les espaces qui devraient être fouillés sont occupés par les habitants de la ville, car «la population habite là ou le anciens s’étaient installés autrefois», souligne-t-il.
La première des choses à faire, serait une valorisation de ce patrimoine, avec par exemple des panneaux signalétiques qui expliquent et qui donnent à connaitre le informations dont nous disposons à ce jour, suggère notre interlocuteur. Pour aller plus loin, il faut néanmoins, «réengager les recherches dans la région, et nous savons déjà que c’est possible de trouver d’autres tombeaux», conclu le directeur du MMVI.