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Le Mansouria, quand la mode devient un message politique


Intronisé en 1578, le sultan saadien Ahmed al-Mansur a entrepris de mettre en valeur la puissance retrouvées de sa dynastie, surtout que la défaite de l’armée portugaise lors de la bataille des Trois rois lui a permis de recouvrir le prestige de la couronne de ses ancêtres.

Peu après son accession au trône, il lance alors plusieurs projets ambitieux majeurs, à commencer par la construction du palais El Badi à Marrakech, symbole d’une nouvelle ère. La prospérité par laquelle il a marqué son règne et fait l’âge d’or de sa dynastie lui aura valu l’appellation d’al-Mansur Eddahabi. Dans ce contexte, il établit aussi des alliances avec les puissances occidentales, notamment l’Angleterre. Il mobilise une série de missions diplomatiques à Londres.

A travers ces initiatives en cascade, le sultan a aussi et surtout cherché à marquer ses distances de la politique de son défunt frère, le sultan Marwan Abd al-Malik – mort lors de la bataille contre les Portugais à Ksar el-Kébir –. Dans ce sens, il a commencer par mettre fin à l’âge d’or des relations avec les Ottomans.

La mode comme expression politique

Décidé à affirmer sa rupture nettement marquée avec les Ottomans, le nouveau sultan ne s’est pas limité au champ politique. Il a décliné sa vision même dans la mode. En effet, Ahmed al-Mansur a été particulièrement sensible à la force du message politique derrière les tendances d’habillement. Contrairement à son frère, qui a passé 17 ans dans les territoires sous contrôle ottoman et s’est approprié l’habillement de l’empire dans la cour, al-Mansur a cherché à redonner vie au vêtement traditionnel traditionnellement ancré dans les us locaux.

Dans son article «Le Califat imaginaire d’Ahmad al-Mansûr : Pouvoir et diplomatie au Maroc au XVIe siècle», l’historien marocain Nabil Mouline mentionne que l’immersion d’Abd al-Malik dans la culture ottomane a conduit ce dernier à abandonner les usages vestimentaires marocains ancestraux. «Ce prince, qui avait vécu la majeure partie de sa vie dans les terres ottomanes, a décidé d’adopter leur code vestimentaire et l’a même imposé à ses sujets», écrit le chercheur.

En s’habillant de luxueux vêtements ottomans et en abandonnant la tenue blanche traditionnelle de ses prédécesseurs parmi les sultans saadiens, Abd al-Malik a laissé tomber la tradition locale en désuétude. Plus que cela, ce choix traduit une certaine reconnaissance du rayonnement des Ottomans et de leur puissance au Maghreb.

Avec son accession au trône, le sultan Ahmed al-Mansour rompt délibérément avec cette tradition importée. Il réhabilite la «tradition vestimentaire locale» à la cour saadienne. En référence aux rapports de la première ambassade espagnole au Maroc sous al-Mansour, en 1579, Nabil Mouline écrit qu’al-Mansour «portait des vêtements blancs à la marocaine, avec un turban sur la tête». Ce retour à la tenue ancestrale a été une déclaration politique à fort impact et un signal de non-reconnaissance de «la souveraineté ottomane» par le nouveau dirigeant.

Plus loin, Nabil Mouline explique : «Quelques mois après son accession au trône, le sultan rétablit la couleur blanche comme emblème du califat occidental (Etat saadien). Le terme «marocain» pour décrire la tenue vestimentaire du sultan illustre le contraste avec le style «turc» adopté par son prédécesseur». Chemin faisant, al-Mansur a affirmé «l’indépendance et la souveraineté» de la dynastie saadienne, qu’il érige au rang de «califat islamique occidental».

Le Mansouria, une incarnation de la mode marocaine innovante

Al-Mansur n’a pas seulement fait revivre la tradition. Il a également introduit de nouveaux styles dans l’habillement de son temps, à la tête de la dynastie saadienne. Une description de l’agent espagnol Jorge de Henin au début du XVIIe siècle donne un aperçu de la tenue des dirigeants de l’époque. Selon Mouline, de Henin décrit le fils du sultan, Abu Faris, comme portant «un large pantalon serré à la taille par une ceinture de soie brodée sur les côtés, une chemise à manches étroites et boutons aux poignets, et par-dessus un long vêtement à manches larges appelé mansuriya (Mansouria)».

L’introduction de ce vêtement est ainsi attribué au sultan Ahmed al-Mansur. Fabriqué en mousseline fine et spécialement conçu pour lui, le Mansouria est devenu plus tard connu sous son nom. L’historien Ahmad al-Maqqari al-Tilmisani, contemporain d’Ahmed al-Mansur, fait référence à ce vêtement dans «Nafh at-Tib», un recueil historique sur Al-Andalus et le Maghreb occidental. Il décrit le Mansouria comme étant un «type de vêtement connu» de la région, confectionné pour le sultan et nommé plus tard en son honneur.

Selon des sources sur les habillements traditionnels marocains, le Mansouria est généralement porté par-dessus le caftan. Communément admis dans la garde-robe masculine et féminine, il est devenu une pièce maîtresse incontournable pour les femmes, surtout les citadines parmi elles.

Le livre «Costumes du Maroc» indique que le Mansouria a servi d’«izar». Vêtement extérieur, il est particulièrement prisé pas les femmes aisées dans les villes, où elles l’ont porté à la place de l’izar, plus courant chez les autres couches de la population. «L’izar est plus long et fait de mousseline, avec de larges manches, ressemblant à la dfina des villes, également connue sous le nom de farajtya ou mansuriya», fait savoir la source.

«Tous ces cotons légers et ces mousselines décorées sont importés. Ils sont achetés dans les souks des villes voisines et apportent le luxe urbain à la campagne. Peu à peu, ils ont remplacé les cotons simples, désormais réservés au quotidien», ajoute l’ouvrage.

Par-dessus le caftan, la Mansouria ou farajiya en mousseline se veut comme une pièce qui révèle l’élégance du vêtement en dessous. Tout comme d’autres tenues traditionnelles marocaines telles que la gandoura, la takchita et la jellaba, il a traversé les âges, illustrant la manière dont la politique peut façonner et préserver la mode.





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