Saviez-vous que le premier colon musulman de la Nouvelle-Amsterdam, aujourd’hui connue sous le nom de Big Apple, New York, était le fils d’un pirate de Salé ayant un lien intriguant avec le Maroc ? Son nom dit tout : Anthony Janszoon van Salee, qui signifie en néerlandais «Antoine de Salé», une évocation de la cité corsaire située sur la rive droite du Bouregreg.
Van Salee est le fils de Jan Janszoon, un renégat hollandais connu des corsaires salétins sous son nom musulman, Reis Mourad. Originaire de Haarlem, au nord-ouest des Pays-Bas, il a été pirate au XVIIe siècle, capturé près de Lanzarote par des corsaires barbaresques.
Plus tard, Reis Mourad devient l’un des fondateurs de la République de Salé, cité-Etat prospère grâce à son activité de piraterie dans l’Atlantique, dont l’homme fort est le premier président et commandant. A un moment donné, il aura même été gouverneur de Oualidia, toujours sur la côte marocaine.
Marié à une Espagnole probablement d’une famille musulmane de Carthagène, Reis Mourad, s’installa au Maroc, où il a quatre enfants. Le troisième d’entre eux n’est autre qu’Anthony van Salee, dont le nom traduit les liens de son père à la cité pirate marocaine.
Fils de pirate élevé au Maroc
Le fils de Reis Mourad deviendra plus tard une figure marquante parmi les toutes premières communautés nord-africaines et musulmanes installées en Amérique du Nord. Né entre 1607 et 1608, il vit à Salé, Marrakech et Fès, avant de quitter le Maroc pour Amsterdam, en 1625.
Quatre ans plus tard, il prend le large pour le «Nouveau Monde», en tant que colon pour la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. Sur son chemin vers la Nouvelle-Amsterdam (nom de l’actuelle ville de New York en tant que capitale néerlandaise de la Nouvelle-Néerlande, au XVIIe siècle), il épouse Grietje Reyniers, une chrétienne hollandaise.
Né d’un père musulman rebelle et élevé au Maroc, probablement au sein d’une famille musulmane, Anthony Janszoon a cependant laissé peu de traces dans les archives coloniales, qui «ne précisent pas la religion de van Salee», selon le magazine bimestriel américain Aramco World. Pour autant, les actes de propriété et les documents judiciaires font référence à lui comme le «Turc», un terme souvent utilisé par les Européens de l’époque pour décrire les personnes de confession musulmane.
«Turc était le terme contemporain et péjoratif pour désigner les musulmans (quelle que soit leur origine ethnique), van Salee et van Vaes signifiant qu’Antoine était de Salé ou de Fez, au Maroc», écrit Kambiz GhaneaBassiri, professeur de religion au Carleton College de Northfield, Minnesota, dans son livre «A History of Islam in America: From the New World to the New World Order».
Van Salee s’installe avec son épouse à New Amsterdam en 1630. Il travaille «comme fermier et parfois comme négociant en biens immobiliers», écrit Bassiri. En effet, van Salee acquiert des terres et devient l’un des fondateurs de plusieurs quartiers de ce qui deviendra plus tard New York. Cependant, il n’est pas apprécié des autres colons – certains suggèrent que cela est dû à ses origines nord-africaines et à sa foi musulmane.
Une vie difficile
Le nom d’Anthony a été évoqué dans des dizaines de plaintes et de litiges judiciaires, notamment avec l’église, à laquelle il ne s’est jamais et pour laquelle il n’a fait aucun don, probablement en raison de sa foi. Van Salee et sa femme ont été accusés de divers délits, comme le «vol du bois de chauffage, le payement des salaires dus avec une chèvre morte, la mort d’un chien sur le bétail d’un voisin et le fait d’avoir brandi un pistolet sur un fonctionnaire du gouvernement», a rapporté Aramco World.
L’une des nombreuses poursuites contre van Salee a été intentée par le révérend Everardus Bogardus, pasteur de l’Eglise réformée néerlandaise. Les confrontations avec lui ont conduit le tribunal à interdire à van Salee le port d’armes «de ce côté de la Fresh Water [à peu près là où se trouve aujourd’hui Canal Street], à l’exception d’un couteau et d’une hache».
Les nombreux procès ont finalement conduit le tribunal à ordonner à van Salee de quitter New Amsterdam. Cependant, les dirigeants de la ville n’ont pas voulu se débarrasser de lui complètement. Il est renvoyé, mais on lui donne des terres en échange d’une somme d’argent. Cet arrangement a fonctionné pour les deux parties : van Salee pouvait toujours tirer profit de la terre, même s’il n’a pas voulu vivre dans la ville. Pour sa part, le gouvernement gagne plus de territoire pour la colonie.
Les historiens pensent que les litiges de van Salee seraient en grande partie dus à son origine musulmane. Si certains les attribuent à «sa personnalité ou à des rivalités et jalousies économiques» son «origine musulmane et nord-africaine ne peut être écartée comme facteur de son attitude provocatrice envers l’autorité, en particulier l’Eglise, ou du traitement qu’il a reçu des autres colons», écrit Michael A. Gomez dans «Black Crescent: The Experience and Legacy of African Muslims in the Americas».
Au regard de ses détracteurs, le «le fait que ni lui ni sa femme ne soient des pratiquants zélés» aurait été une preuve indirecte de sensibilité islamique. Pourtant, aucune preuve n’atteste réellement de sa foi musulmane ou du fait qu’il ait réellement pratiqué l’islam en Occident, selon Gomez.
Bien que banni du New Amsterdam, Anthony y revient des années plus tard. Il achète des terres et prête de l’argent. Il devient ainsi l’un des principaux hommes d’affaires et propriétaires fonciers de la colonie.
Avant sa mort, van Salee a été considéré comme l’un des hommes les plus riches de New York. Ses filles se sont mariées aux fils de familles importantes. Parmi ses descendants figurent de nombreuses personnalités célèbres, comme les présidents Roosevelt, l’acteur Humphrey Bogart, l’ancienne première dame Jacqueline Kennedy Onassis et le présentateur de nouvelles Anderson Cooper.
Certains historiens le considèrent même comme le premier colon d’origine musulmane dans les territoires qui allaient former les États-Unis.