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Le dernier sultan avant le Protectorat explique les raisons de la mainmise de la France

Le dernier sultan avant le Protectorat explique les raisons de la mainmise de la France

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Le sultan moulay Abdelhafid Alaoui, dernier souverain du Maroc avant le Protectorat français, a gouverné durant l’une des périodes les plus charnières, de 1908 à 1912. Son règne s’est achevé avec la signature du Traité de Fès, le 30 mars 1912, officialisant ainsi un Protectorat français sur le royaume et mettant fin à l’indépendance. Vilipendé par de nombreux nationalistes comme le monarque qui aurait «vendu» le pays, Abdelhafid est souvent dépeint dans l’historiographie coloniale comme un souverain complaisant. De son côté, il a cherché à réhabiliter son héritage à travers ses mémoires, «Daa’ al-‘Atab Qadim» («Le Mal de la Ruine est Ancien»).

Les mémoires ont été écrits durant son exil en France, après son abdication en 1912. Conçus entre 1924 et le début des années 1930 durant sa réclusion au Château de la Loire et plus tard à Enghien-les-Bains, ils ont été publiés à titre posthume en 1957. Le texte sert de réflexion politique, d’acte d’accusation philosophique et de tentative de réparation historique.

Cet article tente d’éclairer une perspective qui a reçu peu d’attention académique : l’analyse du dernier sultan marocain indépendant sur les raisons de l’effondrement de la souveraineté. En effet, ce témoignage personnel offre une rare vision de l’intérieur sur les dynamiques complexes qui ont fait le lit de la domination étrangère, remettant en question les récits simplifiés qui se concentrent principalement sur les forces extérieures.

Le diagnostic : des maux anciens

Dans ses mémoires, Moulay Abdelhafid soutient que l’effondrement du Maroc résulte d’une décomposition interne de longue date, plutôt que de forces externes soudaines. «Le mal avait déjà pris racine ; je n’ai fait que signer son traité», écrit-il avec une clarté saisissante. Cette déclaration n’est pas une demande d’absolution, mais une reconnaissance de l’échec systémique. Son règne, suggère-t-il, est devenu une métaphore pour un royaume pris dans la contradiction, «prétendant résister tout en se soumettant secrètement, tenant le Coran dans une main et les contrats européens dans l’autre».

Le sultan place le déclin du Maroc dans un contexte historique, le reliant à des périodes antérieures, notamment la reddition de Larache à l’Espagne en 1609 par le sultan saâdien Mohammed al-Ma’mun, qu’il considère comme ayant ouvert la voie aux incursions coloniales ultérieures. Il lie également les conditions détériorées de son époque au règne du sultan Abdellah ben Ismaïl Alaoui (mort en 1757), marqué par la corruption et par l’ingérence de l’armée esclave des Boukhari dans les affaires politiques.

Un corps malade et une gouvernance en effondrement

Le sultan dépeint le Maroc comme un corps malade dont les organes ont échoué. «Comment pourrais-je défendre un corps dont les membres refusaient de répondre, dont le cœur ne battait que pour sa propre fierté ?» écrit-il. Selon lui, mal politique du Maroc ne s’est pas manifesté comme une occupation étrangère, mais comme une passivité interne, un attachement exagéré au passé et une vénération d’institutions longtemps vidées de leur substance.

Ce dont Abdelhafid a hérité serait alors la coquille d’un Makhzen autrefois fonctionnel. «Je n’étais pas roi d’un État — j’étais gestionnaire d’une habitude», note-t-il amèrement, ajoutant que le pouvoir central a émis des ordres exécutés uniquement sur le papier. Ses représentants inspirent la peur non par sagesse, mais par cupidité. Ce qui a commencé comme un système de gouvernance a finalement dégénéré en «un écosystème de corruption». Même depuis sa position de sultan, Abdelhafid n’a pu gérer le dysfonctionnement à grande échelle.

Bien que les symboles formels de l’autorité demeurent — le sceau du sultan sur les documents, son image sur les pièces de monnaie — Abdelhafid reconnaît que ses fondations ont longtemps connu leur effondrement. Il occupe un trône soutenu par «la peur, l’habitude et des loyautés fragmentées — pas par la vision ou le consentement». «Le pouvoir sans légitimité est comme un corps sans âme : il bouge, il fonctionne, mais il ne vit pas», observe-t-il.

Les Français, selon lui, n’ont pas saisi son pouvoir — ils l’ont trouvé déjà épuisé. Pourtant, l’histoire se souvient de lui non pour ses tentatives de maintenir sa gouvernance, mais pour sa reddition. «La souveraineté, entourée de vautours et de traîtres, est moins une couronne qu’une cage. Je la portais non comme un bijou, mais comme une chaîne forgée dans le devoir et scellée avec la honte», écrit-il sans concession.

Une trahison de l’intérieur

Parmi les aspects les plus douloureux du déclin du Maroc, selon Abdelhafid, figure le rôle des autorités religieuses. Lorsque les préposés auraient dû rallier la résistance, ils ont plutôt émis des fatwas exhortant à la «sagesse» et à la «patience». Dans leur contexte, ces termes se sont apparentés à des codes de la soumission politique. «Ils ont échangé le jihad pour la jurisprudence, le courage pour le consensus, la vérité pour des salaires», écrit-il. Ces figures religieuses ont précipité l’échec du sultan, mais aussi l’islam en lui-même, en «armant son quiétisme pour calmer un peuple enflammé».

Le récit d’Abdelhafid sur les dynamiques du palais est tout aussi accablant. Sa cour ne fonctionne pas comme une forteresse, mais comme un théâtre, avec des acteurs jouant des rôles écrits à Paris. Les ministres complaisants accueillent les envoyés français la nuit. «Je n’étais pas entouré d’hommes — j’étais encerclé de miroirs, chacun reflétant seulement ce que je souhaitais voir. Ce n’étaient pas uniquement des lâches, mais des collaborateurs actifs déguisés en loyalistes», confesse-t-il.

Le point le plus révélateur est l’évaluation d’Abdelhafid du silence en tant que force politique la plus dangereuse. «Ce n’est pas le rugissement des canons qui m’a évincé, mais l’absence de mots quand ils étaient le plus nécessaires», réfléchit-il. Les courtisans adhèrent à ses discours mais restent silencieux, en cas d’échec. «Ce silence n’était pas la paix — c’était une gangrène qui se répandait plus vite que le feu. Quand un dirigeant parle seul, son trône est déjà à moitié vide».

Plus loin, le sultan Abdelhafid condamne les échecs intellectuels de la classe dirigeante marocaine. Sa génération de dirigeants «parlait éloquemment mais pensait peu». Il les décrit pour leur talent de récitation de poésie, qui ne leur permet pas pour autant de produire des idées novatrices afin de sauver leur patrie. «Nous louions les gloires de nos ancêtres, tout en mettant leurs os aux enchères», se lamente-t-il. L’élite, enivrée par la nostalgie, s’accroche aux souvenirs impériaux, en perdant le territoire réel. Ils tiennent des conférences tandis que les villes tombent et débattent des lois fiscales alors que des comptables étrangers réécrivent leurs budgets. «L’encre de la sagesse avait séché. Tout ce qui nous restait étaient des signatures parfumées sur des pages blanches remises par des Européens, avec des sourires et des épées».

Un échec des tentatives de réforme

Une des premières ambitions du sultan Abdelhafid a été de moderniser l’appareil administratif du Maroc, en particulier le Makhzen. A cet effet, il a envisagé une bureaucratie plus centralisée et responsable. Mais ses actions ont été vouées à l’échec, face aux habitudes enracinées des fonctionnaires locaux. «J’ai essayé de rationaliser les fonctions de la cour, de mettre fin à la culture des pots-de-vin et de la duplicité», écrit-il, «mais j’ai vite réalisé que je taillais les branches d’un arbre dont les racines étaient en décomposition».

Redoutant d’y laisser leur autonomie, les gouverneurs provinciaux, caïds et notables ont résisté aux réformes. Même les décrets émis depuis le palais royal sont restés lettre morte. L’État, déplore-t-il, n’a pas de véritables instruments de contrôle au-delà du papier. «Le sultan gouverne sur parchemin, mais la vraie loi est écrite en pièce de monnaie et en peur», a-t-il écrit, soulignant l’impossibilité de réformer un État sans commencer par affronter son effondrement moral.

Une réforme militaire

Confronté à une emprise européenne croissante et à une instabilité interne, le sultan Abdelhafid a cherché à réformer l’armée. Il a tenté de la réorganiser en améliorant la formation et en important des armes modernes. Cependant, comme il l’a ensuite écrit, il reconnaît avoir «donné aux soldats des fusils, mais pas de doctrine ; des uniformes, mais pas d’unité».

L’armée marocaine est restée divisée selon des lignes tribales et régionales, avec de nombreux soldats loyaux uniquement envers leurs commandants locaux ou affiliations ethniques. Les conseillers français ont infiltré même la logistique de l’approvisionnement en armes, sapant le contrôle souverain. Moulay Abdelhafid a réalisé que la simple imitation des structures militaires européennes était futile, sans cohésion nationale et leadership professionnel. «Notre armée avait l’air moderne», écrit-il, «mais elle marchait encore au rythme des tambours du passé». En fin de compte, cette armée fragmentée s’est avérée être plus une menace pour l’ordre interne que pour les forces étrangères.

Une réforme politique

La révélation la plus tragique dans les mémoires d’Abdelhafid serait le fait d’admettre qu’aucune réforme, aussi rationnelle ou urgente soit-elle, ne pouvait combler le vide de volonté politique. «Chaque réforme que j’ai tentée a été accueillie d’abord par des applaudissements, puis par du sabotage», écrit-il. Le sultan lie cet échec à l’absence d’une classe politique prête à mettre en œuvre ses initiatives.

Les érudits sont trop prudents, les commerçants trop craintifs, les tribus trop fragmentées, l’élite trop compromise. De son côté, la diplomatie française a exploité ces divisions de manière magistrale. Même parmi ses propres conseillers, le sultan Abdelhafid a bien connu la trahison. «J’étais un berger dont les chiens couraient avec les loups», écrit-il, réalisant tardivement que la réforme nécessite non seulement des lois et des budgets, mais aussi de la loyauté, un sacrifice partagé et une confiance institutionnelle. Son verdict final est sombre : «J’ai essayé de construire avec des fantômes. Quand j’ai regardé derrière moi, j’étais seul».

Le Protectorat et le dilemme de moulay Abdelhafid

Le sultan Abdelhafid a anticipé une résistance populaire unifiée, face aux colonisateurs, mais il l’a trouvée «trop fragmentée» et peu impactante. Au lieu d’un front collectif, il a été confronté à des calculs tribaux et à des hésitations. Au moment de la prise de conscience nationaliste, l’administration coloniale s’était déjà établie.

Son récit de la signature du Traité de Fès en 1912 est hantant dans sa clarté. «Ce jour-là, ma main tremblait non de peur — mais du poids de mille ans s’effondrant sur mon poignet», écrit-il. Il caractérise l’accord non comme celui du Protectorat, mais comme «une exécution publique de la souveraineté marocaine, avec [lui] comme bourreau involontaire».

Significativement, il note qu’il n’a pas été forcé sous la menace armée, mais contraint par «la cruauté subtile» de l’ordre de l’inéluctable. La France a orchestré ce qu’il appelle «un siège sans canons», à travers la pression économique, le sabotage interne et la complicité des élites. Au moment de la signature, le souverain se trouve isolé et paralysé. Abdelhafid est sans équivoque : «Je n’ai pas vendu le Maroc — j’ai signé sa reddition parce que toutes les autres portes avaient déjà été franchies».

La tragédie, à son avis, est que la France a instrumentalisé le langage de la réforme. «Ils parlaient de routes, d’écoles et de commerce — mais leurs cartes menaient seulement au trésor», écrit-il. Sous le couvert du progrès, les Français ont créé une dépendance : leurs chemins de fer transportent des soldats, leurs écoles réécrivent l’Histoire du Maroc. Les Français «louent notre patrimoine tout en le disséquant, le mettant en exposition dans des musées comme un cadavre habillé de soie», déplore-t-il.

L’exil et le testament historique

Pour Abdelhafid, l’exil est non seulement un éloignement géographique, mais un échec existentiel. «La couronne pèse plus lourd quand elle repose sur une tête vide», réfléchit-il — non par arrogance, mais parce qu’en perdant le Maroc, il a perdu à la fois le territoire et le langage pour le décrire. Selon lui, son exil est confortable en France pour ce qu’il est : «un deuil doré». «Aucun ennemi n’est plus cruel que la mémoire. Elle se rend à votre chevet chaque nuit, non avec des armes, mais avec la voix de votre père demandant, ‘Qu’as-tu fait de notre nom ?’», écrit-il.

Contrairement aux perceptions courantes de la souveraineté comme gloire, Abdelhafid l’a vécue comme un poids insupportable. «Régner sans contrôle, c’est regarder une inondation depuis le toit d’une maison sans portes», écrit-il. Ses mémoires ne représentent pas seulement une réflexion personnelle, mais un testament historique. «Si je dois être rappelé, que ce soit par ma propre plume, non par celle de mes ennemis», déclare-t-il. Son récit n’est alors pas une auto-justification, mais une confrontation avec lui-même, ses contemporains et les lecteurs futurs.

Une voix du passé

Les mémoires du Sultan Abdelhafid deviennent un document significatif pour comprendre l’expérience coloniale du Maroc. Écrits du point de vue unique du monarque qui a signé le traité mettant fin à la souveraineté de son pays, ils proposent des perspectives souvent absentes des récits historiques standard. Outre l’analyse politique, l’angoisse personnelle que le sultan exprime offre une vision nuancée d’un moment historique complexe.

La publication de «Daa’ al-‘Atab Qadim» plus d’un siècle après les événements décrits permet aux lecteurs contemporains d’évaluer l’expérience coloniale du Maroc, avec un plus grand recul historique. La thèse centrale d’Abdelhafid — que le Maroc est tombé non pas principalement à cause de la force externe mais de la faiblesse interne — reste un point de débat historique. Son récit détaillé des intrigues du palais, des compromis religieux et de la faillite intellectuelle présente un contre-récit aux vues simplistes de la colonisation comme une imposition externe linéaire.

Dans ses dernières pages, Abdelhafid s’adresse directement aux générations futures : «Si j’ai échoué, que ce soit une leçon. Si j’ai souffert, que ce ne soit pas vain. Je n’étais pas un sultan parfait, mais je laisse ces mots, en espérant qu’ils protégeront un avenir meilleur que le passé que je n’ai pas pu sauver». Ses mémoires servent non seulement de témoignage personnel, mais d’avertissement sur la fragilité de la souveraineté et les dangers toujours présents de la division interne face aux menaces externes.





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