Si certaines recherches estiment que le cyprès est commun à diverses régions, plusieurs attestent qu’il demeure une espèce endémique au Maroc, où il se situe dans la vallée d’Oued N’fis au niveau de l’Atlas. Professeur émérite à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE) à Aix-Marseille Université (AMU), Thierry Gauquelin a récemment consacré un article exhaustif pour renseigner sur l’histoire et l’état actuel de cette variété d’arbres robustes au royaume. Dans son écrit, le spécialiste français souligne que les facteurs humains et environnemental sont des éléments majeurs de menace sur la pérennité de cette variété.
Entre l’exploitation destinée à l’utilisation du bois par les personnes et le séisme de septembre 2023, la pérennité du cyprès est en effet mise à l’épreuve, bien que cette espèce reste protégée et résiste au réchauffement climatique. Selon le chercheur, la superficie couverte par cette espèce dans sa vallée endémique est estimée à près de 2 180 hectares, «dont environ 70% couverts de bosquets à faible densité». A titre comparatif, les estimations ont été entre 5 000 et 10 000 hectares, durant les années 1940 et 1950. Autant dire qu’en moins d’un siècle, 50 à 80% de la surface du cyprès a été perdue.
Un arbre qui a existé avant les plantes à fleurs
Contacté par Yabiladi, le chercheur marocain en écologie forestière et paysagère Imad Cherkaoui explique qu’au-delà des facteurs humain et environnemental, le recul de la population du cyprès est dû en partie à la nature de l’arbre en lui-même. «Celui-ci se distingue par sa longévité considérable, mais aussi par sa très lente régénération. Ce n’est pas un arbre à fleur et il est loin de faire partie de ceux qui poussent rapidement», nous explique le spécialiste, également professeur à l’Institut scientifique relevant de l’Université Mohammed V à Rabat.
Pouvant mesurer jusqu’à vingt mètres de haut, le cyprès «a atteint une phase de net recul dans sa zone endémique, au point où l’on ne peut pas dire qu’il constitue encore une formation forestière», nous déclare encore le chercheur. Celui-ci affirme qu’«il ne reste désormais que quelques pieds, avec une croissance quasi-nulle, au vu notamment qu’il est en proie au pâturage, rendant la régénération encore plus difficile, ou encore aux incendies de forêt».
Pour sa part, Thierry Gauquelin explique que «l’allure particulière de ces arbres et la proportion importante d’arbres morts sont avant tout à imputer à l’être humain qui, depuis des siècles, utilise le bois de cyprès pour la construction des habitations et pour le chauffage». Le feuillage est coupé également pour nourrir les troupeaux qui parcourent la forêt.
Ce bien naturel collectif est pourtant un trésor multimillénaire, nous affirme Imad Cherkaoui. En effet, «l’existence du cyprès remonte à l’ère des gymnospermes», celle des plantes à graines nues correspondant à l’ère géologique du Mésozoïque, qui s’étend de 252,2 millions d’années à 66 millions avant notre ère. Au cours de cette période, le cyprès a fait partie des espèces dominantes de la flore terrestre, comme divers conifères, cycadales et ginkgos, avant même l’apparition des plantes à fleurs (angiospermes).
A ce titre, Imad Cherkaoui rappelle auprès de notre rédaction que même au Maroc, le cyprès de l’Atlas reste «un conifère rustique antérieur aux plantes à fleurs». En d’autres termes, c’est «une espèce qui peut vivre très longtemps, constituant même une relique des régions tempérées.
«Le cyprès fait partie intégrante de la diversité de la flore marocaine. Sur le plan écosystémique, on peut dire que c’est une pièce importante du puzzle de la biodiversité locale, puisqu’il a diverses fonctions. Au-delà de l’oxygénation et du maintien des sols, il constitue un support important de nidification pour plusieurs espèces d’oiseaux, contribuant ainsi à l’équilibre naturel de la vallée.»
Imad Cherkaoui
Une existence retracée à travers la botanique du XXe siècle
Ancrant son propos dans le constat sur l’état actuel des choses, tout en proposant un aperçu historique, Thierry Gauquelin confirme l’aspect patrimonial que revêt le cyprès au Maroc. Selon le spécialiste, cet arbre est «décrit dès les années 1920», dénotant de l’intérêt qu’il a suscité précocement chez de nombreux botanistes et chercheurs forestiers. «Le premier à faire mention en 1921 de la présence de ce cyprès dans la vallée de l’oued N’Fiss, dans le Haut Atlas, est le capitaine Charles Watier, inspecteur des eaux et forêts du Sud marocain», écrit-il.
Il a fallu attendre 1950 pour que le botaniste français Henri Gaussen «qualifie ce conifère de cyprès des Goundafa» et «l’élève au rang d’espèce» en lui donnant l’appellation scientifique de «Cupressus atlantica Gaussen». Avant cela, l’arbre a été constaté lors d’un voyage au Maroc, en 1948. Cette trouvaille a tout de suite interpellé, puisque cette localisation est bien «éloignée de celles des autres cyprès méditerranéens», constituant «une espèce distincte».
«Son feuillage arbore une teinte bleutée et ses cônes, que l’on appelle familièrement des pommes de pin, sont sphériques et petits (entre 18 et 22 mm)» par rapport à ceux du cyprès commun (Cupressus sempervirens) qui font souvent 3,5 cm. Plus tard, cette variété sera introduite au Maroc. Si le cyprès de l’Atlas «se développe presque uniquement au niveau de la haute vallée du N’Fiss, région caractérisée par un climat lumineux et très contrasté», selon Thierry Gauquelin, Imad Cherkaoui nous affirme l’avoir aperçu dans une autre zone, en retrait de l’Atlas, entre les cols de Tizi n’Test et Tizi n’Tichka, au niveau de la zone reliant Marrakech à Ouarzazate.
Au Maroc, l’Agence nationale des eaux et forêts (ANEF) s’est attelée à renforcer les efforts de conservation de certaines espèces végétales endémiques, ces dernières années. Le cyprès fait partie des variétés consernées par la préservation forestière, notamment à travers le peuplement, la régénération etl’aménagement.
Afin de permettre un processus pérenne, Imad Cherkaoui estime auprès de Yabiladi que la solution à même de maintenir en vie cet arbre est notamment de «réussir des pépinières qui peuvent permettre de multiplier cette espèce». Considéré comme un patrimoine naturel du Maroc, le cyprès pourrait alors se multiplier au niveau de l’ère géographique où il se trouve naturellement.