En Algérie, l’anniversaire de l’assassinat du président Mohamed Boudiaf passe de plus en plus inaperçu, à part quelques brèves sur les colonnes de certains supports papier et dans des sites d’actualité en ligne. Pourtant, cet ancien exilé politique au Maroc, de 1979 à 1992, était présenté comme la solution miracle par les auteurs de l’arrêt brutal du processus électoral de janvier 1992 et la destitution de Chadli Benjedid qui s’en est suivie.
Aux yeux des généraux, Boudiaf était le candidat idéal, remplissant tous les critères exigés pour le propulser à la magistrature suprême. Il était l’un des chefs historiques de la guerre de libération, une victime politique de Houari Boumediene et surtout il était loin de tout clivage politique ou régional, il n’appartenait ni au clan d’Oujda ni à celui des généraux du BTS (du nom des trois villes Batna, Tibissa et Souk Lahrass). En proposant son nom, les militaires voulaient un président fantoche qui règnerait sans toutefois gouverner.
Boudiaf part en guerre contre la corruption
Le 15 janvier 1992, un avion atterri à l’aéroport d’Alger en provenance de Rabat, transportant Mohamed Boudiaf et son épouse, Fatiha. L’accueil était des plus chaleureux, certains diront même trop. L’Etat algérient avait déroulé le tapis rouge pour l’ancien exilé depuis plus de 27 ans. Toute la classe politique, bien entendu à l’exception du FIS (Front islamique du salut), les militaires et les hommes d’affaires avaient répondu présent pour l’accueillir.
Mohamed Boudiaf a également joué le jeu. Sa réplique dans la salle d’attente de l’aéroport, a consisté à dénoncer devant la presse, le projet des islamistes du FIS qui visait à s’accaparer le pouvoir. Le premier jour s’était ainsi déroulé comme prévu. Les généraux Nizar et Kafi, les véritables meneurs du coup d’Etat contre Benjedid, étaient satisfaits de la prestation de leur candidat. Mais, ils allaient vite déchanter.
Dans son premier discours au peuple algérien, Boudiaf promettait une lutte sans merci contre la corruption qui gangrène le pays et l’instauration de la justice. Mieux encore, il demandait aux Algériens de l’aider à accomplir sa mission. Des paroles concrétisées plus tard sur le terrain. Mai 1992, Boudiaf ordonne l’arrestation du général-major Mustapha Belloucif et son incarcération à la prison de Blida pour détournement de milliards de dollars alors qu’il était l’homme de confiance de l’ancien Chadli Benjedid.
Sa rencontre avec Hassan II a précipité son assassinat
L’interpellation de Belloucif n’était pas aussi grave. Certes, depuis quelques temps, les têtes pensantes du Haut conseil d’Etat ne voyaient pas d’un bon œil les initiatives trop personnelles du président mais elle a permis, sans aucun doute, aux généraux Khalid Nizar, Ali Kafi ou Larbi Belkheir de se débarrasser d’un redoutable adversaire.
Par contre, c’est sur le dossier des relations avec le Maroc que Boudiaf et les trois généraux avaient des positions diamétralement opposées. Le projet du voyage du président à Kenitra pour visiter sa famille a été la pierre d’achoppement. Au début, les militaires s’y opposaient farouchement. Face à l’intransigeance de Boudiaf, ils ont fini par lâcher du lest à condition que le président évite tout contact avec le roi Hassan ou ses proches conseillers.
Une fois à Rabat, il s’est tout de même entretenu avec le roi Hassan II. Des sources algériennes avançaient même que Boudiaf aurait promis au roi une solution du conflit du Sahara occidental qui serait bénéfique pour le royaume. De retour à Alger, il accorda un entretien à une équipe de 2M qui réalisait un reportage sur son parcours de Kénitra au palais Al Mouradia. Son approche était logique. Avec une dette à l’époque estimée à 30 milliards de dollars, les finances de l’Algérie pouvaient difficilement continuer à soutenir le Polisario. Pour lui la question du Sahara était «secondaire» par rapport au sauvetage de toute l’Algérie.
Le 29 juin 1992, alors qu’il animait une conférence avec des associations de jeunes à Annaba, un de ses gardes a tiré plusieurs balles sur le corps de Boudiaf. Il est décédé sur le champ. Sa présidence n’aura duré que cinq mois et 13 jours.