Alors que la France et le Maroc cultive de bonnes relations diplomatiques, elles prennent une autre tournure en 1844 lorsque le Maroc répond favorablement à l’aide sollicitée par l’émir Abdelkader El Djezairi (1808-1883), qui se souleva contre l’occupation française dans son pays.
L’Hexagone riposte en s’attaquant à Tanger et en prenant la ville d’Essaouira et l’île de Mogador. Les faiblesses de l’armée marocaine se font sentir, alors qu’elle dominait ses batailles depuis près de deux siècles. En découlera alors le Traité de Tanger, signé en octobre 1844, soit quelques mois après la perte de la bataille d’Isly par le Maroc.
Cinq ans plus tard, le contexte tendu entre les deux pays mène vers une rupture des relations diplomatiques entre la France et le Maroc, en octobre 1849. S’ajoute l’inflation des cours mondiaux de blé qui impactera lourdement plusieurs pays dont le Maroc.
Pillage de marchandises françaises
Le 1er avril 1851, un navire français, chargé de blé en provenance de Gibraltar et à destination de Rabat, chavire non loin des côtes de la ville mitoyenne. La marchandise qui a pu être récupérée sera temporairement stockée dans la ville de Salé. Mais le bruit court très vite dans une ville où la faim fait des ravages ; les pillages se multiplient malgré un avertissement de Mohamed Ben Abdelhadi Zniber, alors pacha de Salé.
Huit mois durant, la France demande le remboursement, en vain. Le gouvernement français décide alors de s’en prendre au Maroc. Ainsi, l’opération débute le 24 novembre 1851, lorsque le contre-amiral Dubordieu, commandant en chef de la division navale expéditionnaire du Maroc, se rend près des côtes de Salé. Un extrait du rapport du contre-amiral évoque une artillerie lourde, comprenant «cinq bâtiments à savoir, le vaisseau Henri IV, de 100 canons, les frégates à vapeur de 450 canons, le Gomer, et le Sané, la corvette à vapeur de 260 canon, le Caton, et l’aviso à vapeur de 160 canons et le Narval».
Les navires français en direction de Salé. / DR
Dans la nuit du 24, des messages sont adressés aux caïds de Rabat et de Salé. Par ailleurs, une lettre est envoyée au consul d’Angleterre à Rabat «pour lui offrir, ainsi qu’à sa famille et aux chrétiens qui se trouvaient en ville, un asile à bord du Caton». Le lendemain, à 11 heures du matin, le Maroc affirme que dans un délai de trois heures des promesses seraient formulées. Cependant, moins d’une heure après, la division du contre-amiral «arrive et défile devant l’entrée de la rivière, en plaçant au poste de combat assigné par le contre-amiral».
Une attaque contre les pirates de Salé
Les discussions sont menées par le consul français, Elton. Après écoulement de l’heure accordée au caïd de Salé, le contre-amiral est prêt pour la sommation n’attendant que le retour du consul. A quatre heures passées, le consul français refait surface et donne à connaitre les réponses des deux caïds. D’un côté Salé, réclamait un délai de six jours pour prendre les ordres de l’empereur. Pourtant, «depuis huit mois les ordres de Moulay Abderrahmane auraient dû être pris», souligne le contre-amiral. A Rabat on déclare s’abstenir dans une «querelle soulevée par des motifs qui lui étaient étrangers». Mais le contre-amiral n’y croit pas, tellement «il semblait impossible que ces deux villes, solidaires l’une de l’autre, et placées à quelques mètres sur les deux côtés de la rivière dont elles commandent l’entrée, puissent ne pas s’entraider contre les attaques des infidèles».
Le soleil se couchant sur le Bouregreg, le contre-amiral décide finalement de reporter l’attaque au lendemain, afin d’«exécuter la volonté du gouvernement français, c’est-à-dire, faire un exemple et prendre en nous-mêmes la satisfaction que les pirates de Salé avaient l’imprudence de nous refuser».
Image d’illustration./Ph.DR
Plusieurs morts et des dégâts colossaux
Au petit matin, Janus, un vapeur anglais vient rapatrier les Anglais remis par le contre-amiral. A dix heures du matin, le contre-amiral ouvre le feu, car voyant les dispositions de défenses des marocains installés sur le fort. Il s’assure ainsi qu’«aucun des signaux indiqués par sa lettre n’avaient été arborés».
Le feu ouvert, les Salétiens ripostent immédiatement. Ceux de Rabat en font autant, mais «avec lenteur et à grandes intervalles de temps». La domination des Français se fait sentir dès la première heure, lorsque les feux de Salé commencent à ralentir.
Les dégâts, après sept heures de tirs, sont impressionnants : tout le fort et ses embrassures sont démolis. La mosquée principale de la ville est elle aussi victime des feux des obusiers français. «Six bombes ont traversé le minaret et un grand nombre de maisons ont été atteintes. L’incendie s’est déclaré sur plusieurs points, et il régnait encore pendant la nuit», indique le rapport du contre-amiral. On compte plus de 22 morts et 18 blessés du côté marocain, et 4 morts et 18 blessés du côté français.
A 10 heures du soir, les navires français quittent les eaux marocaines. Dubourdieu se dirige vers Tanger pour annoncer la nouvelle au consul-général, Bouré. Comme l’affirme de nombreux historiens, le bombardement de la ville de Salé impulsera l’idée du projet colonial au Maroc.