Celui qui se voulait roi visionnaire, Hassan II était derrière l’ambitieuse politique marocaine des barrages lancée au lendemain de l’indépendance du pays. Le 18 septembre 1967, lors d’un discours à Tanger, le roi Hassan II annonçait aux Marocains le projet d’envergure visant à irriguer 1 million d’hectares avant la fin du siècle. A l’époque, seulement 150 000 hectares étaient jusqu’alors irrigués. L’objectif est atteint dès 1997 et le Maroc disposera d’une centaine de barrages construits. Cela permettra aussi au royaume d’être mondialement reconnu en matière de gestion de l’eau.
Dans son ouvrage «L’eau et les hommes au Maghreb : Contribution à une politique de l’eau en Méditerranée» (Editions Karthala, 1993), l’économiste Jean Jacques Perennes revient notamment sur l’histoire de cette politique royale. «Des trois pays maghrébins, le Maroc, indépendant en 1956, est celui qui a conduit la politique hydraulique la plus dynamique, lui permettant d’espérer atteindre le million d’hectares irrigués en l’an 2000. Ce au prix d’un gigantesque effort financier et technique, engagé en particulier dans la construction de barrages et l’équipement des périmètres les plus grands du Maghreb», écrit-il.
«Au cours des années 1960, les choix à faire en matière de développement rural au Marc ont fait l’objet de débats passionnés, donnant lieu à des projets parfois audacieux que l’évolution ultérieure a fait oublier. En effet, le rapport des forces sociales en présence va progressivement clore ce débat au profit de l’ambitieuse politique barragiste qui s’épanouit depuis le plan quinquennal 1968-1972. On ne peut donc dissocier les choix techniques de l’évolution du rapport de forces entre la monarchie, la bourgeoisie commerciale urbaine, l’oligarchie foncière et les masses rurales.»
Le roi Hassan II à l’inauguration, le 12 janvier 1968, du barrage sur l’oued Ziz dans le Tafilalet. / Ph. G.I.
«Un grand dessein pour la nation tout entière pour l’an 2000»
C’est à partir de l’année 1960 que la politique hydraulique du royaume change. Selon l’économiste dominicain, cette politique sera marquée d’abord par l’ère de l’Office national des irrigations (ONI), de 1960 à 1968, puis par le grand programme du million d’hectares irrigués. «Vers la fin des années 1960, le pouvoir marocain va s’engager avec toute son énergie pour réaliser [un] vieux rêve», rapporte-t-il.
D’ailleurs, on constate clairement, dans «La planification au Maroc» de Mohammed Jbilou cet intérêt porté au secteur agricole dès le plan quinquennal 1960-1964, puis dans tous les autres plans économiques du royaume. Le plan triennal 1965-1967 s’était même fixé comme objectif prioritaire la croissance du secteur agricole, et citait la «politique des barrages». Ce plan n’ayant pas réalisé ses objectifs – «il s’est achevé par une dette extérieure lourde et une structure agraire stagnante», toujours selon Mohammed Jbilou -, c’est le plan quinquennal 1968-1972 qui héritera des mêmes priorités. Le Maroc se lancera donc dans la modernisation d’une partie de son agriculture et le roi Hassan II en fait «un grand dessein pour la nation tout entière pour l’an 2000», pour reprendre les mots de Jean Jacques Perennes.
Le 18 septembre 1967 à Tanger, le jeune monarque prononce donc un discours où il insiste sur la nécessité de s’engager dans une politique hydraulique. Un reportage de la RTM en reprenait les grandes lignes :
«Le traitement d’une question primordiale comme la nécessité d’une gestion à long terme de l’eau réside dans le fait de s’engager dans la construction d’un barrage par an. J’annonce donc un objectif national de réaliser un million de hectares irrigués.»
Poursuite des constructions malgré la crise financière
Quelques mois plus tard, lors du lancement des travaux, le 12 janvier 1968, du barrage Hassan Addakhil sur l’oued Ziz, le reportage rapporte la déclaration officielle de feu Hassan II. «J’espère que les autres barrages seront comme celui sur l’oued Ziz. C’est un barrage pour tous les Marocains, ceux au nord, au sud, à l’est et à l’ouest, ceux ayant contribué dans la construction de cette infrastructure et la résurrection de cette terre», déclare-t-il. «Dieu est celui qui vous récompensera pour cela», conclut-il.
En inaugurant le barrage d’Oued El Makhazine le 14 mars 1974, le roi réaffirme ce même objectif. «Nous avons lancé un défi au temps et à nous-mêmes et avons décidé de réaliser le million d’hectares irrigués», lance-t-il, comme le rapporte l’auteur de «L’eau et les hommes au Maghreb : Contribution à une politique de l’eau en Méditerranée».
Toutefois, les événements de la période allant de 1976 jusqu’à 1983 contraindront le royaume à ralentir le rythme des investissements. On parle notamment de l’effondrement du prix des phosphates à partir de 1975-76, la montée des dépenses militaires, puis la sécheresse des années 1980-1985. Une succession d’événements qui entrainera un déséquilibre de la balance des paiements, un déficit budgétaire et un ralentissement de la croissance. Le royaume est donc plongé dans une crise financière grave. A partir de 1983, des politiques sectorielles d’ajustement, parmi lesquelles une réforme de la grande irrigation, viendront relancer l’économie marocaine.
L’objectif atteint en 1997
«Pour marquer sa volonté de donner une impulsion décisive à cette politique, le regretté Souverain décida la construction d’une première tranche comprenant les barrages de Moulay Youssef sur la Tessaout, Hassan Addakhil sur le Ziz, Youssef Ben Tachfine sur le Massa, Mansour Eddahbi sur le Drâa, Idriss Ier sur l’Inaouen et Sidi Mohamed Ben Abdellah sur le Bouregreg», rapporte en 2000 le quotidien L’Economiste. Au lendemain de l’indépendance, le Maroc ne disposait que de 13 barrages. En 33 ans, le roi Hassan II réussit à en construire une centaine. «Le parc des grands barrages est passé de 16 à 100 et la capacité totale de 2,4 milliards de m3 à 15 milliards de m3, ce qui est considérable», poursuit le journal.
Le barrage Youssef Ben Tachfin sur l’oued Massa, dans la province de Tiznit, inauguré en 1972. / Ph. MAP
Ce sont surtout 8 barrages construits entre 1967 et 1974 et 21 barrages entre 1985 et 1986. A cela s’ajoute le fait que le Maroc a acquis dans ce domaine «une expérience et un renom qui expliquent que Casablanca ait accueilli, en 1987, le XIIIe congrès de la prestigieuse commission des irrigations et du drainage (ICID)», commente Jean Jacques Perennes.
Le Maroc atteindra en 1989, la moitié de l’objectif fixé en superficie avec plus de 550 000 ha irrigués en périmètres, pour ensuite franchir l’objectif du million d’hectares en 1997, soit trois ans avant la date fixée au départ.