Parce que c’est hors de l’ordinaire et même difficile à croire, l’écrivain marocain Hassan Ramouti a décidé d’immortaliser l’histoire du marin marocain Larbi Babmar dans un livre intitulé «Al Imtidad Al Azraq» (l’extension bleue). Publié en 2013, l’ouvrage s’est appuyé sur le récit raconté par cet aventurier marocain lui-même, après un voyage qui a duré plus de trois mois.
A l’origine de l’idée de traverser l’Atlantique à bord d’un bateau de pêche, un certain Mohamed Faouzi, originaire de Casablanca, qui est venu un jour proposer ce périple à Larbi Babmar. Il l’a ainsi accepté après avoir consulté ses parents et sa femme. Larbi raconte ainsi dans «Al Imtidad Al Azraq» que sa femme ne s’est pas opposée à cette idée. «Elle pensait que l’Amérique est très proche du Maroc, car elle n’est jamais allée à l’école», écrit-on.
Larbi a admis, plus tard, que ses calculs avant le voyage n’étaient pas corrects, même s’il savait que ce voyage à travers l’océan durera de longs jours, il ne s’attendait pas à ce que cela dure plus de 90 jours. «Je n’avais pas demandé à ceux qui en savent, la distance entre la plage d’Essaouira et l’Amérique. Je pensais que j’y arriverais avec mon ami dans environ un mois», a déclaré Larbi Babmar. «La raison en est que mon ami et moi ne voulons pas que quiconque sache que nous avons fait ce voyage. Tout le monde s’y opposera et nous considérera comme des fous», a-t-il témoigné.
Plus de 90 jours passés en mer
Le choix du 20 août 1989, comme date du début de l’aventure n’était pas arbitraire. Larbi et son ami savait qu’un jour de fête nationale, le mouvement des agents de sécurité dans le port de Mogador sera moindre qu’il ne l’est les autres jours. Larbi Babmar, né en 1950 dans la région de Diabat près d’Essaouira, se rappelle comment son compagnon de voyage était «revenu de Casablanca et avait acheté certains produits, comme une quantité de chocolat, de fruits, de sucre, des figues, de cigarettes et d’huile» ainsi que «des bidons pour stocker de l’eau et deux petites bobonnes de gaz». «Mon ami n’avait pas oublié les outils de pêches lorsque la nourriture sera épuisée, ainsi qu’une petite radio et une lampe de poche», se souvient-il encore.
«Certains amis étaient présents au port pour nous dire au revoir, tout comme mon plus jeune fils. L’image de ses larmes qui coulaient sur ses joues est encore gravée dans mon esprit jusqu’à ce jour.»
Larbi Babmar
Après trois jours de navigation, l’aventurier pense sérieusement à revenir à Essaouira, mais son ami tente de le persuader. «Quand le bateau quittait le port, je regardais de temps en temps en arrière, en voyant la terre ferme et ma ville qui s’éloignait lentement. J’avais de la peine, puisque son port faisait partie de mon enfance et de ma jeunesse», se remémore-t-il.
Au début, le marin comptait les jours, en creusant une marque distinctive avec un outil tranchant sur le bord de son bateau, avant d’abandonner cette habitude, car «les jours étaient devenus les mêmes» pour lui. Pendant ce périple, les conversations étaient devenues un moyen pour oublier le temps.
La couverture du livre «Al Imtidad Al Azraq» de Hassan Ramouti. / DR
Après que leur nourriture s’était épuisée, les deux Marocains s’étaient tournés vers la pêche. «Nous avions l’habitude de vider les entrailles du poisson et de le mettre au soleil pour devenir de la nourriture pour nous pendant notre long voyage», raconte Larbi Babmar, qui décrit aussi de violentes tempêtes ayant menacé leur vie, mais qu’ils ont réussi à éviter grâce à la sagesse de ce marin et son expérience. «J’avais, une fois, aperçu un gros poisson. Il me semblait au début comme s’il s’agissait d’un petit sous-marin», décrit-il encore.
«La prière faisait partie de mon rituel, car il s’agit d’une obligation qu’il faut préserver. Cela me rassurait et me rappelait que Dieu est avec moi, au milieu de ce vaste monde d’eau salée.»
Larbi Babmar
Une arrivée en Guyane française au lieu des Etats-Unis
Mais les deux aventuriers commencent à perdre espoir d’arriver sur la terre ferme, d’autant plus qu’ils commencent à souffrir de perte de poids et de difficultés de mouvement, leur voyage ayant dépassé trois mois. Un jour, son compagnon qui se tenait régulièrement à la proue de l’embarcation en regardant l’horizon comme s’il avait le sentiment d’apercevoir quelque chose, crie soudainement : «Si Larbi. Je vois quelque chose. Oui, je vois des rochers au loin, peut-être une île.»
Larbi Babmar, qui avait perdu l’espoir, croit d’abord qu’il s’agit d’un «mirage». «J’avais cru que ce ne n’était qu’un nuage gris foncé à l’horizon ressemblant à une forêt, mais c’était une rangée d’arbres compacts», se rappelle-t-il. «Ce n’était pas les côtes de l’Amérique, comme nous l’espérions, mais d’un monde encore nouveau ; un pays dont je n’avais jamais entendu parler auparavant», ajoute-t-il. C’était, en effet, la Guyane française.
Après leur arrivée, les deux aventuriers annoncent à des marins, «dont certains parlaient difficilement français», qu’ils étaient venus du Maroc et qu’ils viennent de traverser l’océan. «Ils étaient restés stupéfaits. Peut-être qu’ils n’avaient pas cru ce que nous disions ou ne savaient pas où se trouve le Maroc», abonde-t-il.
L’administration portuaire n’avait pas non plus cru leurs histoires, tout comme la police de la Guyane, qu’après avoir inspecté le bateau, effectué une fouille et transféré les deux Marocains vers un hôpital. «Nous y avions reçu des soins médicaux et une grande attention de la part des médecins et des infirmières. Nous n’y étions pas restés longtemps et lorsque nous l’avions quitté, nous avions reçu des papiers de résidence temporaires», précise-t-il. La nouvelle de leur arrivée s’était alors répandue et leur bateau faisait l’objet de nombreuses visites.
Une plage de la Guyane française. / DR
Un retour au Maroc après un an et demi passés en Guyane
Mais Larbi et Mohamed Faouzi finissent par se séparer. Ce dernier était alors parti travailler dans la construction puis dans la mer avant de prendre la décision de retourner au Maroc. Quant à Larbi Babmar, il tente de joindre sa famille par téléphone, mais n’y parvient pas.
Il rencontre ainsi un journaliste voulant l’interviewer, qui parvient à trouver le numéro de téléphone de la police à Essaouira. «J’avais appelé et demandé un brigadier de police, qui a dépêché quelqu’un pour informer ma famille. Mais après mon deuxième coup de fils, on m’avait demandé de ne pas rappeler ce numéro», se souvient-il.
Le Marocain parvient finalement à obtenir le numéro de téléphone d’un café proche de sa maison, appelle sa famille et décide de rester en Guyane pour un an et demi avant de rentrer au Maroc.
«Je n’avais pas trouvé de problème de voyage, car la Guyane fait partie de la France. Donc j’avais voyagé avec les mêmes papiers d’identité qui m’avaient été donnés. Le billet n’était pas très cher, étant à partir d’un département français. C’était environ neuf cents dirhams marocains.»
Larbi Babmar
De la Guyane vers l’aéroport de Paris Orly puis vers l’aéroport de Casablanca, le Marocain passera toutefois quelques jours en détention chez la police. Après sa libération, il retourne à Essaouira, auprès de ses amis, sa famille et sa femme, qui lui en voulait car il l’avait laissé sans soutien.
Dans une déclaration à Yabiladi, l’écrivain marocain Hassan Ramouti confie que Larbi Babmar a aujourd’hui environ 70 ans, souffre de la maladie d’Alzheimer et sa santé se détériore, précisant que les ventes de son livre, qui retrace ce périple, ont été cédées à cet aventurier marocain.