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Lalla Batoul ou l’histoire de la première prisonnière politique du Maroc moderne


Lalla Batoul est la première prisonnière politique du Maroc. Son récit est devenu célèbre en 1910, lorsqu’elle a été arrêtée aux côtés de son mari, l’un des hommes les plus puissants de Fès. Son arrestation était cependant politique et impliquait le Sultan, le Pacha et les puissances européennes. Lalla Batoul était, en effet, l’épouse du gouverneur de Fès, Hajj Benaissa.

Mais elle était plus que la femme d’un homme du Makhzen. Femme aristocratique, elle était décrite comme celle ayant allié beauté, prestige et intelligence. Les récits historiques suggèrent que cette Marocaine était une «femme puissante qui a défié la marginalisation des femmes». Elle maîtrisait plusieurs langues étrangères, avait d’importantes femmes européennes comme amies et investissait son propre argent.

Une femme puissante, torturé en présence du sultan

Tous ces traits non conventionnels ont apporté à Lalla Batoul une sorte d’attention que personne n’aurait demandée. Étant l’épouse du Pacha, proche du sultan déchu Moulay Abdelaziz, Lalla Batoul a été arrêtée et torturée. «Après que (Moulay) Abdelhafid ait renversé son frère (Moulay) Abdelaziz, il a lancé une campagne de chasse aux sorcières contre les aides de son frère dont Benaïssa», écrit Brahim El-Guabli dans un article intitulé «From Lalla el-Batoul to Oum Hamza : Moroccan Women’s On-going Fight for Equality and Dignity».

L’arrestation de Benaïssa et de son épouse a été suivie de la «confiscation de leurs biens», du harcèlement et de la torture. Mais l’arrestation et la torture de Lalla Batoul ont été interprétées différemment par les oulémas. Citant des documents diplomatiques, El-Guabli a écrit que «sa torture et son emprisonnement dans le harem du sultan étaient également le résultat de sa modernité, qui agaçait les pouvoirs en place à l’époque, comme c’était le résultat de l’affiliation de son mari avec le sultan Abdelaziz».

Le sultan Moulay Abdelhafid. / DRLe sultan Moulay Abdelhafid. / DR

Pendant ce temps, les historiens Rachel G. Fuchs et Anne Epstein ont rapporté dans leur livre «Gender and Citizenship in Historical and Transnational Perspective : Agency, Space, Borders» (Editions Macmillan International Higher Education, 2016) que «le sultan voulait briser la volonté de Batoul sans la tuer, non seulement pour obtenir les informations souhaitées mais aussi pour lui rappeler spécifiquement le rôle de soumission exigé des femmes dans la zone du harem».

Et c’était ainsi que Lalla Batoul a été emmenée dans une cellule du palais à Fès pour être torturée sous les yeux du Sultan. «Batoul a été crucifié et une barre de fer a été utilisée pour lui piquer les seins alors qu’elle était pendue nue au mur d’une cellule à l’intérieur du palais à Fès», écrit El-Guabli. «Pire encore, Batoul a été torturé en présence du Sultan.»

Libérée grâce à une pression diplomatique

En raison de ses relations et amitiés antérieures, Lalla Batoul a réussi à mettre la lumière sur cette expérience douloureuse. Son histoire dramatique, son arrestation et sa torture ont été publiées dans des journaux internationaux, dont le Temps et le Times, ce qui causera «une grande gêne pour le sultan Moulay Abdelhafid», rappellent Fuchs et Epstein.

Une mobilisation plus poussée a fini par porter ses fruits et aider la Marocaine. Selon les deux historiens, une lettre d’un représentant de la France à Tanger datée du 27 juin 1910 au ministre français des Affaires étrangères a dénoncé les violences contre Lalla Batoul.

«Notre Consul à Fès a eu l’occasion d’interroger le Sultan sur l’actualité liée aux tortures infligées à l’épouse de l’ancien Pacha Benaïssa (…) il a insisté pour que Lalla Batoul, toujours emprisonnée à Meknès, soit amenée à Fès, où la femme du médecin de notre clinique pourrait l’examiner. Finalement le Sultan y consentit».

Extrait de la lettre adressée au ministre français des Affaires étrangères

En août, Batoul a, en effet, été examinée et le rapport médical a montré qu’elle avait subi une crucifixion, une fracture du bras gauche avec luxation du coude et une grave entorse de l’épaule.

La pression diplomatique a finalement permis la libération de Lalla Batoul qui a été envoyée au Harem de Dar Makhzen. Elle a été autorisée à vivre dans une maison privée avec sa mère et ses enfants à Meknès, portant les cicatrices de cet épisode dramatique jusqu’au dernier jour de sa vie.





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