A Tanger, Tétouan, Nador, Al Hoceïma et Oujda, ainsi que dans d’autres villes, la situation des patients traités à la méthadone est intenable. Depuis le début de ce mois de mars, ils ont été nombreux à craindre une rupture totale des stocks, qui a fini par se produire. Jeudi, des rassemblements ont eu lieu devant des centres de distribution de ce traitement de substitution, que le Maroc a été le premier de la région arabe à adopter contre l’addiction à l’héroïne.
Parmi les anciens dépendants aux drogues, beaucoup craignent la violence d’un sevrage qui les replongerait dans leur consommation passée. A Tétouan, la situation a nécessité l’intervention de la Protection civile, hier, après que certains manifestants ont perdu connaissance. A Tanger, les autorités locales sont intervenues pour dégager la voie.
Des organisations professionnelles appellent à une intervention urgente
Psychiatre clinicien à Tanger, Dr Adnane Benazzouz a confirmé à Yabiladi cette rupture de stock. «J’en ai été informé par des patients qui n’ont plus accès à la méthadone», nous a-t-il déclaré, ce vendredi.
«Hier, l’un de mes anciens patients traités pour sa dépendance à l’héroïne m’a reconsulté, paniqué par cette indisponibilité», a ajouté le praticien. Par ailleurs, celui-ci souligne ne «pas avoir été informé avant la rupture» par l’administration ou par la direction régionale de la Santé et de la protection sociale.
«Je sais que c’est un produit importé de l’étranger et que le problème actuel y serait lié, mais nous savons aussi que ce traitement a toujours été disponible, depuis son introduction au Maroc. Dans mon expérience personnelle, c’est pour la première fois que nous sommes confrontés à une absence totale sur le marché.»
Dr Adnane Benazzouz, psychiatre clinicien
Contactés également par Yabiladi ce vendredi, des professionnels au sein de la Fédération nationale de santé affiliée à l’Union marocaine du travail (UMT), dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, ont confirmé ce constat. La veille, le Syndicat national de la santé publique au sein de la Fédération démocratique du travail (FDT) a alerté sur la situation, en déplorant l’état des patients et en évoquant des conditions de plus en plus difficiles pour le personnel soignant.
Dans un communiqué, l’organisation syndicale décrit une «dégradation des conditions de travail dans les centres d’addictologie de la région, avec des risques d’agressions contre les soignants, notamment dans les centres de Tétouan et de Bir Chifa à Tanger». En l’espèce, le syndicat a exigé de l’administration de tutelle qu’«elle réduise au minimum les prestations de soins dans ces centres, jusqu’à ce que le traitement à la méthadone soit disponible».
Selon le bureau régional, la situation concerne «les cinq centres d’addictologie au niveau de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, livrés à eux-mêmes» et en proie au sevrage de «patients en vulnérabilité sociale et en détresse psychologique, impuissants face aux effets provoqués par l’interruption de l’approvisionnement en méthadone pour la troisième semaine consécutive».
Une circulaire réduit les doses de méthadone, sans informer les organisations
Alertant depuis deux semaines sur l’épuisement des réserves disponibles, des organisations de la société civile ont également rappelé le rôle essentiel de la méthadone dans le traitement de la dépendance aux opioïdes, qui permet de réduire les risques sanitaires et sociaux liés à la toxicomanie. Pour optimiser l’utilisation des stocks et assurer la continuité du traitement le plus longtemps possible, elles font savoir que le ministère de la Santé et de la protection sociale a pris une série de mesures, prévues par une circulaire.
Cette décision vise notamment à «réduire automatiquement et systématiquement les doses par catégorie et pour tous les patients, y compris les personnes vivant avec le VIH, les patients atteints d’hépatites B et C, ainsi que les patients atteints de tuberculose», indique une déclaration collective. Signée par l’Association de lutte contre le sida (ALCS), l’Association Hasnouna de soutien aux utilisateurs de drogues (AHSUD), le Réseau national de réduction des risques de drogues (RdR Maroc) et ITPC-MENA, celle-ci met en garde contre les graves répercussions sur la santé des patients.
Les instances s’inquiètent également des conséquences d’une telle mesure sur le Programme national de lutte contre le VIH, soulignant que le maintien d’une réduction soudaine risque de «compromettre les efforts nationaux visant à éliminer le sida au Maroc d’ici 2030». A ce titre, elles soulignent «ne pas avoir été consultées, ni même informées en tant que partenaires». Selon elles, elles en ont été notifiée seulement à la découverte des affiches placardées à l’entrée des centres d’addictologie, «comme d’autres bénéficiaires».
Alors que le ministère de la Santé ne s’est pas exprimé sur le sujet, les signataires estiment que les solutions proposées par le département «restent insuffisantes et pourraient avoir des conséquences désastreuses». A ce titre, ils insistent que «la réduction de la dose de méthadone doit être effectuée conformément aux protocoles approuvés au niveau national et international, y compris les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, sur le consentement nécessaire patient».
Dans le même sens, les ONG rappellent que «l’arrêt de la fourniture de ce traitement entraînera un taux élevés de rechute et de reprise de la consommation de drogues, des cas de sevrage entraînant des souffrances psychologiques et physiques et un impact négatif sur l’intégration sociale et professionnelle» des concernés.