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La Reconquista ou la douleur d’un départ forcé pour les familles juives


Les communautés juive et musulmane d’Al-Andalus vécurent les conséquences de la Reconquista (722-1492) dans leur chair. Plusieurs voyaient là les prémices de la chute des principautés musulmanes aux aurores du XVe siècle, ce qui les poussa à quitter la péninsule ibérique pour s’installer ailleurs, notamment dans des villes du nord et du centre du Maroc.

Certaines d’entre elles, à l’image de Chefchaouen, virent ainsi le jour sur les vestiges du règne califal andalou. Elles finirent par accueillir une bonne partie de ces familles poussées à l’exode, qu’elles fussent juives ou musulmanes. L’accession au pouvoir du roi Ferdinand II d’Aragon (1474-1503), dit Le Catholique, précipita en effet ce déplacement.

Avec la chute de Grenade (2 janvier 1492), dernier bastion des principautés musulmanes d’Al-Andalus, l’expulsion des non-chrétiens fut ordonnée expressément. Depuis, des familles tentèrent de panser les plaies de ce déracinement en élisant domicile au Maroc.

La même année, un édit fut publié dans ce sens. Appelé le «décret de l’Alhambra», ce texte daté du 31 mars 1492 et prenant effet premièrement à Grenade, trois mois après sa prise aux musulmans, énonçait que les juifs n’étaient «pas autorisés à rester dans le royaume espagnol et que [toute personne] désirant se convertir était la bienvenue».

Les récits du départ des familles juives

Aussi le «décret de l’Alhambra» confirma-t-il le plein pouvoir des inquisiteurs. Il leur ordonna en effet de continuer à «démasquer» des non-chrétiens qui auraient caché leur foi, ou encore des chrétiens les ayant aidés à ne pas se faire repérer, comme ils le firent au cours des dernières années avant la chute de Grenade, plus précisément à partir de 1478, avec la création officielle du tribunal du Saint-Office de l’Inquisition.

Dans l’un de ses écrits documentés, l’enseignant-chercheur Mohamed Chtatou, de l’Université Mohammed V à Rabat, se basa sur les versions relatées par des juifs qui vécurent ce douloureux épisode de l’histoire, couché sur papier entre avril et mai 1495. En filigrane, il souligna que «la majorité de la population de ce pays était juive jusqu’à l’arrivée du christianisme», de même que la conversion des habitants se fit «tantôt par la persuasion, tantôt par la force», au cas où une taxe ne devait pas être versée obligatoirement dans l’espoir de s’épargner une persécution, restée pourtant une réalité quotidienne.

A l’achèvement de la Reconquista, Le Catholique ordonna ainsi l’expulsion immédiate de tous les locaux de confession juive, dans un délai de trois mois. En parallèle, il procéda à l’expropriation de tous leurs biens, dans l’idée que l’influence de l’Eglise catholique devait confirmer sa reprise de contrôle sur la région. Selon Mohamed Chtatou, près de 250 000 juifs prirent le large à bord de navires marchands à destination de pays européens ou nord-africains, pratiquement sans bagages.

Le chercheur se basa sur des descriptions reproduites en hébreux par l’un des déplacés, où celui-ci évoquait des familles d’«artisans, pour la plupart», propriétaires de «maisons, de champs, de vignes et de bétail» et qui fréquentaient assidûment «les académies [talmudiques]». Ce fut notamment le cas des rabbins «Isaac Aboab à Guadalajara [probablement le plus grand rabbin espagnol de son temps], Isaac Veçudo à León» ou encore «Jacob Habib à Salamanque [plus tard auteur d’une collection de pièces célèbres du Talmud]».

Le sort qui fut réservé aux familles non-chrétiennes vivant dans la partie portugaise de la péninsule ibérique fut tout autant tragique. En 1493, le roi catholique Juan (1481-1495) exploita en effet les «séfarades et leurs enfants sur l’île de Santo Tomas, au large des côtes africaines». Par ailleurs, le monarque ordonna aux juifs de Lisbonne «de ne pas élever leurs voix dans leurs prières, afin que Dieu n’écoute pas leurs plaintes au sujet de la violence qui leur fut infligée», comme le rappela Mohamed Chtatou.

L’antériorité du judaïsme ibérique

Pourtant et sur la péninsule ibérique, l’existence de ces communautés aurait été plus antérieure que la chrétienté, de la même manière que ce fut le cas dans le Maroc actuel. Ce point de vue fut soutenu par nombre d’historiens et de spécialistes, comme l’enseignant-chercheur Mohamed Chtatou.

Les recherches de celui-ci soulignèrent que les juifs vivaient au Maroc depuis plus de deux millénaires, constituant la communauté juive la plus importante du monde musulman. Avec la destruction du deuxième temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70, ils auraient afflué en nombre et élirent domicile en Afrique du Nord, mais également sur la péninsule ibérique.

De là au XIe siècle, les Almoravides (1040-1145) lorgnaient toujours sur une alliance efficace avec les communautés juives pour élargir leur zone d’influence à Al-Andalus. Là-bas, les familles juives constituèrent en effet un allié de taille pour les sultans amazighs musulmans. En revanche, cela ne fut pas toujours le cas de l’autre côté de la Méditerranée, où Mohamed Chtatou rappela des évènements violents ayant visé cette communauté entre 1121 et 1269.

Après les Almoravides, les Mérinides (1244-1465) firent des juifs leurs alliés. Le fait de leur accorder certains privilèges de pouvoir leur valut même la contestation de certains oulémas. A rebours de ces dernières, les juifs furent logés par les sultans mérinides «dans un quartier proche du palais de Fès Jdid, où se trouvait une ancienne mine de sel, d’où l’appellation du Mellah donnée aux quartiers juifs», nota encore Mohamed Chtatou.

Au fur et à mesure des pouvoirs qui se succédèrent sur le Maghreb occidental et Al-Andalus, la cohabitation pacifique dans l’ensemble, avec les musulmans; dura jusqu’à la chute de Grenade. Les liens ne se coupèrent pas pour autant, puisqu’ils trouvèrent leur continuité dans la rive sud de la Méditerranée.

Entre ces deux longues périodes, certains juifs finirent par se convertir à l’islam. La publication du «décret de l’Alhambra» annonça l’exode, mais quelques familles d’ascendance juive décidèrent de résister. Ainsi, elles pratiquèrent clandestinement leur culte dans les royaumes portugais et espagnol, où ils étaient qualifiés de «marranes» (porcs).

Le nombre d’Ibériques de confession juive ne cessa de baisser depuis. En Espagne, on en comptabilisa quelques 12 000 au cours des années 2000, dont les héritiers séfarades constituèrent près d’un cinquième de la population mondiale de confession juive.

Dans ce sens, l’étude intitulée «L’héritage génétique de la diversité religieuse et l’intolérance : Lignées paternelles des chrétiens, des juifs et des musulmans dans la péninsule ibérique», appuyée par l’Université de Leicester en Angleterre, souligna que près de 20% de la population espagnole aurait au moins un aïeul séfarade.





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