Après les actions de l’armée de libération du 2 octobre 1955, le Protectorat français mena des représailles contre tous les habitants des zones ayant participé à l’offensive des résistants. Ainsi, sous les ordres de nombreux officiers français, des renforts furent envoyés à Marmoucha, au «triangle de la mort» et à d’autres régions depuis Taza, Fès et l’aéroport de Meknès. Des attaques au sol d’une extrême violence furent lancées contre les populations civiles.
Le 7 octobre 1955, le ministre français de la Défense arriva à Bourred et donna ses instructions pour envoyer des milliers de soldats, une flotte d’aéronefs et du matériel militaire lourd pour contrer l’armée de libération.
La réponse de la France aux actions du 2 octobre 1955
Les renforts militaires mobilisés dans les zones ayant vu la naissance de l’armée de libération étaient composés des goumiers, des membres de l’armée régulière française comprenant des soldats marocains et algériens, des tirailleurs sénégalais, en plus de parachutistes, de soldats d’alpinisme et de chiens dressés pour retrouver des membres de la résistance. Les munitions et les médicaments furent transportés à dos de juments et des chars furent dépêchés, ainsi que de l’artillerie lourde, des bombardiers, des mitraillettes, des avions de reconnaissance et des avions de guerre qui attaquèrent aveuglément la tribu. Des maisons furent détruites et incendiées, des habitants tués et des champs agricoles entièrement dévastés.
A Gueznaya, la résistance réussit à vaincre les manœuvres du colonisateur qui se servait de mercenaires au sein de «La Partiza». Celle-ci fut constituée d’hommes de la tribu de Ghayata et des villages voisins avec à leur tête Bennasser Ould Caïd Mejjati, qui était chargé d’éliminer les meneurs de l’armée de libération, comme le rappela Abdelaziz Akdad dans ses mémoires.
La population locale paya le prix de la résistance
Les habitants des zones où l’armée de libération avait commencé vécurent des épreuves difficiles. Beaucoup furent emprisonnés et assignés à résidence, tandis que leurs mouvements furent restreints et contrôlés de près. Le Protectorat redoutait en effet une adhésion en masse à l’armée de libération après le 2 octobre 1955.
Après avoir pris le contrôle dans la région de Marmoucha, les autorités coloniales tentèrent de récupérer les armes saisies par l’armée de libération dans la nuit du 2 octobre. Elles offrirent 25 000 000 francs pour chaque pièce restituée, selon les mémoires de Mimoune Ouakka.
Les autorités françaises eurent l’intention de brûler la maison de Ouakka et de son frère Mohammed avec les personnes qui y étaient. L’intervention d’un sage du village permit d’épargner les femmes et les enfants, par crainte que ces représailles ne provoquent une révolte populaire. Les habitations furent ensuite incendiées.
Dans ses mémoires, Mimoune Ouakka rappela comment les autorités françaises maltraitèrent les tribus en mettant le feu aux maisons, en pillant les bergers de près de 5 000 moutons à Aït Tassuant et de 3 000 autres à Aït Samah. Dans ses opérations, le Protectorat engagea une partie d’Aït Tassuant Qarqass, les tribus d’Aït Youssi, Aït Serghouchen, les Ait Yosi, Kit Sargoush et Béni Hssain.
Cet état de siège fut imposé aux résistants de Marmoucha après qu’ils furent ralliés par Benkaddour (connu sous le nom d’Amziane), accompagné d’un groupe de combattants venus de Birkine et ayant caché des armes. Sur leur route vers les environs de Taza, ils furent pris dans une course poursuite menée par les Français à l’aide d’hélicoptères et d’armes. Ils furent également bloqués par les Espagnols lorsqu’ils franchirent leur zone d’influence dans le Rif.
L’exode des villageois et des tribus de Gueznaya
Avant le lancement des actions de l’armée de libération à l’aube du 2 octobre 1955, plusieurs habitants de la région de Gueznaya se préparaient déjà à la guerre. Ainsi, plusieurs agriculteurs locaux ensevelirent leurs stocks et leurs biens.
Craignant la réaction du colonisateur, les habitants étaient même préparés à quitter leurs maisons dans la nuit du 1er octobre 1955. En attendant le début de l’attaque à une heure du matin, tous étaient dans l’expectative et une situation d’incertitude régna. Des familles se dirigeaient déjà aux régions sous influence espagnole, mitoyenne à Gueznaya.
Nous avions rencontré une mère de deux enfants qui avait vécu cet épisode historique. Elle faisait partie des déplacés, avec son fils et sa fille de quarante jours, qui décéda en cours de chemin. Elle nous raconta comment les villageois de Béni Touzine et Béni Ouryaghel entreprirent leur périple à l’aube du 2 octobre 1955 et passèrent une nuit de marche ininterrompue, puis firent escale sous les grenadiers de Larba tourath. Ils se chauffaient grâce à un feu de bois qui leur permettait aussi de faire à manger aux enfants. Ils furent ainsi exposés aux avions de reconnaissance des Français qui entamèrent bientôt des bombardements aériens, ce qui poussa les déplacés à éteindre le feu et à reprendre leur marche vers un endroit plus sûr.
La femme nous raconta que celles et ceux en connaissance des attaques de libération du 20 octobre 1955 s’y préparaient en cachant leurs biens. En revanche, ceux qui n’étaient pas au courant durent quitter les lieux en y laissant tout ce qu’ils possédaient et qui fut saisi par le colonisateur. Par conséquent, certains villages furent entièrement abandonnés. D’autres habitants restèrent sur place, étant membres des familles de résistants. Ceux qui avaient des liens avec le colonisateur ne furent pas concernés par l’exode, mais se chargèrent de piller les habitations abandonnées, sous la protection du Protectorat. Les récoltes et les biens des déplacés furent ainsi détruits, parallèlement aux bombardements aléatoires et aux représailles contre les populations qui étaient du côté de l’armée de libération.
Pendant neuf mois, des villages restèrent inhabités. Cet exode forcé s’accompagna de grandes tragédies, notamment la perte de biens, les nombreux morts et blessés parmi les civils, particulièrement les femmes, les enfants et les personnes âgées qui étaient nombreux à se déplacer, après le bombardement aérien de la nuit du 2 octobre 1955, selon les témoignages.
Sur cette route, de nombreuses femmes mirent au monde leurs enfants, sous les arbres et pendant le déplacement des populations en masses. Beaucoup d’entre elles développèrent ensuite une stérilité liée aux conditions d’accouchement, tandis que plusieurs nouveau-nés décédèrent quelques jours après leur naissance. Pendant neuf mois, ces familles-là furent accueillies à bras ouverts par d’autres qui les reçurent et l’hébergèrent chez eux.
Quant aux habitants des villages de Gueznaya, ils ne purent retrouver leurs domiciles qu’en juin 1956, soit jusqu’à l’élimination de grandes figures de l’armée de libération et l’assassinat d’Abbas Messaâdi, l’un de ses éminents dirigeants.