Non, la jeunesse marocaine n’a pas tourné le dos à la citoyenneté. C’est le message fort du rapport « Comment les jeunes voient-ils l’engagement citoyen ? », présenté ce jeudi 17 juillet par l’association Les Citoyens. Pendant plus d’un an, l’équipe a sillonné les 12 régions du pays, organisé 49 rencontres dans des cafés, quartiers, villages… Au cours de ces 12 mois, plus de 1 100 jeunes ont pris la parole pour dire ce qu’ils pensent de l’engagement citoyen. Et ce qu’ils disent est clair : ils veulent participer, mais ne trouvent pas leur place.
«On fait beaucoup, mais personne ne le voit», lance un jeune, rencontré lors d’un Café Citoyen, cité dans le rapport. Cette phrase, qui revient souvent, résume bien le sentiment général des personnes interrogées, et fait particulièrement écho chez les jeunes issus des milieux ruraux. Effectivement, plus les jeunes vivent loin des centres urbains, plus leur besoin d’écoute se fait sentir. L’éloignement géographique s’accompagne souvent d’un isolement institutionnel, mais la volonté de s’impliquer, elle, reste intacte.
De façon générale, les jeunes sondés veulent agir mais se heurtent à l’indifférence des responsables, à des démarches trop complexes, et souvent à une méconnaissance des outils de participation.
Basma Guidani, Ambassadrice Mentor Casablanca Settat ©DR
Des formes d’engagement invisibles… mais bien réelles
Derrière le désintérêt apparent, c’est surtout une autre manière de s’engager qui émerge. Moins formelle, plus locale, plus spontanée. Campagnes de propreté, vidéos de sensibilisation, aides aux familles, projets culturels ou écologiques… Les initiatives se multiplient dans les quartiers, portées par des groupes de jeunes, sans structure officielle, et avec très peu de moyens.
Effectivement, à Casablanca, à Nador ou dans des communes rurales, certains se réunissent dans un café du quartier, qui leur prête un coin de salle après les heures de forte affluence. Ils mettent en commun leur argent de poche, bricolent avec ce qu’ils ont, et lancent des projets à impact local. Ils sont pleins d’idées, ils créent, ils agissent, mais tout ça reste dans l’ombre, regrette Basma Guidani, ambassadrice du projet, lors du point presse à Casablanca.
Selon elle, ces jeunes ne demandent pas de grands moyens, mais juste «un peu de reconnaissance pour ce qu’ils font, même à petite échelle, et des fonds simples et accessibles pour soutenir leurs initiatives de quartier».
72 % des jeunes interrogés voient d’ailleurs le monde associatif comme un espace d’engagement fort, mais rares sont ceux qui connaissent leurs droits civiques, ou les outils prévus par la Constitution pour participer à la vie publique. Beaucoup ne savent même pas qu’on peut lancer une pétition ou faire une proposition au conseil communal. Et quand ils le savent, les démarches sont tellement complexes qu’ils finissent par abandonner.
Manque de confiance envers les institutions
Un chiffre parle de lui-même : 70 % des jeunes ne font pas confiance aux élus. Ce n’est pas une haine de la politique, mais une vraie crise de confiance. Ils racontent aux bénévoles avoir été confrontés à des consultations sans suite, des promesses sans résultat, et surtout confient leur sentiment d’inutilité.
«Notre voix ne change rien», déclarent-ils régulièrement. Derrière leur phrase, un fossé. Celui qui sépare les institutions et une génération qui ne demande pourtant qu’à être écoutée. En plus d’être encadrée et “sensibilisée”, elle souhaite être considérée comme un partenaire. Or, à ce jour, 48 % des jeunes évaluent à 1 ou 2 sur 5 l’efficacité des mécanismes participatifs. De la même façon, 75 % d’entre eux estiment qu’ils auraient besoin de formations en citoyenneté, en droit ou en prise de parole pour pouvoir s’impliquer correctement.
Des pistes concrètes pour une démocratie plus participative
L’un des mérites du rapport des Citoyens est de ne pas se limiter à une critique. Il propose une série de recommandations concrètes, applicables à court, moyen et long terme, pensées avec les jeunes eux-mêmes. Parmi les plus marquantes :
- Activer les commissions consultatives jeunesse dans les communes et régions, aujourd’hui trop souvent dormantes, afin d’offrir un cadre officiel à leurs propositions.
- Créer un fonds régional dédié aux initiatives citoyennes informelles, avec des critères simples (formulaire en darija, vidéo de présentation…).
- Transformer les maisons de jeunes en hubs d’action civique, où pourraient se tenir débats publics, formations, cafés citoyens ou clubs de projets.
- Lancer une plateforme mobile multilingue (darija, amazighe, arabe classique), permettant de proposer des idées, soutenir des pétitions ou s’informer sur les droits participatifs.
- Mettre en place des budgets participatifs jeunes dans chaque région, pour que les jeunes puissent proposer et voter sur des projets à financer.
- Valoriser l’engagement via une campagne nationale annuelle (« Les Jeunes Changent le Maroc ») diffusée sur les chaînes publiques, les réseaux sociaux et les radios locales.
Autre solution abordée lors du point presse : l’intégration d’un module de citoyenneté active à l’école, dès le collège, basé sur des méthodes participatives (visites de terrain, jeux de rôle, clubs citoyens…).
Enfin, le rapport insiste sur l’importance du numérique. Les jeunes y sont très présents, mais les plateformes publiques sont peu adaptées. Un jeune sur deux ne signe pas de pétitions en ligne, faute d’ergonomie, de clarté, ou simplement de réponse. Il est temps, dit l’étude, de considérer l’e-participation comme un espace politique à part entière.
©DR
Une jeunesse lucide, prête à agir si on lui ouvre la porte
Ce rapport est une alerte, mais aussi un appel à l’action. Il envoie un message fort aux décideurs : la jeunesse marocaine n’est pas dépolitisée, elle est découragée. Elle ne veut pas seulement qu’on la sensibilise, elle souhaite qu’on l’écoute, qu’on l’implique, qu’on lui fasse une vraie place en la reconnaissant pleinement. Pour ce faire, le dialogue avec les décideurs politiques doit se renouer, afin de leur accorder plus de confiance, d’espaces et de pouvoir d’agir.
Cette étude sociologique veille ainsi à porter la voix de la jeunesse et invite les politiciens à repenser la citoyenneté, de manière à ce qu’elle soit plus ancrée localement et plus en phase avec la réalité du terrain.
Répartition équilibrée entre femmes (48 %) et hommes (52 %).
Profil des participants
Tranche d’âge : Majoritairement entre 19 et 34 ans (80,5%), avec une minorité de participants de moins de 18 ans (6,1%) ou de plus de 35 ans (13,4%).
Genre : Répartition équilibrée entre femmes (48 %) et hommes (52 %).
Situation professionnelle : La majorité sont des étudiants (55 %), suivis par des salariés (15,6%), des fonctionnaires (13,6%), des entrepreneurs (6%) et d’autres statuts divers (9,8%).