Khouribga est connue pour être une ville minière. L’extraction des phosphates par les colons français, au tout début des années du protectorat, l’avait fait sortir du néant. Une cité devenue la destination favorite de tous les déshérités des tribus de la région. La création de l’Office chérifien des phosphates, le 20 août 1920, allait contribuer à la renommée de la ville. C’est la ruée vers Khouribga et le début de la sédentarisation des nomades qui vivaient essentiellement d’élevage de moutons ; la culture du blé n’y étant pas propice en raison de l’aridité du sol.
L’exploitation des mines avait besoin de main d’œuvre non seulement des régions avoisinantes des mines mais également du Souss. Les maisons octroyées gracieusement aux ouvriers par l’OCP avaient séduit bon nombre de pauvres marocains qui obtenaient un logement décent pour la première fois. Pour les cadres français mieux lotis, avaient droit quant à eux à des villas en bois. Ces villas existent encore, occupées par des agents gradés de l’Office. Malgré la croissance rapide de le ville, le quartier où les Français résidaient s’appelait toujours le «Village». Pour les anciens de Khouribga, c’est tout simplement le «Fillage».
Naissance du prolétariat marocain
Une fois les années d’euphorie passées, Khouribga devenue «ville-usine» allait connaître, tout naturellement, le concept de grève ; fait nouveau au Maroc. La concentration d’une forte main-d’œuvre dans un même endroit en plus de la présence de rares communistes français présentaient les ingrédients nécessaires à l’éclatement de la contestation ouvrière. A leurs corps défendant, les mineurs de Khouribga étaient à l’avant-garde non pas seulement de la lutte ouvrière au Maroc mais également du combat pour l’indépendance.
Dès les années 40, la grogne sociale commençait à s’exprimer ; une aubaine pour les leaders du Mouvement nationaliste. Une seule journée de débrayage dans les mines de l’OCP se répercutait immédiatement sur les finances du groupe et du protectorat. Entre 1945 et 1948, les grèves se multiplièrent déclenchant en parallèle la répression de l’armée française soutenue par les colons, réunis au sein du groupe «Présence-française». L’ancien premier secrétaire de l’USFP, Abderrahim Bouabid (1922-1992) écrivait dans ses mémoires :
«Certains d’entre eux, en particulier dans les régions de Beni Mellal, Khouribga, Oued Zem, prenaient l’initiative d’opérations répressives dans le seul but de semer la terreur et de maintenir le pays dans le silence, silence qui était aussitôt présenté comme signe d’attachement à la présence coloniale !»
Quelques années plus tard, le 20 août 1955, les ouvriers de Oued Zem, à environ 25 km de Khouribga, allaient asséner un coup fatal à la présence militaire française dans le pays. Une manifestation des mineurs appelant au retour au trône de Mohamed V est brutalement réprimée. Le bilan de l’époque était de «au moins 200 victimes, dont 25 femmes et 36 enfants». Un bilan lourd qui avait précipité l’amorce de négociations sur le futur du Maroc, couronnée par la signature, le 6 novembre 1955, des accords de La Celle Saint-Cloud, entre le sultan Mohammed V et le président du Conseil des ministres français, Antoine Pinay, mettant un terme au protectorat.
La plus longue grève sous le Maroc indépendant
La fin de la présence française ne signifiait pas, pour autant, la fin du combat pour les ouvriers de Khouribga et sa région. L’indépendance n’avait pas réussi à régler tous les problèmes ni consoler toutes les frustrations des mineurs. Sachant que les années 60 étaient très mouvementées, l’Etat d’exception décrétée en 1965, avait eu l’effet inverse en exacerbant les tensions et non en contribuant au retour au calme.
En 1971, c’est la confrontation directe. Pendant près de trois mois, précisément du 20 septembre au 5 décembre, le Maroc moderne a connu sa plus longue grève. Trois années auparavant, un autre débrayage avait duré six semaines.