Le 21 décembre 1988, un avion américain de la compagnie aérienne Pan American World Airways s’écrase au-dessus du village de Lockerbie (Ecosse). Bilan : 270 morts, dont 259 passagers de l’appareil et dix villageois écossais. Dans les débris de l’avion, les enquêteurs retrouvent les fragments d’une bombe qui mèneront directement aux services secrets libyens.
Trois ans plus tard, un juge d’instruction écossais émet un mandat d’arrêt à l’encontre des responsables libyens Abdelbaset Ali Mohmed Al Megrahi et Al Amin Khalifa Fhimah pour meurtre, complot et violation de la loi britannique sur la sécurité du trafic aérien. Des accusations qui seront rejetées par la Libye.
Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne publieront alors une déclaration commune demandant à la Libye d’extrader les accusés, tout en permettant de consulter les témoins, les documents et les preuves matérielles. Les deux nations ont également contraint la Libye de Mouammar Kadhafi à indemniser équitablement les victimes de l’attentat.
Face à l’absence de mesures concrètes de la part du pouvoir libyen, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France demandent, le 2 janvier 1992, aux membres du Conseil de sécurité d’appuyer une résolution contre la Libye exigeant que cet Etat du Maghreb se conforme aux demandes.
Les débris de l’avion Pan American World Airways à Lockerbie. / Ph. Bryan Colton – G. I.
Le franc-parler de Hassan II apprécié par Kadhafi
Un an plus tard, le Conseil de sécurité rend publique sa résolution 748, qui stipule que la Libye doit se conformer immédiatement aux exigences des trois pays. Des sanctions sont alors imposées et le pays se voit contraint de réduire sa représentation diplomatique dans plusieurs pays. Les compagnies aériennes sont interdites de survoler l’espace aérien de la Libye. Celle-ci est même interdite d’acheter des armes. Le 11 novembre 1993, le Conseil de sécurité des Nations unies publie sa résolution n° 883, qui étend les sanctions au gel partiel des fonds publics libyens et à l’interdiction des équipements pétroliers industriels.
Les effets de l’embargo commençant à sérieusement impacter le pays et ces citoyens, le colonel Mouammar Kadhafi tente de trouver une solution. Il contacte alors plusieurs chefs d’Etat arabes avant de se rendre au Maroc pour rencontrer le roi Hassan II et demander sa médiation auprès des autorités américaines. Selon le journaliste soudanaise Talha Jibril dans son livre «Le roi et le colonel», «le colonel Kadhafi a appris à partir d’expériences antérieures que le roi du Maroc lui transmettrait la vérité et ne le mènerait pas dans une promenade sous la lune, comment ont fait les Egyptiens et les Tunisiens».
Kadhafi se tourne vers Hassan II
Auparavant, Kadhafi avait dépêché Khouildi Hemidi, membre de l’ancien Conseil du commandement de la révolution (RCC), devenu «membre de la direction historique» au Maroc à l’été 1992 après l’introduction de sanctions internationales. Le chef d’Etat libyen espérait connaître l’opinion du roi Hassan II sur la manière de traiter l’affaire Lockerbie.
Selon le même ouvrage, l’opinion de Hassan II se résumait en deux points. D’abord, la nécessité pour le dirigeant libyen d’adopter un système de démocratie politique pluraliste permettant la création de partis en Libye. Hassan II a également déclaré à l’émissaire libyen que «les Etats-Unis ne lèveront pas l’embargo sur la Libye, à moins d’entente directe entre les deux pays et qu’ils pourraient éventuellement chercher à traîner le colonel Kadhafi lui-même devant les tribunaux».
Lors d’une visite officielle du roi Hassan II aux Etats-Unis en 1993, l’affaire Lockerbie a été abordée par le roi du Maroc avec les Américains. Hassan II a même eu des entretiens avec le secrétaire d’Etat américain Warren Christopher à Washington. «Les Américains ont alors affirmé au roi qu’une médiation ne peut parvenir à une solution sans la livraison des responsables. Le roi a transmis ce que les Américains ont littéralement dit au colonel, contrairement aux Egyptiens et aux Tunisiens qui transmettaient plutôt ce qu’ils ont, eux-mêmes, dit aux Américains», poursuit le journaliste soudanais.
Le roi Hassan II et l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. / Ph. DR
Mais la médiation marocaine ne s’arrêtera pas à ce niveau. Le roi Hassan II ira même jusqu’à encourager la première réunion américano-libyenne sur la question à Rabat. Eté 1993, les Libyens contactent Mohammed Othman al-Seid, l’un des plus importants chefs de gouvernement de l’ère royale libyenne et qui résidaient du Maroc. Ils lui demandent de les aider à entrer en contact avec les Américains pour entamer des négociations dans le cadre de l’affaire Lockerbie.
Un procès aux Pays-Bas devant un tribunal écossais
Ce diplomate libyen parviendra à organiser une première rencontre secrète entre les deux parties. Selon Talha Jibril, un diplomate américain parlant couramment l’arabe et Mohamed Abou al-Qasim al-Zawi, alors secrétaire du Congrès populaire général de Libye se rencontreront même dans la maison de Mohammed Othman al-Seid, sise quartier Souissi à Rabat. Cependant, cette rencontre ne changera en rien la situation sur le terrain. Les Libyens réaliseront alors que toute médiation finira par échouer. Un changement de plan s’est alors imposé avec comme priorité la levée de l’embargo.
Mais les choses restent inchangées jusqu’en 1998, lorsque les Etats-Unis et la Grande-Bretagne finissent par accepter de juger en procès les ressortissants libyens impliqués dans l’attentat visant le vol 103 Pan Am et suggèrent que le procès se tienne aux Pays-Bas devant un tribunal écossais.
Le village de Lockerbie après le crash du vol 103 Pan Am. / Ph. DR
Le 6 avril 1999, Fhimah Al Megrahi arrivent aux Pays-Bas Ils, où ils seront arrêtés. Le 31 janvier 2001, le deuxième est condamné à la prison à vie alors que son concitoyen Fhimah est acquitté. Le verdict indique que la Libye est pleinement responsable de l’attaque et qu’elle doit payer des dommages et intérêts aux victimes, qui pourraient s’élever à près de 700 millions de dollars.
Le 16 août 2003, les Etats-Unis annoncent leur réticence à la levée des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies contre la Libye, insistant sur la nécessité de maintenir certaines sanctions bilatérales.