Jean Mohamed Ben Abdeljalil est issu d’une famille aisée, dont le frère, Omar, est l’un des membres fondateurs et dirigeants du Mouvement national et du Parti de l’Istiqlal. Mais celui qui est né Mohamed ben Abdeljalil a choisi une voie différente de celle de ses pairs.
Originaire de Zankat Rtel, à Fès, Ben Abdeljalil est né de parents musulmans qu’il a accompagnés au hajj à l’âge de neuf ans. Il a également fréquenté l’université Quaraouiyine dans la cité spirituelle. Mais son nom est devenu célèbre surtout après sa conversion au christianisme, en suivant le catholicisme.
Mohamed Ben Abdeljalil s’est converti à l’âge de 20 ans. Il s’est fait baptiser en 1928, avec pour parrain le religieux catholique français Louis Massignon. La nouvelle «a créé un véritable choc à l’époque», a écrit La Gazette du Maroc, en mai 2008.
Mais cette conversion est une accumulation d’évolution spirituelle sur des années. Diplômé du lycée Gouraud, Ben Abdeljalil a séjourné au collège Foucault des pères franciscains de Rabat.
Avant sa décision majeure de changer de religion, il a été l’un des quatre jeunes marocains nommés en 1922 par le maréchal résident général français Hubert Lyautey comme fonctionnaires attachés à la Résidence. Cette mission lui permit de se déplacer en France pour «s’initier à la civilisation et à la culture françaises», selon Lyautey.
Selon le Dictionnaire des orientalistes de langue française, Lyautey a offert à Mohamed Ben Abdeljalil une bourse pour une licence de lettres, option arabe, à la Sorbonne. Mais l’envoyé est plutôt attiré par la philosophie.
En France, il fréquente des savants comme l’arabiste français Gaudefroy-Demombynes et l’orientaliste français William Marçais. Il poursuit également des études en philosophie à l’Institut catholique, où enseigne le philosophe français Jacques Maritain.
Une conversion controversée
Après avoir côtoyé ces cercles intellectuels où la religion a été très présente, le jeune étudiant a annoncé sa conversion en 1928. Il est baptisé par l’archevêque de Paris. Les versions racontent qu’il aurait même reçu «un missel et un chapelet des mains du pape lui-même, à l’occasion de sa première communion».
La conversion de Ben Abdeljalil ne passe pas inaperçue, notamment auprès de ses camarades d’études dans l’Hexagone. La Gazette du Maroc rapporte que son parrain, Louis Massignon, a dû faire face à un boycott de la part des étudiants marocains en France. Au Maroc, les réactions ont été encore plus vives, notamment dans sa ville natale, Fès. La presse locale de l’époque a écrit que les habitante s’étaient «déplacés en nombre pour les funérailles d’un musulman apostat, dont le cercueil avait été enterré vide».
La décision du jeune intellectuel a également poussé la bourgeoisie de Fès à rejeter l’enseignement français, pour se prémunir du prosélytisme religieux. «C’est de là qu’est née l’idée de créer des écoles indépendantes, financées par le mouvement national», écrit la même source.
La nouvelle a même attiré l’attention des services de renseignements français au Maroc, qui ont envoyé une note confidentielle à Paris, qualifiant cette conversion d’«acte grave pour un Marocain».
«L’acte que vient d’accomplir ce jeune homme paraît bien être le résultat d’une longue évolution morale et intellectuelle, mais cette évolution n’a pas été, semble-t-il, purement spontanée», lit-on dans la note publiée par La Gazette du Maroc.
«Depuis deux ans, ce jeune homme a été spécialement entouré et dirigé dans les milieux catholiques : Ben Abdejlil était en pension à Rabat, il y a deux ans, à l’Institution franciscaine «de Foucauld» pendant qu’il suivait les cours de l’Institut des hautes études marocaines. C’est par les soins de cette Institution qu’il habita ensuite à Paris un hôtel de la rue Sarrette, qui relève des Franciscains.»
Note des services secrets français au Maroc
«De là, il serait allé vivre à Viroflay dans la famille du directeur de l’Institution Foucauld. Mais l’influence d’un de ses professeurs parisiens, M. Massignon, paraît surtout avoir été déterminante, si l’on en croit les camarades de ce jeune homme», ajoutent encore les agents français.
Le prêtre marocain qui a rencontré le pape Paul VI
Malgré les critiques dans son pays, Jean Mohamed Ben Abdeljalil a mené son parcours catholique jusqu’au bout. Devenant prêtre en 1935, il a écrit des livres et contribué aux travaux des orientalistes français. Il est même été nommé à la tête de la chaire arabe de l’Institut catholique pour succéder à Carra de Vaux.
«Il s’est efforcé de faire mieux connaître l’islam dans une perspective missionnaire. Dans deux importants articles publiés en 1941 dans En terre d’Islam, et en 1949, traduits ensuite en espagnol, il expose en détail les positions défendues par Taha Hussein sur l’avenir de la culture en Egypte. Il analyse aussi le mouvement fondamentaliste salafiste», écrit l’anthropologue François Pouillon.
En 1936, Ben Abdeljalil est nommé professeur à l’Institut catholique de Paris, où il enseigne aux «chrétiens comment mieux connaître l’islam», souligne Pioneers of Christian-Islamic Dialogue. En plus de son travail en France, il a joué un rôle central dans son pays natal. A ce titre, le livre «Un entrepreneur du national au Maroc. Ahmed Benkirane, traces et discrétion» de la politologue Irene Bono retient que l’homme a largement contribué à établir des relations entre les missions informelles des nationalistes et les cercles intellectuels catholiques, qui ont soutenu l’indépendance des pays du Maghreb.
Ben Abdeljalil rencontre le pape Paul VI en 1966. Mais sa conversion le conduit à rompre les liens avec son milieu natal. Au lendemain de l’indépendance, son projet de s’installer au Maroc, suivant la volonté de son frère Omar, n’aura pas abouti. A l’âge de 74 ans, Jean Mohamed Ben Abdeljalil décède le 24 novembre 1979 à Villejuif, en France.