En 1772, le sultan alaouite Moulay Mohammed Ben Abdellah, dit Mohamed III, dépêche un ambassadeur en Grande-Bretagne pour conclure un traité avec le roi George III. Mais le monarque alaouite confiera la mauvaise mission à la mauvaise personne. Il nommera en effet un juif britannique pour présenter le royaume chérifien dans un pays étranger. Une nomination qui sera considérée par la cour de Georges III comme un «cas intolérable de loyauté partagée».
Dans les années 1770, Jacob Benider (ou Ben Idder), était fonctionnaire consulaire britannique à Gibraltar. Il était né sur le territoire britannique d’outre-mer et son père, Abraham Benider, était un homme loyal à la couronne. Il était, en effet, un employé du gouvernement britannique, en tant qu’interprète et fonctionnaire consulaire.
Un juif à la cour du roi du Maroc
Mais contrairement à son père, Jacob Benider, également nommé à un poste de fonctionnaire, quittera Gibraltar afin de servir le sultan du Maroc, Moulay Mohamed Ben Abdellah Al-Khatib. «Au début de 1772, le roi Mohammed nomma Jacob Benider ambassadeur pour une mission spéciale à Londres», rapporte Haim Zeev Hirschberg dans son livre «A History of the Jews in North Africa: From the Ottoman conquests to the present time» (Editions Brill, 1981).
Illustration de Gibraltar. / Ph. DR
Le sultan pensait que l’envoi d’un juif de nationalité britannique à la cour royale anglaise aiderait à conclure un traité avec Georges III. Mais selon Hirschberg, Mohammed III ne voulait pas que l’histoire se répète après ce qui s’est passé avec un ancien ambassadeur du Maroc en Grande-Bretagne.
«L’ambassadeur musulman précédent n’avait pas été bien reçu, le roi (du Maroc, ndlr) avait donc adopté la même méthode suggérée par les Britanniques à Gibraltar : confier les négociations pour un accord à un juif étranger et n’envoyer un membre du service diplomatique marocain qu’une fois les discussions arrivées à la phase finale.»
L’historien Haim Zeev Hirschberg
Selon le même récit, Benider arrivera à Londres en 1772, «dûment muni d’une lettre de créance originale (plus sa traduction) du roi du Maroc au roi d’Angleterre et d’une lettre du Premier ministre du secrétariat d’Etat, le comte de Rochford», poursuit l’historien.
Portrait du sultan alaouite Moulay Mohammed Ben Abdellah. / Ph. DR
Une loyauté divisée
Le diplomate, ses assistants et serviteurs seront plutôt bien reçus par l’Office britannique des Affaires étrangères. Jacob Benider sera aussi payé avec une «subvention appropriée en tant qu’agent diplomatique».
Mais la Grande-Bretagne refusera de considérer l’émissaire juif comme un ambassadeur pour le royaume chérifien. Cela a été confirmé par l’historien James Brown dans son livre «Crossing The Strait : Morocco, Gibraltar and Great Britain in the 18th and 19th Centuries» (Editions Brill, 2012). «Les Britanniques avaient refusé (…) parce qu’il prétendait être un sujet britannique en résidence à Gibraltar», précise l’historien en ajoutant que sa situation paraissait «comme un cas intolérable de loyauté partagée».
Malgré cela, Jacob Benider insistera pour être reçu en audience avec le roi Georges III afin de discuter du sujet de sa mission. Pour Hirschberg, l’émissaire de Mohammed III était à Londres pour négocier «l’achat d’armes et de munitions pour le siège de Ceuta». L’historien ajoute que «les autorités marocaines recherchaient des experts : ingénieurs, canonniers, charpentiers et carriers».
Portrait du roi George III d’Angleterre. / DR
Sept mois après son arrivée à Londres, Benider rencontrera le secrétaire d’Etat britannique auquel il présentera les demandes de Moulay Mohammed Ben Abdellah dans un mémorandum écrit. Le 19 août 1772, les autorités britanniques lui exauceront le vœu de rencontrer le roi Georges III en audience. Une rencontre rapportée dans «The annual register, or, a view of the history, politics, and literature for the year 1772», qui mentionnait Jacob Benider en tant que «ministre de l’empereur du Maroc».
L’émissaire de Mohammed III a connu donc une mission très controversée à Londres, suite à laquelle il avait déclaré ne pas avoir été payé. Durant son séjour à Londres, il avait aussi rapporté que sa mère, résidant à Gibraltar, allait être expulsée de chez elle, faute de moyens pour payer le loyer de la maison qu’occupait sa famille. En Grande-Bretagne, il avait même protesté contre une série de problèmes liés à son salaire. Il avait «souffert de plusieurs indignités», avant de partir pour le Maroc.
L’année suivante, Mohammed Ben Abdellah dépêchera en Grande-Bretagne le Caïd Sidi Tahar Ben Abdelhaq Fennich, commandant de l’artillerie marocaine et fils d’un ancien pacha de la ville corsaire de Salé.