Dans le Global Innovation Index (GII) 2025, publié par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), le Maroc bondit de 9 places pour atteindre la 57ᵉ position mondiale, son meilleur classement jamais enregistré. Cette performance, saluée par le rapport comme l’une des plus significatives de la région, n’est pas le fruit du hasard. Voici une lecture de quelques indicateurs.

Le Maroc bondit à la 57ᵉ place mondiale grâce à son industrie high-tech et sa propriété intellectuelle, mais sa percée reste freinée notamment par l’absence de R&D et des liens faibles entre recherche et entreprise. Leader régional et «Overperformer», il doit maintenant consolider ses réalisations pour transformer cette avancée en succès durable (Ph. Pixabay)
Les points forts:
■ Leader mondial dans la production high-tech (12ᵉ): C’est le pilier central de la montée en puissance marocaine. Le Maroc se classe 12ᵉ mondial dans la catégorie «High-tech manufacturing», un indicateur qui mesure la part des produits à haute technologie dans la production manufacturière totale. Son économie a progressivement dépassé la fourniture de matières premières et la fabrication à faible coût pour produire des biens plus sophistiqués. C’est la preuve que les stratégies sectorielles (automobile, aéronautique, électronique) portent leurs fruits.
■ Champion de la propriété intellectuelle: Le Maroc excelle dans la protection de ses créations. Deux facteurs l’attestent: 6ᵉ mondial pour les dépôts de dessins et modèles industriels, un indicateur rarement mis en avant, mais crucial pour mesurer l’innovation esthétique, fonctionnelle et industrielle. 24ᵉ mondial pour les marques déposées, signe qu’un nombre croissant d’entreprises marocaines construisent une identité de marque et visent les marchés internationaux. Ces résultats illustrent une transition vers une économie fondée sur la valeur immatérielle, pas seulement la production physique.
■ Investissement dans l’éducationt: Le Maroc figure parmi les 16 premiers pays mondiaux en matière de dépenses publiques d’éducation (% du PIB), un investissement stratégique pour nourrir l’innovation à long terme. Le rapport note aussi sa 24ᵉ place mondiale pour la croissance de la productivité du travail, un indicateur rarement cité, mais essentiel pour mesurer l’efficacité économique réelle.
■ Un dividende démographique, potentiel à exploiter
Avec 41,3% de jeunes dans sa population, le Maroc se classe 56ᵉ mondial sur cet indicateur. Le GII le qualifie de «Income group weakness», c’est-à-dire une faiblesse relative à son groupe de revenu, car le pays ne capitalise pas encore pleinement sur ce vivier humain. Le Maroc a un atout démographique immense, mais il ne le transforme pas encore en avantage économique.
Les lacunes:
■ Absence de données sur la R&D des entreprises: Les indicateurs les plus critiques pour mesurer l’innovation sont manquants ou non disponibles: «GERD performed by business (% GDP): n/a» ou encore «GERD financed by business (%): n/a». Ces indicateurs mesurent l’investissement des entreprises marocaines dans la recherche-développement. Leur absence suggère probablement soit: un niveau d’investissement si faible qu’il n’est pas statistiquement significatif ou un manque de suivi statistique par les institutions nationales? Dans un monde où la R&D est le moteur de l’innovation durable, cette lacune est inquiétante.
■ Liens quasi inexistants entre recherche publique et industrie: Le sous-indicateur «Public research-industry co-publications» (collaborations scientifiques entre universités et entreprises) place le Maroc à la 112ᵉ place mondiale, avec un taux de seulement 0,6%. Les liens d’innovation sont faibles, un défi majeur pour transformer la connaissance en valeur économique. Sans collaboration entre chercheurs et entreprises, les découvertes restent dans les laboratoires. L’innovation ne circule pas. Elle stagne.
■ Données manquantes sur le capital humain qualifié: Le GII signale l’absence totale de données sur: «Les emplois à forte intensité de connaissances: n/a», «Les femmes employées avec diplômes avancés: n/a»… Ces lacunes statistiques masquent peut-être une réalité préoccupante: le Maroc peine à mesurer, et donc à valoriser, son capital humain hautement qualifié, en particulier féminin!
Un «overperformer confirmé»
Le Maroc est officiellement classé comme «Innovation overperformer», c’est-à-dire une économie dont les résultats en innovation dépassent les attentes pour son niveau de revenu. Ce statut, qu’il conserve depuis 2020 sans interruption (et pour la 7ᵉ année depuis 2015), le place aux côtés de l’Inde, du Rwanda ou du Kenya. Le Maroc livre des résultats en innovation qui égalent ou dépassent ceux de plusieurs économies à revenu élevé, tout en déployant moins de ressources. Le défi désormais est d’approfondir les investissements en R&D, d’améliorer les liens entre l’industrie et la recherche, et de renforcer les infra-structures d’innovation pour pérenniser et amplifier ces gains. Le Maroc a franchi un cap symbolique en 2025: entrer dans le Top 60 mondial de l’innovation. C’est le fruit d’une stratégie industrielle volontariste, d’une montée en gamme des exportations, et d’un investissement soutenu dans l’éducation. Mais sans une politique vigoureuse de R&D, sans statistiques fiables sur l’innovation, et sans meilleure collaboration entre chercheurs et entreprises, cette performance risque de stagner, voire de reculer.
Nos voisins
Le Maroc (57ᵉ) domine largement ses voisins nord-africains dans le GII 2025, devançant l’Egypte (86ᵉ) de 29 places et la Tunisie (76ᵉ) de 19 places, tandis que l’Algérie (115ᵉ) ferme la marche, à 58 places derrière Rabat, confirmant un écart croissant en matière d’innovation au sein de la région. Si la Tunisie progresse et mise sur son capital humain (2ᵉ mondial en diplômés scientifiques), l’Algérie et l’Egypte peinent à transformer leurs atouts démographiques ou académiques en performance innovante mesurable.
Fatim-Zahra TOHRY
L’article Innovation: Des performances… et des défis est apparu en premier sur L'Economiste.