En Afrique du Nord, la floraison des amandiers est généralement précoce et abondante. Elle commence de la moitié de janvier et s’étend jusqu’en mars, si la saison est prospère. Pour les communautés de l’Anti-Atlas, c’est ce signe généreux de la terre et la nature qui a longtemps été annonciateur d’Idernan, cette période de l’année placée sous le signe de la paix et de l’hospitalité mutuelle entre tribus, au lendemain de Yennayer. Le début festif de ce rendez-vous s’est ainsi voulu comme étant de bon augure pour la saison agricole qui commence, dans le même esprit de reconnaissance à l’abondance de la terre, prôné par la tradition du Nouvel An amazigh.
Parmi les signes de bienveillance échangés entre les tribus durant Idernan, celles-ci partagent des plats spécifiques. Les incontournables de la table des invités incluent nécessairement une galette éponyme, qui a tiré son appellation du nom de cette célébration. Au-delà de la région, ce met peut être reconnu plus largement comme une forme de «baghrir» ou «aderno» (crêpe), anciennement servi par les tribus amazighes peu après Yennayer.
Mais au fur et à mesure de levolution des usages à travers les siècles, cette préparation a été servie à d’autres occasions, afin de perpétuer la tradition des expressions d’hospitalité par le biais de mets issus des récoltes de la terre et faits pour être partagés à plusieurs.
Des mets témoins du partage entre les tribus anciennes
A l’approche de Yennayer, les familles et les communautés ne se contentent donc pas du plat principal au centre du dîner festif. Avant de passer au banquet collectif, autour d’une tagoula, d’un ourkimen, d’un couscous à l’orge ou à la semoule de maïs, les convives partagent l’expérience gustative d’apprécier diverses autres spécialités servies avec un thé, ou avec des infusions à base d’herbes locales, en guise de mise en bouche.
Si le calendrier amazigh trouve une origine quasiment unanime dans l’intronisation du pharaon Sheshonq Ier, 950 ans avant Jésus-Christ, Idernan s’y greffe localement comme une occasion pour partager les mets ancestraux issus des récoltes que symbolise ce rendez-vous à travers les siècles. Ainsi, Yennayer est aussi une fête durant laquelle on sert des galettes de différents types, dont celles-ci à base de semoule et accessoirement de farine, ou d’autres pâtes non levée.
Ces préparations accompagnent quelques incontournables de la tradition amazighe : miel, huile d’olive, huile d’argan, ghee… Le service est complété par d’autres indispensables de la gastronomie amazighe, à savoir les fruits secs, principalement les amandes et les noix.
Peu de récits historiques écrits ont été exhaustifs sur les origines de Idernan, dont l’appellation est donnée à ces crêpes communément dites «baghrir» et qui font partie des traditions de diverses régions du Maroc. Selon certaines versions orales, la célébration qui a donné son nom à ce met serait liée aux savants amazighs du Souss, qui ont prôné la paix entre les tribus durant la période de «siba», marquée par les révoltes et les dissidences populaires du XVIIIe au début du XXe siècle.
Toutes les raisons sont bonnes pour partager les mets ancestraux
Dans le contexte des famines, des épidémies et des luttes armées, selon ces récits, ces personnalités qui ont eu une grande influence spirituelle ont réussi à instaurer la trêve. Parmi eux, Sidi Mohammed Ajliy aurait vivement incité les tribus à mettre fin à l’effusion de sang, notamment par le partage équitable des denrées et par la tenue de réceptions saisonnières, dès le début de la floraison des amandiers.
Dans le prolongement de ces us et coutumes, les signes de solidarité et le renforcement des liens entre les tribus de la région est passé par la transmission de valeurs de respect et de partage, ainsi que par des habitudes culinaires. Lors des visites échangées, on sert ainsi Idernan, ou encore des beignets cuits dans un plat à pain en terre, enduit d’huile d’argan, entre autres préparations qui ont ensuite trouvé leur place dans les tables festives d’Yennayer.
Il va sans dire que ces festivités s’accompagnent également de différentes manifestations artistiques et culturelles, qui font la part belle aux danses et aux traditions musicales locales, mêlant ainsi diverses expressions de valeurs de partage et d’ouverture vers l’autre.