Connu sous le nom d’Averroès, Abū l-Walīd Muḥammad ibn Aḥmad Ibn Rochd est né en 1126 à Cordoue, dans l’Andalousie musulmane. Il a voué sa vie à l’étude et à l’approfondissement de la philosophie grecque. «Il croyait en l’esprit et s’efforçait de l’élever par son attachement aux principes de l’école péripatéticienne [fondée par Aristote]», érigeant ainsi son école comme la plus rationnelle de son époque, comme l’a décrit Wissam Abd Al-Laham dans «Ibn Rochd et son appel à la philosophie».
À une époque où les califats du Moyen-Orient déclinaient, ses réflexions représentaient une avancée intellectuelle. C’était aussi le moment où les Almohades (1121 – 1269), qui régnaient sur le Maghreb et Al-Andalus, encourageaient le savoir et les sciences. Ibn Rochd n’était pas seulement un philosophe, mais aussi un érudit dans divers domaines : astronomie, médecine et théologie.
«En plus de ses commentaires sur les écrits d’Aristote, qui lui valurent sa renommée, il travailla sur cette œuvre à la demande de son professeur Ibn Tofail», note Nabil Abdel Hamid Abdel-Jabbar dans «Histoire de la pensée sociale».
Mohamed Abed Al-Jabri a écrit qu’Ibn Rochd avait consacré soixante-quinze ans de sa vie à l’étude, la recherche, l’enseignement et l’écriture. Il travaillait sans relâche, «emportant ses livres et ses papiers partout avec lui pour profiter de chaque moment de répit lors de ses voyages afin d’écrire ou de relire un livre», rappelle l’intellectuel marocain.
En 1169, il fut nommé juge suprême à Séville, puis à Cordoue, et servit également comme médecin des califes et des princes de la région. Mais il ne s’éloigna jamais de la philosophie, fréquentant assidûment le philosophe et écrivain Ibn Tofail (1105 – 1185), qui le présenta au calife almohade Abu Yusuf Yaqub al-Mansur (1184 – 1199) à Marrakech.
Un philosophe incompris de son vivant
Connaisseur de la philosophie, Abu Yusuf Yaqub al-Mansur encouragea Ibn Rochd à étudier et à traduire la philosophie grecque. Cependant, ses écrits ne furent jamais bien accueillis par les religieux et dignitaires musulmans. Cette hostilité persista même après sa mort, comme l’a expliqué Ernest Renan dans «Averroès et l’averroïsme, essai historique» :
«Il ne faisait aucun doute que la philosophie était un facteur déterminant dans les épreuves qu’Ibn Rochd a traversées tout au long de sa vie. C’était cela qui attisait la colère de ses détracteurs et de ses ennemis les plus redoutables. Le sultan fut même incité à douter de la foi musulmane du savant.»
Après le décès d’Abu Yusuf Yaqub al-Mansur en 1199 et l’arrivée au pouvoir de son fils, la situation changea radicalement pour Ibn Rochd, qui fut persécuté pour ses idées. Il fut jugé à Marrakech et condamné pour trahison et dépravation. Exilé dans le village juif andalou d’Alicante, ses livres furent brûlés.
La nouvelle cour almohade réalisa plus tard l’importance et la modernité de l’œuvre d’Ibn Rochd. «Ibn Rochd était l’imam de son temps, un véritable connaisseur en jurisprudence et en philosophie», le décrivit Mohamed Youssuf Moussa dans «Ibn Rochd, le philosophe». L’auteur souligna que ce savant était cependant «le plus modeste et le plus humble», s’interrogeant sur le fait que cette qualité ait pu être perçue comme un défaut. «Ce qui fut retenu, c’est que ce savant était grand par son savoir autant que par sa modestie», écrivit-il.
Ibn Rochd fut ainsi gracié par le sultan et retourna à Marrakech, où il retrouva la cour princière, avant de mourir en 1198 dans la capitale almohade. «Il fut d’abord inhumé à Marrakech, mais trois mois plus tard sa dépouille fut transférée à Cordoue, sa ville natale, où il fut enterré à côté de ses parents», rappela Hazem Mohammed dans son ouvrage «Savants musulmans», ajoutant que ce décès marqua une grande perte pour la philosophie, qui «perdit son plus grand défenseur à Al-Andalus et dans le monde islamique».
«Le monde découvrit la richesse de son savoir à une époque où les Arabes l’ignoraient. En se refusant à la pensée éclairée d’Ibn Rochd, qui parlait le langage de la raison dont il fut le pionnier, ils ne firent qu’accumuler du retard», constata Hazem Mohamed, soulignant l’héritage laissé à l’humanité.
Ainsi, Ibn Rochd fut l’un des philosophes et érudits musulmans qui joua un rôle majeur dans le développement de la pensée en Europe, contribuant à atténuer l’emprise de l’Église catholique sur la vie intellectuelle, comme l’a reconnu le peintre italien Raffaello Sanzio (1483 – 1520).
Dans son célèbre tableau, «L’école d’Athènes», qui représente des philosophes en conversation, Ibn Rochd est placé aux côtés d’Aristote, de Platon, de Socrate, d’Épicure, de Pythagore et d’autres penseurs qui ont laissé un héritage contribuant grandement au progrès de l’humanité et à la vie intellectuelle à travers les siècles.