Avant de devenir un repère touristique incontournable de l’archipel des îles Baléares, Ibiza a été connue pour son Histoire commune à Al-Andalus. Entre les Xe et XIIIe siècles, elle a été en effet sous l’influence de l’émirat de Cordoue, constituant ainsi une extension du califat de la péninsule ibérique. Si les sources arabes mentionnent peu cette présence, d’autres retracent l’existence d’une organisation sociale établie dans la région, comme le montrent les objets anciens ou les vestiges existants. Parmi les trouvailles, des poteries anciennes découvertes à l’Almudaina et plusieurs fragments datent d’avant le Xe siècle, dans des sites de Dalt Vila.
Bien avant ce Xe siècle, les califats musulmans ont en effet lorgné l’archipel, dont Ibiza, qu’ils appelleront Yabisa (‘terre’ en arabe). Dès l’an 707, les Omeyyades ont mené leurs raids sur les îles Baléares. Les découvertes monétaires fournissent aussi des données sur cette existence antérieure, dans la région de Sa Coma, avec des pièces qui seraient frappées au premier quart du VIIIe siècle. Mais un pouvoir musulman stable ne sera mis en place que près de deux siècles plus tard, Isam al-Jolani étant considéré comme le premier Wali, en 903.
Un point stratégique pour les gouvernants musulmans
Restée sous la bannière d’Al-Andalus jusqu’en 1229, Ibiza devient un point stratégique, à mi-chemin entre la péninsule et l’Afrique du Nord, connu pour son Palais Royal de La Almudaina, aux influences andalouses musulmanes et chrétiennes gothiques combinées. Ce pan de l’Histoire est conservé notamment grâce à la ‘médina’ fortifiée d’Ibiza et le centre d’information Madina Yabisa à Dalt Vila, hébergé par la Casa de la Curia (Maison de la Curie).
Dans la cité, ce passé sous le contrôle d’Al-Andalus s’illustre en effet dans les fortifications mises en place pour soutenir les remparts, les fermes agricoles développées dans les campagnes, ou encore le réseau d’infrastructures hydrauliques, qui ont fait toute la réputation de l’innovation dans la répartition et la gestion de l’eau en Andalousie califale, jusqu’à la chute de Grenade (1492) et même après.
Grâce à sa situation géographique, la cité constitue aussi une base pour l’expansion musulmane, qui concernera même Saint-Tropez et son comptoir maritime du Fraxinet, ou encore la Sicile, au cours de la même période. Outre son potentiel militaire, Ibiza constitue une base commerciale et culturelle pour les dirigeants d’Al-Andalus, qui mettront en place une organisation sociale similaire à celle de la péninsule, mais moins marquée en architecture. Dans ce contexte, l’une des mentions connues d’Ibiza sous l’ère d’Al-Andalus reste celle du voyageur et géographe Al-Maqdisi (946-988), dans son ouvrage du Xe siècle sur l’Occident musulman. Il y mentionne Yabisa, dans une liste de 18 chefs-lieux andalous.
Durant les Xe et XIe siècles particulièrement, ce sont surtout les activités agricoles et commerciales qui auront connu un tournant. Les îles Baléares seront alors connues pour leurs terres fertiles, avec un impact considérable sur les infrastructures, les modes de vie, où même les habitudes culinaires et autres us du quotidien. Des témoins du passé d’Al-Andalus à Ibiza, il reste d’ailleurs plusieurs repères, comme les champs de Ses Feixes et Es Broll de Buscastell. Les premiers ont d’ailleurs été connus comme le grenier de l’archipel, fournissant une importante part des fruits et légumes consommés dans la région.
Un exemple de l’organisation sociale d’Al-Andalus aux îles Baléares
C’est à cette même période que le commerce agricole prospère également, avec une abondance en fruits, en huile d’olive et en sel vendu à travers l’Andalousie et le reste de l’Europe. Dans les îles Baléares, l’élevage des mules locale est une autre activité dont l’organisation s’est renforcée par les usages de la période musulmane, repris ensuite par les chrétiens installés sur les lieux. Dans la langue catalane, cette influence a marqué même les terminologies d’irrigation, les noms de plantes et de végétation empruntés de l’arabe.
Composées ensuite de champs de canne à sucre, ces exploitations ont conservé leur activité agricole diversifiée jusqu’au milieu du XXe siècle, sur plus d’une centaine de parcelles aux voûtes blanchies à la chaux, laissées par les familles musulmanes. Dans une organisation aux nombreux points communs avec l’activité agricole de la péninsule andalouse, ou encore celle de certaines régions du Maroc actuel, chacun de ces terrains a été entouré d’un réseau alimenté par les diverses sources d’eau qui irriguent les cultures par capillarité.
Les récits à ce sujet notent que Ses Feixes a été divisé en deux grandes zones : Es Pratet, près du centre-ville actuel et Es Prat de Ses Monges, entre les baies d’Ibiza et de Talamanca. Fragmenté par les reventes et les héritages, ce qui reste désormais de ces parcelles est détenu par une soixantaine de familles, dont les usages développés au fil des siècles gardent encore une empreinte de l’organisation ingénieuse d’antan, surtout en termes répartition de l’eau. A Ibiza, Balafia constitue par ailleurs l’un des plus anciens villages de l’île et trouverait ses origines dans l’époque musulmane. Composé initialement d’habitations, il s’est développé avec de fermes, puis des moulins, des fours et des puits mauresques.
Au-delà d’Ibiza, la présence musulmane des îles Baléares s’illustre dans d’autres zones connues de l’archipel. Palma, devenue la capitale de Majorque sous l’influence d’Al-Andalus, a été appelée la Madina Mayurqa. Banys Arabes (Bains Arabes) constitue pour sa part une installation islamique classique fonctionnelle, retraçant la tradition des bains publics musulmans du Moyen-âge en Europe.
Repère religieux chrétien, le Musée Diocesa de Palma conserve quant à lui nombre d’artefacts arabes et mozarabes, tandis que les Jardins d’Alfabia dénotent de la culture des espaces botaniques qui ont fleuri jusqu’à l’aube du XIIIe siècle dans toute la région. En proie aux instabilités politiques et à l’affaiblissement du pouvoir d’Al-Andalus, depuis, les îles Baléares finiront par connaître le même sort que la péninsule.
Au fur et à mesure de la Reconquête achevée au XVe siècle, les régions de l’archipel passeront sous le contrôle de la royauté chrétienne. En 1229, Jacques Ier d’Aragon s’en empare. Au bout de la conquête de Majorque, il prend met la main sur Palma, le 31 décembre de cette année-là.