Son origine remonte au moins aux premiers temps du judaïsme, selon les recherches qui ont révélé sa présence dans les fresques de la cité juive millénaire Doura Europos (Al-Salhya), découvertes dans les années 1920 dans le sud-est de la Syrie. A Carthage, des traces indiquent son utilisation dès le premier siècle de notre ère, où elle a été intimement liée à la figure de la déesse Tanit, symbole de fertilité et de croissance.
Au fil des siècles, la main de Fatma, dite Khmissa ou Khamsa dans les dialectes maghrébins, a également été un signe de la force, du pouvoir et de l’autorité, ou encore de protection contre les méfaits du mauvais œil. En effet, ces différents usages de l’amulette représentant une main à cinq doigts ont traversé les civilisations et les cultures en Afrique du Nord et en Mésopotamie, rappelle l’historien et archéologue français Robert du Mesnil du Buisson, dans son ouvrage «Les tessères et les monnaies de Palmyre» (Bibliothèque nationale de France, Paris, 1944).
Des influences des religions païennes disparues
Dans la main de Fatma, le chiffre cinq est représentatif à plusieurs égards, puisqu’il ramène au nombre de livres de la Torah dans le judaïsme et aux piliers de la religion musulmane. Levée avec les doigt en direction du ciel, cette amulette indique la puissance et la bénédiction. Posée dans le sens inverse, elle est souvent combinée à un œil pour symboliser amour, chance et protection contre tout mauvais sort.
Reconstitution intérieure de la synagogue de Doura-Europos, au musée national de Damas / Ph. Estelle Villeneuve, Monde de la Bible – Corbis
Les raisons expliquant historiquement l’usage de cette symbolique trouvent leur source dans le fait que de tout temps, «la main s’impose indéniablement comme l’une de celles qui draine le symbolisme le plus dense, et ce, universellement», indique Slimane Touhami dans «Un signe en exil, l’exemple de la ‘main de Fatma’ en France» (EHESS Toulouse, 2003).
«Il n’y a que peu de sociétés en effet où la main n’est pas appréhendée comme un signe qui exprime, parmi d’autres, des idées phare comme la force, l’autorité ou encore la justice.»
Slimane Touhami
Le chercheur indique aussi que «de très nombreux ex-voto, dédiés aux divinités carthaginoises de Tanit et de Baal Hammon et retrouvés en différents sites puniques [tunisiens], offrent des représentations de mains droites ouvertes». Selon lui, ces mains correspondent à «une posture rituelle intégrée au culte de ces dieux disparus».
La khmissa dans les usages juifs
Les récits indiquent que dans le judaïsme, la khmissa ou le signe de la main de Fatma connu comme tel aujourd’hui a symbolisé la protection, du temps de Moïse en Egypte. «C’est en rapport avec l’histoire des dix plaies qui ont frappé les Egyptiens», selon le douzième chapitre (versets 3 et 4) du livre de l’Exode.
Dans ce passage, il est recommandé au peuple d’Israël que chaque maison prenne un agneau et utilise son sang sur ses portes (verset 7). Sous les ordres de Moïse, les hommes ont trempé leurs mains dans ce sang pour le mettre sur les portes, marquées ainsi par des empreintes de mains à cinq doigts.
«Les Egyptiens se sont finalement rendus compte que les maisons juives portaient [ce] signe» et que Dieu les a reconnus, les épargnant ainsi et frappant les autres. Comprenant ainsi que cette empreinte de la main a protégé les fidèles de Moïse, il est de plus en plus adopté par les différentes communautés en Egypte.
Source : Wepostmag.com
Les premiers usages de l’empreinte de main au sang de veau, selon l’usage des fidèles à Moïse, trouvent en partie leur écho dans certaines traditions musulmanes de la Fête du sacrifice. «Il existe une tradition, le jour de l’Aïd el Kebir, qui est de marquer les portes des maisons avec des empreintes de main faites avec le sang du mouton égorgé pour l’occasion», indique-t-on.
La khmissa dans les croyances musulmanes
D’autres récits rapportent que ce symbole est inspiré de l’histoire de la fille du prophète Mohammed qui, se joignant à son père et à ses enfants sous un drap, a fait une prière commune en levant la main droite pour demander protection divine. L’ange Gabriel apparaît et les rejoint sous le drap, sous lequel ils sont ainsi restés en sécurité toute une nuit.
En revanche, certaines lectures rigoristes se sont greffées ces dernières années aux débats sur l’usage de ce symbole. En substance, ces points de vue s’opposent à tout rapprochement entre les utilisations rituelles de la khmissa et les récits musulmans, estimant que la main de Fatma ne serait que superstition interdite aux croyants.
Quoi qu’il en soit, ces différentes versions liées à plusieurs religions et cultures ont façonné les utilisations de la khmissa au fil des siècles. Interprétées par certains chercheurs, elles illustrent à quel point coutumes locales et croyances divines se mêlent aux pratiques culturelles et rituelles séculaires pour façonner un symbole utilisé plus tard dans la bijouterie.
Véhiculée depuis dans le pourtour méditerranéen, l’idée selon laquelle cette amulette est capable de freiner les nuisances des mauvais regards qui peuvent frapper les enfants, les couples ou les jeunes femmes a pris forme, a donné également lieu à des expressions dialectales, telles que «khamsa fi aïnik» ou «khamsa w khmiss âlik», selon Slimane Touhami.