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Haut-lieu de la civilisation islamique, Tinmel n’a pas encore révélé tous ses secrets

Haut-lieu de la civilisation islamique, Tinmel n’a pas encore révélé tous ses secrets

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Chef-lieu des Almoravides (1040 – 1147), la ville de Marrakech sera prise par les Almohades (1121 – 1269), qui ont précédemment fait de Tinmel leur fief. En effet, c’est à partir de là que les tribus alliées de Mahdi Ibn Toumert (1078-1130) mèneront des incursions décisives dans la cité ocre, devenue ensuite capitale de la nouvelle dynastie, aux vastes étendues en Afrique du Nord et à Al-Andalus. Professeur d’archéologie et historien de l’architecture islamique, Ahmed Saleh Ettahiri fait partie des scientifiques qui supervisent un projet de fouilles sur les lieux, où les travaux reprennent en ce mois de mai.

Chargé de l’ouvrage pour l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP), le professeur nous décrit une immersion dans les origines et les prémices de cette période charnière de l’Histoire, pour en savoir plus sur l’organisation locale et l’ampleur de son influence sur les autres villes, les autres territoires et même sur les royautés qui se sont succédées depuis. «Ce site historique est connu pour sa Medersa éponyme, mais Tinmel s’étend bien au-delà de ce repère civilisationnel, considérant qu’elle est le chef-lieu de la dynastie almohade», a-t-il déclaré à Yabiladi.

Impactée par le séisme de 2023, la cité révèle désormais des artefacts inédits, mis au jour par une équipe marocaine et française de chercheurs. Ahmed Saleh Ettahiri rappelle en effet que ces travaux sont menés dans le cadre d’un programme coordonné par l’équipe mixte, en vertu d’une convention de coopération internationale impliquant l’INSAP de Rabat, l’Université Chouaïb Doukkali d’El Jadida, ainsi que l’Université Paris-Sorbonne I, avec la participation de l’Institut national de la recherche archéologique préventive en France.

La mosquée de Tinmel avant le séisme de 2023 / DRLa mosquée de Tinmel avant le séisme de 2023 / DR

On connaît la mosquée de Tinmel, mais beaucoup moins la ville éponyme

Jusque-là, les documents disponibles montrent que le site de Tinmel «a été visité pour la première fois en 1901 par Edmond Doutté», qui a mis en évidence la mosquée impériale. «Vers 1922, de premières publications ont été consacrées à ce lieu, vu sa monumentalité et sa symbolique liée au fondateur spirituel de l’empire almohade», nous dit Ahmed Saleh Ettahiri. Mais depuis, «les études se sont focalisées particulièrement sur ce repère, sans s’intéresser aux autres nombreux vestiges du site archéologique».

Outre la mosquée commémorative édifiée à la mémoire de Mahdi Ibn Toumert, il existe en effet «madinat Tinmel», dite également «la ville blanche». «Généralement, on connaît donc la mosquée, sans en savoir plus sur l’espace de la cité dans sa globalité», explique l’archéologue auprès de notre rédaction. Dans ce sens, les fouilles en cours ne sont pas fortuites, puisqu’elles se fondent sur un précédent ouvrage qui permet de retracer les mouvements des partisans des Almohades.

«Dans le cadre d’un programme de recherche scientifique international, nous avons commencé d’abord à travailler sur le berceau de la dynastie, qui est le site d’Igiliz, à 68 km au sud-est de Taroudant. Des fouilles archéologiques nous ont permis de mettre en évidence des preuves tangibles des origines de cette dynamique qui a bouleversé la région et l’occident musulman avec ses deux rives, tout en donnant lieu à la création d’un empire étendu du Maroc à Al-Andalus, jusqu’à l’ouest libyen», nous déclare encore Pr Ettahiri.

A la suite de ce programme lancé en 2009, les fouilles archéologiques ont révélé «les preuves les plus anciennes du début du mouvement almohade». Suite à cela, le programme focalisé sur Tinmel complète les éléments scientifiques du récit historique, «puisqu’on sait qu’Ibn Toumert s’est installé à Igiliz, avant de se déplacer vers Tinmel, de l’Anti-Atlas vers le Haut-Atlas dans le Haouz, fort de l’adhésion de plusieurs tribus de la région». «C’est là qu’il prépare les premières incursions et attaques contre Marrakech et les Almoravides, à partir de 1122-1123 de notre ère», rappelle le chercheur.

Vue aérienne d'Igiliz / DRVue aérienne d’Igiliz / DR

Arrivé à Tinmel, Ibn Toumert fonde d’ailleurs une petite mosquée, où il est enterré, à son décès. Son successeur, le sultan Abd al-Mumin (1130 – 1163), s’engagera dans une guerre sans merci contre les Almoravides. Vers 1147, il décide d’ériger, à partir de l’édifice initial, «cette grande et monumentale mosquée que nous connaissons aujourd’hui». C’est dans ce sens qu’Ahmed Saleh Ettahiri nous déclare que «les fouilles archéologiques actuelles sont inédites à plus d’un titre, puisqu’elles seront les première, après quelques sondages à l’intérieur au début des années 1980 par nos chercheurs Joudia Hassar-Benslimane et Abdelaziz Touri, accompagnés d’une équipe d’archéologues allemands, en amont de la restauration effectuée avec le soutien de l’ONA, entre 1991 et 1994».

En effet, le reste du site n’a pas été investi jusque-là par des travaux archéologiques. «Le projet actuel va donc nous éclairer sur les premières années de la dynastie, dont nous ne connaissons pratiquement rien, de nos jours», affirme Pr Ettahiri.

«Nous nous intéressons à la culture matérielle de la ville de Tinmel, son architecture domestique (l’habitat), militaire (ouvrages défensifs), sachant que cette dynastie a étendu son empreinte à nos grandes cités, comme en témoignent Bab Rouah à Rabat, la forteresse des Oudayas, Bab Agnaou à Marrakech, la Kasbah, la grande mosquée de Taza, une grande partie des fortifications de Salé et de Fès… Vue à partir de cette perspective, Tinmel s’avère être une cité dont l’apport est considérable au niveau de notre civilisation, aussi bien au Maroc qu’en Andalousie, où l’on reconnaît La Giralda, ou encore le Palais de Séville.»

Pr Ahmed Saleh Ettahiri – INSAP

Etudier l’ensemble de la culture matérielle des Almohades

L’objectif des travaux est ainsi d’étudier, à partir des fouilles, «l’ensemble de la culture matérielle laissée par les Almohades, pendant leur installation sur le site de Tinmel, en focalisant sur l’organisation spatiale et sociale», dans un contexte où des projets de restauration sont toujours en cours, à la suite du séisme de 2023.

La Giralda de Séville / DRLa Giralda de Séville / DR

A partir des éléments exhumés, les chercheurs reconstitueront tout autant le puzzle des industries, des activités économiques locales, de l’organisation urbaine avec ses différentes institutions, ou encore le système défensif dont une partie est encore visible, entre autres. «Nous étudierons aussi les ancêtres de cette architecture défensive des Almohades que l’on retrouve à Marrakech, à Séville, à Rabat, à Taza et dans d’autres forteresses», indique Ahmed Saleh Ettahiri, dans son entretien à Yabiladi.

A l’issue du chantier, les chercheurs pourront renseigner de manière inédite sur «les connexions entre cette société et le reste de la région, au niveau du micro-territoire et le vaste territoire, pour vérifier l’éventuelle ouverture de cette population de ses décideurs sur le Haouz, le Souss et l’Anti-Atlas, ainsi que les atouts ayant permis à ce mouvement de renverser le pouvoir almoravide…»

Il s’agit, pour le chercheur, d’établir «des preuves matérielles sur les prémices du mouvement almohade et l’installation de cette société au cœur de Tinmel, ainsi que ses relations avec les autres populations avant la prise de la capitale, Marrakech». Au-delà des fouilles en elles-mêmes, l’accumulation de ces données scientifiques pourront soutenir le travail historique et patrimonial à diverses échelles.

Restaurée dans les années 1990, la grande mosquée de Tinmel a été impactée par le séisme de 2023. Après de nouveaux travaux de reconstruction, le lieu reste sur la liste indicative de l’UNESCO, et ce depuis 1995. En tant qu’archéologue, Ahmed Saleh Ettahiri estime que dans l’état actuel des choses et à la lumière des nouvelles trouvailles, «il y aura toujours lieu de soutenir le dossier de classement au patrimoine mondial».

«N’oublions pas que ce repère historique et spirituel constitue l’archétype de l’architecture religieuse almohade. La mosquée de Tinmel a joué un rôle déterminant, qui a façonné le devenir de cette architecture, même après les Almohades. Elle a donc une particularité et une authenticité inédite. Nous espérons pouvoir, grâce à ce programme de recherche pluridisciplinaire, découvrir d’autres artefacts et structures qui contribueraient à ce que le lieu soit classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.»

Pr Ahmed Saleh Ettahiri

La mosquée de Tinmel en restauration, en septembre 2024 / Ph. Mosa'ab Elshamy - AP PhotoLa mosquée de Tinmel en restauration, en septembre 2024 / Ph. Mosa’ab Elshamy – AP Photo

En attendant, le chercheur ne peut qu’affirmer que les découvertes en cours «nous laissent bel et bien admettre que les trouvailles exceptionnelles vont donner lieu à une meilleure compréhension de l’évolution, non seulement de la civilisation almohade, mais aussi de l’ensemble de la civilisation du Maroc, pendant le XIIe siècle et au-delà».

Il s’agit d’ailleurs de l’un des objectifs principaux, initialement définis par l’équipe de recherche. A ce stade, le professeur Ahmed Saleh Ettahiri nous fait part de son optimisme «sur l’apport de ce programme, d’un point de vue matériel, concernant l’évolution de notre culture pendant la période médiévale». A ce titre, il insiste sur la ville de Tinmel en tant que «haut-lieu de l’Histoire de notre pays qui mérite une mise en lumière d’envergure».





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