Dans le nord du Maroc, la région de Ghomâra a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire, notamment en tant que terre natale de figures religieuses éminentes comme Abdeslam Ben Mchich Alami. Cependant, bien avant cela, au cours du Xe siècle, la région a été le théâtre d’une agitation inédite. Un homme, connu sous le nom de Ha-mîm, a revendiqué le statut de prophète et cherché à réformer l’islam. Sa prédication a duré deux ans, avant de se terminer tragiquement lorsque les califes omeyyades d’Al-Andalus ont décidé de l’éliminer.
La naissance d’un prophète
Selon les historiens, Ha-mîm a proclamé sa prophétie aux alentours de l’année 927. Dans une région où l’instruction était encore peu répandue, il a su rapidement attirer les foules. En effet, Le Livre des exemples de l’historien Ibn Khaldoun (1332 – 1406) décrit Ghomâra comme habitée à l’époque par «des bédouins hors-la-loi, illettrés et dépourvus de bienveillance».
Ha-mîm a donc trouvé un terrain fertile pour rallier les populations à sa cause. Ces dernières lui ont accordé une confiance totale, croyant fermement en sa prophétie. L’orientaliste Alfred Bel (1873 – 1945) souligne que le prétendu messie s’est inspiré du Coran pour choisir son pseudonyme, composé des deux lettres arabes Ha et mîm, qui introduisent plusieurs sourates du Coran :
«En reconnaissant ouvertement le message de Mahomet et en respectant les préceptes de l’islam, Ha-mîm a prétendu réformer l’islam de la même manière que le Prophète a réformé les monothéismes, complétant le judaïsme et le christianisme.»
Alfred Bel, comme de nombreux historiens, rappelle la rareté des sources écrites sur Ha-mîm. Les seules références détaillées proviennent du géographe et historien andalou Al-Bakri (1014 – 1094), qui a vécu au XIe siècle. «Ces sources, bien que rares, nous éclairent sur la méthode religieuse de Ha-mîm, dont les fondements rejoignent quatre des cinq piliers centraux de l’islam», explique Alfred Bel.
Il précise également que ces préceptes s’inspirent des tribus des Berghouatas, présentes du VIIIe au début du XIe siècle en Afrique du Nord. Malgré le peu d’éléments disponibles, ces informations offrent un aperçu des interdits, rites religieux et habitudes quotidiennes liés à son culte.
Des inspirations monothéistes
Alfred Bel rapporte que Ha-mîm a véritablement tenté de créer un «Coran amazigh», comme l’avait déjà mentionné Ibn Khaldoun dans Le Livre des exemples. Ce dernier décrit comment les gens se rassemblaient autour de Ha-mîm, qui leur récitait souvent des versets dans leur langue locale.
Au XIXe siècle, l’historien Ahmad Ibn Khalid al-Nasiri (1835 – 1897) précise dans son ouvrage Kitâb al-Istiqsa que Ha-mîm recommandait deux prières par jour à ses fidèles :
«L’une au lever du soleil et l’autre au coucher, avec trois prosternations pour chacune, accompagnées de psalmodies de leur Coran : ‘Éloigne-moi du péché, Ô toi qui as sorti Joseph des baleines et Moïse de la mer. En Ha-mîm je crois et en son père. Mon esprit, mon cœur et le plus profond de mon âme croient en lui, en Thalya et en sa sœur’. Ces deux dernières, connues pour leurs pouvoirs magiques, étaient souvent invoquées dans les prières.»
Ha-mîm a également instauré le jeûne durant les premières heures des lundis et jeudis, ainsi que le vendredi et dix jours du ramadan, suivis de deux jours le mois suivant. Quiconque rompait volontairement le jeûne du jeudi devait offrir trois bovins, tandis que celui qui le faisait le lundi devait donner deux bovins et faire une aumône. Par ailleurs, Ha-mîm a interdit la viande porcine, tout en autorisant la consommation de la truie, et a prohibé la consommation des œufs.
La crucifixion
En peu de temps, le prophète autoproclamé a rassemblé de nombreux adeptes. Mais deux ans plus tard, les Omeyyades de Cordoue (929 – 1031) ont pris conscience de son influence croissante. Craignant une menace pour leur pouvoir, ils ont décidé de mettre un terme à son mouvement. Ahmad Ibn Khalid al-Nasiri relate cet épisode dans Kitâb al-Istiqsa :
«Des soldats andalous ont été envoyés à Ha-mîm. Ils se sont réunis au palais de Masmouda et ont planifié l’élimination du faux prophète. Celui-ci a été crucifié sur place et sa tête envoyée au roi de Cordoue. Ses fidèles ont également été tués par l’armée omeyyade, et ceux qui ont survécu sont retournés à l’islam.»
L’agitation suscitée par la prédication de Ha-mîm a rapidement dégénéré en une confrontation ouverte avec les autorités établies. Ces dernières ont finalement réussi à l’éliminer en 928.