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En 1908, un projet de constitution évoquait les libertés individuelles au Maroc


C’est le 7 juillet 1962, six ans après son indépendance, que le Maroc adopte sa toute première Constitution. Un projet soumis au référendum par le roi Hassan II. Le royaume connaîtra ensuite cinq textes constitutionnels : Constitution de 1970 puis celles de 1972, de 1992, de 1996 et enfin celle adoptée par référendum le 1er juillet 2011 sous le règne du roi Mohammed VI.

Toutefois, bien avant quele roi Hassan II décide lui-même d’élaborer et de rédiger un texte constitutionnel promis sous le règne de son père, le roi Mohammed V, plusieurs projets de constitution n’ont malheureusement pas pu dépasser le stade embryonnaire. L’histoire retient cinq projets de constitution dont trois présentés au sultan Moulay Abdelaziz et deux autres à son successeur le sultan Moulay Hafid. Des propositions dictées par la situation géopolitique entre la fin du 19e et le début du 20e siècle.

Trois projets de constitution sous le sultan Moulay Abdelaziz

C’est vers cette même période que la volonté des puissances européennes de coloniser les pays du Maghreb atteint son summum. Les yeux de la France, de l’Espagne et de l’Allemagne, mais aussi ceux du Royaume-Uni et de l’Italie étaient tous rivés sur le royaume chérifien, pays nord-africain aux portes de l’Europe. Dès 1902, la France, déjà présente en Algérie voisine, paraphait une série d’accords bilatéraux avec ses voisins, d’abord avec l’Italie sur le Maroc et la Libye en 1902, puis avec le Royaume-Uni en 1904, que l’histoire désignera sous l’appellation d’«Entente cordiale».

Le Maroc sous le règne du sultan Moulay Abdelaziz n’est pas le même royaume que sous son prédécesseur. Après son accession au trône, le jeune sultan fait face à une crise interne avec l’urgence de poursuivre les réformes entreprises par son père et la crise financière frappant le royaume chérifien. Sept ans après, la France obtient un accord avec les autorités marocaines pour «aider» l’administration du royaume dans les régions encore non contrôlées du Maroc oriental. Les tentatives de s’immiscer dans les affaires marocaines se multiplieront ensuite.

Le projet de réforme présenté par Hajj Ali Zniber. / Ph. TafraLe projet de réforme présenté par Hajj Ali Zniber. / Ph. Tafra

C’est dans ce sillage qu’un premier projet de constitution marocaine verra le jour. L’année dernière, le Centre Jacques Berque (CJB) et l’Association Tafra ont présenté une étude sur l’histoire constitutionnelle du Maroc, arguant que le premier projet de constitution a été présenté par Mohammed Abdellah Bensaid, un érudit issu de la ville de Salé. Son texte «s’apparente davantage à la Nasiha qu’à la proposition de réforme constitutionnelle [mais il y] essaye de convaincre le sultan de moderniser partiellement le pays pour échapper au joug colonial».

Au lendemain de la conférence d’Algésiras, deux autres propositions de réformes sont présentées à Moulay Abdelaziz. La première est le fruit du travail et de l’expérience de Hajj Ali Zniber, écrivain, poète et nationaliste marocain ayant vécu en Egypte avant de retourner au Maroc en 1904. Quant au second projet, il a été présenté par le Libanais Abdelkarim Mourad Al Tarraboulsi, qui aurait été l’un des conseillers du sultan Moulay Abdelaziz. A en croire le quotidien arabophone Al Massae du 22 juin 2006, ce travail aurait été évoqué pour la première fois par Allal El Fassi dans une conférence datant de 1968 sous le thème «Fouilles sur le mouvement constitutionnel au Maroc avant le protectorat».

Le projet de constitution présenté par le Libanais Abdelkarim Mourad Al Tarraboulsi. / Ph. TafraLe projet de constitution présenté par le Libanais Abdelkarim Mourad Al Tarraboulsi. / Ph. Tafra

L’arrivée au pouvoir de Moulay Hafid et le projet «moderniste» de Lissan Al Maghrib

Le 4 janvier 1908, Moulay Hafid est élu sultan du royaume chérifien pour succéder à son frère Moulay Abdelaziz. À cette occasion, un texte de Bey’a, «mi-constitutionnel, mi-traditionnel» est alors rédigé par les Oulémas les plus réputés du royaume, rappelle l’Association Tafra. «Le texte de la Bey’a peut être considéré comme un pacte constitutionnel compte tenu des conditions qui ont été ajoutées par les Oulémas de Fès», estime pour sa part l’historien Ahmed Cohen El Mghili, dans le quatrième tome des «Mémoires du patrimoine marocain» (Editions Nord Organisation, 1986).

A en croire la même source, le nouveau sultan devait s’engager notamment à «récupérer les terres occupées», «mettre fin au système de protection des personnes», «l’annulation des engagements signés à l’issue de la Conférence d’Algésiras» et «la libération des deux présides occupées», entre autres. Cela vaudra aux oulémas de Fès la tête de cheikh El Kettani, rédacteur du texte, tué sur ordre du nouveau sultan, à en croire l’étude du CJB et l’Association Tafra.

Le sultan Moulay Hafid à Fès en 1912. / Ph. DRLe sultan Moulay Hafid à Fès en 1912. / DR

C’est probablement ce qui expliquera la discrétion ayant entouré la publication, entre le 11 octobre et le 1er novembre 1908, d’un autre projet de constitution dans les pages du journal tangérois Lissan Al Maghrib, édité par les frères libanais Arthur et Farajallah Nemmour. Al Massae attribue ce texte à une «Association marocaine de l’unité et du progrès», qui regrouperait une élite ayant soutenu la déposition de Moulay Abdelaziz et l’intronisation de son frère, Moulay Hafid. Quant au texte, le projet de constitution de 1908 peut être qualifié de modèle futuriste, compte tenu de ses 93 articles et son style moderniste.

«Ses rédacteurs sont très familiers avec la jurisprudence constitutionnelle moderne et ont une connaissance approfondie du mouvement constitutionnel en Turquie, en Egypte et en Iran. Le texte du projet de constitution du « Lissan Al Maghrib » comportait quatre sections.»

Un texte qui appelle aux libertés individuelles et de culte… en 1908

La première section du projet de constitution de l’«Association marocaine de l’unité et du progrès» traite de la loi fondamentale de la nation. Elle définit l’Etat marocain, sa langue officielle, les pouvoirs du sultan et du gouvernement, les finances de l’Etat ainsi que la religion et le rite légal du royaume chérifien. Mais bien que son article 4 énonce que «la religion de l’État chérifien est l’Islam et le rite légal est le rite malékite», son article 5 évoque ouvertement la liberté de culte. «Toutes les religions connues sont respectées sans distinction. Leurs adeptes ont le droit d’exercer leur culte en toute liberté à condition de respecter l’ordre public», lit-on dans le projet de constitution publié par le site de la Digithèque de matériaux juridiques et politiques de l’Université de Perpignan.

Dans la deuxième section, intitulée «des sujets de l’État chérifien, de leurs droits et de leurs devoirs», le projet de Lissan Al Maghrib s’attarde sur les libertés. On y affirme d’abord, dans l’article 12, que «la qualité de Marocain est attribuée à tout sujet de l’État chérifien, musulman ou non». Plus loin, le texte insiste sur les libertés individuelles et la liberté d’expression.

«Tout Marocain a le droit de jouir de sa liberté individuelle à condition qu’il ne porte pas atteinte à autrui et à la liberté d’autrui. (Article 13)
La liberté individuelle consiste pour chacun à faire, à dire et à écrire ce qu’il veut, sous condition du respect de l’ordre public. (Article 14)
La liberté d’expression existe sous condition du respect de l’ordre public. (Article 16)»

Le projet de constitution interdit violer le domicile d’un individu sans «décision du Conseil consultatif et approbation expresse du Sultan», tout comme «le fouet et la torture par n’importe quel moyen, et tout procédé contraire à la civilisation». Dans une troisième section, on s’intéresse aussi au régime parlementaire, proposant ainsi du bicaméralisme. Appelé «Mountada Achourra», le parlement proposé par Lissan Al Maghrib est composé d’un Conseil de la Nation et d’un Conseil des notables.

Mais le projet ne restera que de l’encre sur papier. En 1912, Moulay Hafid signera à Fès le «Traité pour l’organisation du protectorat français dans l’empire chérifien», mettant une fin brusque aux appels à une réforme. Ce n’est qu’en 1934 que le Comité d’Action marocaine d’Allal El Fassi, Mohamed Hassan El Ouazzani et Mohamed El Mekki Ennaciri (entre autres), soutenu par plusieurs politiques français, proposera le «Programme des réformes marocaines».





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