Face aux pelleteuses, des habitants des quartiers Océan et Sania Gharbia à Rabat restent dans l’incompréhension. Les expropriations et les destructions qui les concernent actuellement portent sur des terrains dont les projets à venir restent flous. La procédure en elle-même est pointée par les conseillers locaux de la Fédération de gauche démocratique (FGD). Portant la voix des populations touchées, ils fustigent des irrégularités dans l’exécution du plan d’aménagement urbain, notamment par le fait que les expropriations aient commencé avant même que le texte ne soit porté au Bulletin officiel en février dernier, sans enquête publique obligatoire.
«Nous n’avons ni document, ni témoignage étayant un projet d’activités socioéconomiques avec la participation des propriétaires expropriés et ce point n’a jamais été abordé», affirme auprès de Yabiladi Omar El Hyani, élu FGD au Conseil communal de Rabat. «Le statut de l’Océan et de Sania Gharbia est particulier, d’autant que ce dernier est l’un des plus anciens quartiers de la ville. Il constitue la première extension construite hors des murs de la médina pour les musulmans, le quartier moderne sur l’avenue Mohammed V étant celui des Européens», rappelle-t-il.
Dans ce quartier musulman historique, «la majorité des maisons sont bien construites, avec des permis, des titres de propriétés, sauf quelques cas d’habitations fragilisées par le temps», souligne le conseiller. Abondant dans le même sens que les témoignages publics d’habitants et de propriétaires concernés, dont la parole a été lors d’une conférence de presse tenue par les élus de la FGD à Rabat, Omar El Hyani nous déclare que «des visites ont été effectuées par le pacha de Hassan, en demandant de quitter les lieux rapidement, conformément à des instruction «venues d’en-haut», sans identifier l’origine de cette décision».
A qui profite l’expropriation ?
Sur place, «la majorité sont des locataires depuis des décennies». Certains se sont pliés aux instructions, tout en s’interrogeant sur leur transparence, tandis que d’autres ont demandé des bases légales de la décision. «A date d’aujourd’hui, nous n’en avons aucune», affirme Omar El Hyani. Il rappelle que «les expropriations devraient se faire conformément à un décret d’utilité publique (une route, un hôpital, une école…)». «Sans cela, on ne peut pas ordonner à des habitants de quitter leurs logements, d’autant que le respect de la propriété privée est garanti par la Constitution», souligne l’élu local.
«Ces personnes-là sont plutôt victimes d’intimidations. Certains propriétaires ont accepté de céder leurs biens pour 13 000 DH le mètre carré. Pour ceux qui ne sont pas enregistrés à la conservation foncière mais qui ont leur titre de propriété adoulaire, la compensation s’élève à 10 000 DH/m². Certains ont accepté l’option, mais le grand mystère demeure sur qui est l’acheteur dont on ne connaît ni l’identité, ni la qualité.»
Omar El Hyani, élu FGD de la ville de Rabat
Pour l’heure, les propriétaires qui ont accepté la proposition n’ont pas encore touché non plus leurs indemnités «et ils ne connaissent pas les acheteurs plus que nous», affirme encore Omar El Hyani. Selon lui, «ce seraient des investisseurs qui chercheraient à se positionner sur la côte de Rabat, sachant que l’Etat ne peut pas exproprier un bien privé pour le compte d’un autre acteur privé».
«L’expropriation est très encadrée par la loi, d’où nous pointons des intimidations. Les témoignages qui se sont exprimés publiquement disent cela, en plus des informations que nous avons recueillies nous-mêmes en tant que conseillers. Si on ne les croit pas, c’est autre chose», insiste-t-il.
Alors que les informations restent floues et que rien n’est encore officiel, les expropriations et les destructions continuent, ce qui interroge les élus FGD sur ces méthodes-là.
Des appels à reloger les habitants sur place
Omar El Hyani nous déclare que «si l’on veut exproprier des habitants, qu’on pense au moins à leur relogement sur place puisque c’est là qu’ils ont leurs activités économiques, leurs études et leur quotidien depuis plus de 50 ans». Pour lui, «on ne peut pas les déraciner en leur ordonnant simplement de se déplacer à 30 kilomètres, au risque de générer des catastrophes sociales».
En l’espèce, l’élu FGD estime que le cas de l’Océan et de Sania Gharbia crée un précédent, puisque «nous sommes face à des propriétaires qui ont leurs titres mais qui reçoivent l’ordre de céder leurs biens, sans procédure d’expropriation telle que prévue par la loi». «Notre préoccupation est que cela ne s’arrêtera pas à cette zone et que l’on s’empare de toute la côte de Rabat», s’inquière Omar El Hyani.
Face à cette situation, il estime qu’une action en justice «peut avoir lieu». «Nous avons conseillé aux habitants qui le souhaitent de le faire, s’ils continuent à être intimidés. Le plan d’aménagement ne permet l’expropriation qu’à des fins d’utilité publique, ou lorsqu’il faudra construire des routes ou mettre en place des jardins, mais non pas d’ériger des skylines en ménageant les ambiguïtés et les imprécisions», insiste le conseiller.