Après une mission humanitaire de six semaines dans la bande de Gaza, Dr Ahmed Zeroual est revenu au Maroc. Dans le cadre d’une initiative bénévole de la Coordination marocaine Médecins pour la Palestine dont il est membre du secrétariat, le spécialiste en chirurgie maxillo-faciale a pu atteindre la région au début de la trêve, à travers l’Organisation mondiale de la santé (OMS). «Je suis revenu de Gaza depuis presque une semaine. J’ai fait des prestations médicales en travaillant conjointement avec mes collègues palestiniens, pour prendre en charge différents cas, entre ceux liés directement à la guerre et ceux qui n’ont pas pu accéder aux soins médicaux, depuis le début de la guerre», a-t-il déclaré à Yabiladi.
Dans son entretien avec notre rédaction, Dr Ahmed Zeroual, qui opère au Centre hospitalier régional Hassan II d’Agadir, énumère les différents cas ayant tous nécessité une prise en charge immédiate à Gaza : les blessures directement causées par la guerre (fractures et blessures faciales), les complications de blessures de guerre, les cancers aggravés, faute d’accès aux soins depuis le 7 octobre 2023, les chirurgies esthétiques pour réparer les malformations congénitales (dont fentes labiopalatines), ou encore les ostéosynthèses et le traitement des infections liées aux poses d’implants de contention pendant la guerre.
Dans la partie nord, le médecin décrit «des besoins vitaux». Comme sur l’ensemble de la bande de Gaza, les ressources humaines et le matériel médical manquent, après près de deux ans de guerre d’occupation menée par Israël, durant lesquelles le système de santé a été mis hors service. Depuis le 7 octobre 2023, au moins 48 515 personnes ont été tuées et plus de 111 900 ont été blessés, selon les chiffres actualisés du ministère palestinien de la Santé, ce mercredi. Les hôpitaux et le personnel médical ont été parmi les premières cibles.
Selon les chiffres de Dr Ahmed Zeroual, «plus de 1 000 professionnels de santé ont été tués, dont beaucoup de médecins, depuis le début de la guerre ; 400 à 600 ont été détenus». «Certains parmi eux ont été remis en liberté et j’en ai côtoyé quelques-uns, lors de ma mission humanitaire», nous dit-il. Les directeurs des hôpitaux restent quant à eux «incarcérés, depuis le début de la guerre pour certains».
Le directeur de l’hôpital Kamal Adwan, Hussam Abu Safiya, se dirigeant vers un tank israélien le 29 décembre 2024 / Ph. Muhannad Al-Muqayyad
«Nous gardons l’espoir que les directeurs des hôpitaux seront remis en liberté. Leur présence au sein de leur population est vitale et ils sont en première ligne de front. Nous réitérons nos appels aux forces de l’occupation de les libérer. Tout le monde témoigne qu’ils ont été arrêtés non-armés, sans être engagés dans une résistance armée. En tant que praticiens, nous avons une mission et un serment à honorer et cela inclut la responsabilité de ne pas laisser nos patients mourants lorsqu’on reçoit l’ordre d’un occupant de quitter une structure hospitalière.»
Dr Ahmed Zeroual
Dans le nord de la bande, le praticien marocain et l’un de ses collègues palestiniens ont été les deux seuls spécialistes en chirurgie maxillo-faciale, pour couvrir les besoins d’une population de 700 000 personnes. «Sur toute la bande, un chirurgien de ma spécialité est désormais le seul à opérer dans la zone nord et un autre dans la zone sud», souligne-t-il.
«Une destructions générale dans la bande de Gaza»
Sur le terrain, Dr Zeroual a travaillé avec les équipes palestiniennes de l’hôpital baptiste Al-Maamadani et Shifa à Gaza. «J’ai été mobilisé principalement dans le premier, pour opérer une fois par semaine dans le second, en alternance ou en binôme avec mon collègue chirurgien sur place, ainsi que les équipes médicales palestiniennes», nous déclare le médecin, qui décrit «une situation pire que le peu qui nous parvient jusqu’à la télévision ou via les réseaux sociaux». «C’est une destruction générale sur toute la bande, avec des quartiers entièrement rasés», a-t-il affirmé.
Dans ce contexte, «le complexe hospitalier Shifa, qui a été jusque-là «le plus grand de toute la Palestine, un repère et un monument dans la médecine», est «tellement dans un état de destruction avancé du fait de la guerre que les ingénieurs recommandent de raser ce qui en reste», déplore Ahmed Zeroual.
Il souligne qu’avant cela, cette structure a fait office d’«un grand Centre hospitalier universitaire (CHU), regroupant 25 salles opératoires». «Il en reste une partie pour les consultations et des actes de petite chirurgie, mais tous les blocs de spécialités ont été mis à terre et rendus impossibles à réparer, ce qui complique encore plus la prise en charge des patients», nous confie-t-il.
L’hôpital Shifa en 2024
Pour l’heure, l’hôpital Al-Ahli Arabi (Al-Maamadani) reste «une colonne vertébrale pour le système de santé dans la région nord, malgré sa petite superficie», fait savoir le médecin, qui y décrit quatre salles d’opérations et une pour les cas urgents et les infections. Sur cet espace, six spécialités médicales s’alternent, avec du matériel et des consommables médicaux extrêmement limités.
«En l’espèce, nous avons touché les limites de la prise en charge des cas complexes dans la bande de Gaza. Les interventions nécessitant un plateau technique spécial, pour 10 à 12 heures de chirurgie, doivent se faire dans des CHU et des structures externes. Nous avons adressé des lettres de référence pour que des patients puissent bénéficier de soins à l’extérieur de la bande.»
Dr Ahmed Zeroual
Des effets de la guerre après la trêve
Dans la région, le médecin garde également le souvenir douloureux des cimetières dans les hôpitaux. «Ce n’est qu’après le cessez-le-feu que plusieurs familles ont pu se rendre aux abords des structures hospitalières pour exhumer les corps de leurs proches tués en guerre, afin de leur organiser des funérailles dignes», nous déclare-t-il.
Malgré le retrait de l’armée israélienne de l’intérieur de la bande, la présence des soldats demeure sur 700 mètres, aux abords de la région. «Depuis l’annonce officielle du cessez-le-feu, plus de 120 personnes ont ainsi été tuées et nous avons pris en charge des cas de blessés», précise Ahmed Zeroual, qui se souvient encore des «opérations d’extraction de balles sur des enfants».
«La prise en charge des cancers nécessitant une chirurgie reste aussi un grand défi. Nous avons pu bien opérer des patients, notamment des jeunes, mais ces soins nécessitent un complément à l’aide de la chimiothérapie et de la radiothérapie, indisponible actuellement dans la bande de Gaza. Cela nous a fait mal au cœur de voir notamment ces contraintes causer des récidives. Nous avons été particulièrement marqués par le cas d’une patiente de 35 ans.»
Dr Ahmed Zeroual
Des Palestiniens traversent l’hôpital Shifa détruit / Ph. Mohammed Hajjar – AP
De la bande de Gaza, le médecin retient surtout «la dignité de la population palestinienne malgré l’ampleur du carnage, malgré le fait qu’elle soit livrée à elle-même». «J’ai vu des gens qui vivent une guerre atroce, qui ont perdu leurs biens, leurs enfants, leurs proches ou leurs parents et qui continuent à aimer la vie, en gardant une grande clairvoyance», nous confie Ahmed Zeroual.
«Chaque maison compte au moins un martyr, mais toutes les familles s’attachent à la vie et gardent un sens étonnant de l’organisation et de la discipline quotidienne, qui doit nous questionner sur nos propres priorités individuelles et notre manière d’appréhender les défis auxquels nous nous confrontons», nous dit le médecin.
Un soutien médical des Etats nécessaire sur le terrain
Dans la région, tout reste encore à faire et à reconstruire. «Les organisations et les particuliers peuvent prendre des initiatives et agir en solidarité avec la population palestinienne. Mais la situation dans la bande de Gaza et l’ampleur des dégâts que la guerre a laissée nécessitent véritablement une solidarité entre les Etats et un soutien des pays, à travers des initiatives qui pourraient permettre aux habitants de retrouver une vie stable», insiste le praticien.
Dans ce sens, il rappelle que «face au niveau de destruction du système de santé, à lui seul, une mise en place d’hôpitaux de campagne dans la bande de Gaza est indispensable et ce sont les Etats qui peuvent le faire». A ce titre, Ahmed Zeroual rappelle que la Coordination Médecins pour la Palestine a adressé une correspondance au ministère marocain de la Santé et de la protection sociale, restée jusque-là sans réponse.
Hôpital Al-Maamadani à Gaza
«Nous avons ensuite fait trois rappels officiels de notre correspondance au ministère, notamment pour que le Maroc initie l’installation d’un hôpital de campagne. Des missions médicales peuvent alors être envoyées dans ce cadre, pour répondre au manque de ressources humaines sur place et pour alléger le peu de médecins qui ont travaillé sans relâche depuis le début de la guerre, en plus de permettre l’accès aux consommables et au matériel médical en quantités.»
Dr Ahmed Zeroual
«Nous soutenons toujours la cause palestinienne et le Maroc est connu pour son histoire dans les interventions humanitaires dans les zones de conflit. Notre souhait est que cette tradition se perpétue et que nous la mettions également au service de la population palestinienne», a plaidé Dr Ahmed Zeroual.