Au fil des siècles, Tanger n’a cessé d’inspirer peintes, écrivains, musicologues, photographes, réalisateurs de cinéma et professionnels du théâtre. Parmi les créateurs contemporains, Umberto Pasti fait partie de ceux qui ont été séduits à jamais par cité septentrionales. Il y a 40 ans déjà, l’auteur italien a découvert les paysages pittoresques cette ville au carrefour de la Méditerranée. En quittant le Marrakech où il a précédemment côtoyé le cercle de Yves-Saint Laurent, Umberto Pasti traverse plus de 500 kilomètres en voiture, avec son ami et créateur de mode Stephan Janson.
Au hasard d’un virage qu’il a pris par erreur il découvre la nature sauvage de la région de Tanger, avec ses iris tigitana si particuliers. Sous un figuier, Umberto Pasti rêve d’élire domicile quelque part au cœur de cette cité fascinante, dans une demeure surplombant la mer. A une soixantaine de kilomètres du centre urbain, il découvre une habitation, au milieu des années 1990. Acquise en 2000, aménagée au fur et à mesure des années, cette maison-musée est devenue le refuge du concepteur de jardins, qui y séjourne pour se ressourcer, lorsqu’il n’est pas à Milan.
Inspiré aussi bien par la littérature et les arts que l’horticulture, l’auteur a en effet conçu Rohuna, le jardin botanique où il a pu mettre nombre de variétés de la flore tangéroise à l’abri du bétonnage, comme l’iris sauvage qui l’a marqué à sa première rencontre avec Tanger. Cet espace constitue un environnement propice aux candicans locaux, aux lys rouges et blancs, aux figuiers et autres variétés de la végétation connue de la région. En 2019, il y a consacré son livre «Un jardin rêvé – Rohuna, nord du Maroc» (éd. Flammarion).
A l’occasion de la sortie de son roman «Arabesco» (éd. Bompiani, 2024), Umberto Pasti a accordé un entretien à Vogue Italia, où il est revenu longuement sur son lien désormais existentiel à une ville qui a fini par l’adopter.
Une partie de la demeure d’Umberto Pasti près de Tanger / Ph. Ngoc Minh Ngo – source : House & Garden
Un récit écrit comme on dessine l’arabesque
Dans son opus littéraire, Umberto Pasti s’est laissé d’ailleurs guider par ce que lui inspire la ville. «Arabesco» décrit Tanger à la fois comme «un village carthaginois et phénicien, arabe et portugais», et un point de destination pour de nombreuses familles andalouses, depuis la chute du royaume musulman de Grenade en 1492. Mais les récits autour de l’exotisme de l’ancienne Zone internationale ont été déconstruits depuis longtemps et l’auteur ne le sait que très bien.
«Arabesco» est d’ailleurs l’histoire d’un collectionneur déterminé à préserver l’esprit de la ville de Tanger, depuis sa maison située dans la cité blanche. Quelles que soient les dettes accumulées, le protagoniste poursuit les chimères du passé et recueille les témoignages sur une civilisation qui n’a peut-être pas existé. Entre autobiographie et satire, style gothique, policier, ou références musicales populaires, l’auteur raconte l’intrigue entre deux personnages, rappelant Don Quichotte et Sancho Panza.
En réalité, Umberto Pasti estime que Tanger, longtemps prémunie du consumérisme à outrance, a fini par y céder. Rejoignant dans cet avis le musicologue et écrivain américain Paul Bowles, un autre auteur adopté par le Tanger de la seconde moitié du XXe siècle, Pasti considère qu’«il y reste quelques oasis de résistance». Autant dire que sa demeure s’inscrit bien dans ces espaces, dont les propriétaires assument l’aspect bohème et hors du temps comme un parti pris dans la conservation.
C’est tout ce charme particulier qui a fait rester le botaniste dans la cité septentrionale, au fil des décennies. Côté jardin, il s’y sent chez lui. En termes de sociabilisation, il y retrouve une part de sa Méditerranée qui ne connaît que les frontières maritimes, avec un attrait spontané à la fête, à la convivialité, au vivre-ensemble, au goût pour les choses simples et à la vie nocturne, une spécificité commune à nombre de villes du pourtour. Construite entre les années 1940 et la fin des années 1960, la propriété qu’il a acquise dans la région a inspiré en partie ce roman.
Une maison-musée qui regorge d’histoire
Riche de plus de 2000 mètres carrés de jardins, agrémentés de poiriers et de cognassiers, ce cottage a bien une longue histoire qu’Umberto Pasti a découvert plus tard. Grâce à des documents, il apprend que cette «maison haute» a été conçue et construite par l’artiste espagnol Diego Mullor Heredia. La vie tumultueuse du dessinateur célèbre tombé en disgrâce se croise avec les récits d’«Arabesco», mêlant réalité et fiction, sur un ton agréable à lire.
Dans son précédent ouvrage, «The House of a Lifetime: A Collector’s Journey in Tangier» (éd. Rizzoli, 2023), l’auteur a évoqué les vies multiples de cette demeure et des collections qu’elle abrite, avec des images du photographe Ngoc Minh Ngo. Plus qu’une propriété privée, cette maison-musée est devenue un terrain pour les travailleurs, jardiniers et créateurs locaux, dont la contribution rejoint le souci d’Umberto Pasti d’innover, tout en préservant les traditions des Jbala.
Vue de l’une des hauteurs du domicile d’Umberto Pasti, avec des épis d’Echium fastuosum, des lys rouges et blancs, ainsi que des arbres, dont des figuiers / Ph. Ngoc Minh Ngo – source : House & Garden
«Je possède probablement environ 150 000 objets. Imaginez à quel point ma tête est remplie d’histoires», a-t-il précédemment confié au New-York Times Style Magazine. Entre éléments culturels de tribus amazighes, arabes et romaines, objets anciens d’Angleterre ou tableaux de peintre italiens du XVIIIe siècle, hérités de son père, l’horticulteur construit son propre univers d’inspiration à Tanger. Des inspirations déclinées en botanique, comme dans ses livres.