Née à Bruxelles, Sarra El Messaoudi a grandi entourée de ses deux frères et de sa sœur dans une ville résolument cosmopolite. Pourtant, durant ses années d’école primaire, elle était souvent la seule élève issue de la diversité. Sa mère, infirmière belge, et son père, décorateur d’intérieur originaire de Bouyafa près de Nador, ont toujours suivi de près la scolarité de leurs enfants. La jeune journaliste évoque cette période avec fierté, se souvenant avoir toujours été «la première de la classe».
«J’ai eu la chance d’avoir une mère qui avait les outils pour nous aider dans nos révisions et devoirs à la maison. Je suis consciente que ce n’est pas le cas pour tout le monde, mais cet accompagnement m’a permis de maintenir un bon niveau scolaire», raconte Sarra El Messaoudi. Elle a fréquenté tour à tour les communes bruxelloises d’Evere, Molenbeek et Schaerbeek, où elle a retrouvé davantage de diversité au collège. C’est à cette époque qu’elle commence à envisager son avenir professionnel, nourrie par une passion pour la lecture et les livres.
«J’ai développé ces capacités grâce à ma mère, qui avait toujours des livres à la maison. Mon père, quant à lui, m’initiait à la calligraphie sur un tableau à la maison. J’ai toujours aimé écrire et raconter des histoires.»
Un contenu qui reflète la mosaïque belge
Jeune et pleine d’ambitions, Sarra El Messaoudi s’est montrée très tôt réaliste. «Je savais qu’en attendant de devenir écrivaine, je devais m’orienter vers un métier durable. J’ai pensé que le journalisme pourrait être la combinaison idéale entre les deux», nous confie-t-elle.
À la croisée des récits et des expériences humaines, la journaliste puise ainsi sa passion pour le récit dans son propre vécu, mais aussi dans celui de sa famille, de sa communauté et de sa ville plurielle.
Sarra El Messaoudi / Ph. Hakim Vision
«Ma mère est belgo-belge. Du côté paternel, mon grand-père est venu du Maroc en Belgique dans les années 1960, dans le cadre de la migration ouvrière initiée par l’accord entre les deux pays. Mon père l’a rejoint ensuite, avec ma grand-mère, par regroupement familial. Mes aïeux font donc partie des familles ouvrières de l’époque. Nous venons tous de quelque part, et il est important de le savoir, pour mieux s’approprier son histoire, mais aussi pour la célébrer et ne pas s’en cacher.»
À l’âge de 13 ans, Sarra El Messaoudi s’est projetée dans ce qui est devenu son métier. Plus tard, elle a tissé ses premières affinités avec le journalisme à travers la presse écrite. Après une licence en communication et un master en journalisme à l’Université libre de Bruxelles (ULB), elle a travaillé pour la rédaction de La Dernière Heure (DH), avant de participer à la production de reportages pour le journal télévisé de RTB Belgique.
Journaliste, formatrice et conférencière, elle est désormais créatrice de projets à impact social, réalisatrice et productrice de podcasts. Forte d’une expertise en diversité et inclusion (DEI) et en éducation aux médias (EMI), elle s’engage de diverses manières «pour un monde médiatique plus inclusif», à partir de ses constats sur le terrain.
Au fil de ces premières années d’immersion, Sarra El Messaoudi est frappée par l’absence de la diversité qu’elle connaît à Bruxelles, mais qu’elle ne retrouve pas dans les médias. Elle remarque cette invisibilisation particulièrement à la télévision, qu’elle juge peu représentative de la pluralité vécue quotidiennement en hors-champ.
«À l’écran, je voyais peu de personnes qui me ressemblaient. D’abord, les femmes n’étaient pas si nombreuses. Ensuite, celles issues de la diversité étaient pratiquement absentes. À la télévision, je voyais surtout des femmes qui semblaient devoir s’excuser d’être là.»
Raconter les histoires de toutes les diversités
Déterminée à faire de l’information autrement, la journaliste se donne pour mission de traiter d’autres sujets que ceux qui limitent la diversité et les vécus migratoires à de courts reportages d’une minute et demie. Elle souhaite «interviewer d’autres profils et améliorer le traitement des sujets qui [la] concernent». Elle écrit notamment pour Les Grenades, le média de la RTBF qui décrypte l’actualité du point de vue de genre.
Photo de famille avec l’équipe les invité·es – Nos héritages / Ph. Narjis Photography
Dans sa quête de formats adaptés pour raconter les histoires des diversités qui composent la mosaïque socioculturelle de Bruxelles, Sarra El Messaoudi a lancé une série de podcasts : «Nos Héritages». Son objectif est de «donner la parole à toute la diversité de la Belgique» et pas uniquement à sa communauté binationale. L’idée est de rapporter fidèlement ces récits, qu’ils racontent une réussite, une résilience, un parcours fragmenté ou une expérience difficile. En définitive, il s’agit de donner à ces vécus la mise en lumière qu’ils méritent dans l’espace médiatique.
«Au fur et à mesure de ce travail, on se rend compte qu’on est nombreux mais qu’on ne connaît pas les histoires de nos parents, de leurs trajectoires migratoires», nous explique Sarra El Messaoudi. Plus qu’une production sonore, son initiative part d’une urgence, celle de rattraper le temps qui passe et qui efface les récits non documentés des primo-migrants.
«Les grands-parents sont décédés et toute la première génération de l’immigration est en train de partir. Que reste-t-il de cela et donc de nous ? Il y a urgence à se raconter et à se réapproprier ces histoires, dans des formats longs qui ne soient pas contraignants ou qui limitent les premiers concernés dans le temps et l’espace.»
Pour Sarra El Messaoudi, il s’agit de permettre aux personnes concernées de se sentir légitimes pour aborder différents sujets, au-delà des marqueurs culturels ou religieux. «Avant l’interview, j’échange justement avec les interviewés pour choisir de quelle histoire on voudrait parler. C’est à la fois un processus de transmission et de réappropriation», nous explique-t-elle.
C’est pourquoi le travail journalistique de Sarra El Messaoudi va de pair avec son engagement bénévole, en tant que cheffe de projets. Au sein de l’Association pour la diversité et l’inclusion dans les médias (ADIM), elle s’attache à favoriser l’égalité des chances et la représentation inclusive dans son univers professionnel.
Visite guidée ‘Raconter et décoloniser 60 ans de vies belgo-marocaines’ / Ph. Salma El Ghabri
À ce titre, la journaliste organise des séances de travail, de réseautage et d’échange d’expériences entre consœurs, «pour permettre aux femmes d’intégrer d’abord la profession, puis de s’y stabiliser, ce qui est tout l’enjeu quand notre domaine est encore miné par le racisme et le sexisme, que ce soit dans les rédactions ou à travers la cyberviolence, sans oublier la précarisation du métier». En d’autres termes, il s’agit de «créer un espace sûr qui permet aux professionnelles d’échanger librement, de réfléchir et de comprendre les problèmes systémiques du métier».
Les récits familiaux, une «carte du soleil» mémorielle
Au-delà de la libération de la parole et de la mémoire sonore immortalisée, Sarra El Messaoudi s’engage activement dans une démarche fédératrice, ancrée dans l’espace public et la participation collective. Dans ce cadre, elle initie des événements autour de ses initiatives et podcasts, «pour créer des rencontres à partir de ces récits et valoriser nos cultures».
À l’occasion des soixante ans des accords sur la migration ouvrière entre le Maroc et la Belgique, la journaliste a consacré l’un de ses grands formats à la mémoire commune aux deux rives, racontée par ses protagonistes.
«J’ai eu la chance de réaliser tout un travail sur la communauté belgo-marocaine, avec aussi un événement rassemblant plus de 200 personnes à Bruxelles. Nous avons pu revenir sur nos souvenirs et ceux des grands-parents, en présence notamment de Mohamedi Ben Yadir, l’auteur maroco-algérien de ce qu’on appelle la ‘carte du soleil’.»
Cette carte revêt une grande importance pour les familles belgo-marocaines. Sarra El Messaoudi nous l’explique : «À l’époque, les parents n’avaient pas de GPS pour s’orienter sur leur route vers le Maroc, où ils passaient les vacances estivales. Beaucoup de ceux qui partaient en voiture jusqu’en Espagne se perdaient parfois. Pour éviter cela, Mohamedi Ben Yadir a produit une carte en 400 exemplaires, distribués dans les magasins fréquentés par la communauté. C’est ainsi que ‘la carte du soleil’ est née. Cet hommage à Bruxelles a été très émouvant pour nous tous.»
Suite à ce succès, Sarra El Messaoudi a été invitée à décliner l’initiative en visite guidée à Bruxelles. «Je ne pensais jamais pouvoir le faire un jour ! La visite a été créée autour des extraits de l’ensemble des émissions avec des personnes belgo-marocaines, en revenant sur le contexte politique de la signature de l’accord sur la migration ouvrière, les conditions sociales et économiques des familles venues à l’époque, mais aussi leur mobilisation et leur organisation face au racisme», nous dit-elle.
Cela a également été l’occasion pour la journaliste de revenir sur des références historiques antérieures, à commencer par le passé colonial, en lien avec «ce qui se passe encore aujourd’hui, entre fascisation de la société, montée des hostilités contre les immigrés, islamophobie et violences policières, puis qu’est-ce qui fait qu’on se sente chez nous, en Belgique».
À travers ces récits, «les personnes découvrent l’une des communautés les plus importantes du pays, dans un travail de mémoire ancré dans le passé, le présent et le futur». «Cela fait du bien aux aînés qui y retrouvent leurs récits et aux jeunes qui les découvrent peut-être pour la première fois», nous confie sereinement Sarra El Messaoudi.