L’ancienne tradition marocaine de se vêtir en peau de chèvre ou de mouton, entre Aïd Al-Adha et Ashoura, est un leg bien gardé, gâce à un travail de transmission de père en fils. Plus que cela, avec une touche de modernité, la coutume a gagné encore plus en popularité ces dernières années, parmi les jeunes hommes, adolescents et même filles qui se mettent dans la peau de l’ancien Bilmawen.
Les réseaux sociaux ont d’ailleurs été inondés de photos, vidéos et «shorts» d’internautes créatifs, qui ravivent cette tradition pluri-centenaire. En ajoutant des perruques, du maquillage, des lentilles et de nouveaux accessoires, Boujloud est ainsi devenu un évènement important pour plusieurs jeunes.
Non-loin d’Agadir, une contrée est justement connue pour ses parades de Boujloud. À Dcheira, les jeunes se regroupent pour montrer leurs costumes dernier cri et parader avec. Certains créent un nouvel accoutrement chaque année, tandis que d’autres se contentent d’un seul, en y ajoutant de nouveaux accessoires. Il mettent alors du temps et de l’argent pour confectionner la meilleure pièce personnalisée.
Amine dans son costume de Boujloud / Ph. Yabiladi
Amine, 18 ans, a raconté à Yabiladi le long processus de la création de son costume pour cette année. Le natif de Ihchach, un quartier d’Agadir, a passé un mois à confectionner sa tenue de Boujloud. «Dès le lendemain de mes examens de fin d’année, j’ai commencé à coudre les peaux que j’ai collectées», a-t-il dit en rigolant.
Chaque jour pendant un mois, le jeune homme s’est consacré corps et âme à la création de l’œuvre qu’il a prévu de porter dans la parade le jour de l’Aïd. L’étudiant a payé 150 dirhams pour chaque peau de chèvre utilisée.
«Ensuite, j’ai ajouté des accessoires. J’ai créé un style nécessitant une perruque et des lentilles. C’est ma sœur qui s’est occupée de mon maquillage. Je lui ai dit ce que je voulais exactement et elle a très bien répondu à ce que j’imaginais», a-t-il déclaré fièrement.
En tout, le jeune homme a dépensé près de 1 000 dirhams sur le costume qu’il a porté le jour de l’Aïd. Il prévoit de le remettre à l’occasion de l’Achoura. «J’étais impatient de mettre mon costume le jour de l’Aïd. Durant cette période, les festivités se succèdent : dans un mois, il y aura un carnaval organisé en ville. Celui qui a le meilleur costume de chaque quartier sera sélectionné pour faire une parade», a dit le jeune de 18 ans.
Bien entendu et comme le veut la tradition, Boujloud est là pour ne laisser personne tranquille ! Il se manifeste en grande pompe et s’en prend à toute personne qui l’approche. «J’ai une liste d’amis que je veux frapper chaque année. C’est très amusant, parce qu’ils ne me reconnaissent pas !» a-t-il ajouté hilare. «Mais ne vous inquiétez pas. Les gens ne s’énervent pas souvent, parce qu’ils savent à quoi s’attendre et connaissent la règle du jeu. On va seulement vers les personnes qui s’approchent de nous. Nous veillons aussi à épargner ceux qui ne veulent pas intégrer la mise en scène».
Amine et beaucoup d’autres jeunes se rassemblent à la place d’Ihchach, où ils rivalisent pour savoir quel est le costume le plus beau et le plus original.
La femme Boujloud
Alos que Boujloud est traditionnellement associé aux hommes, qui se sont parfois habillé en femmes dans ce même cadre, les filles et femmes font désormais partie de la parade.
Imane, 16 ans, fait partie des nombreuses filles qui sont tombées sous le charme de cette tradition. La native d’Agadir a mis Yabiladi en immersion dans l’effort et le temps que cela lui prend pour se préparer. «La préparation est la partie la plus difficile», nous a-t-elle déclaré.
Elle a expliqué que pour une fille, les peaux «doivent être collectées avec l’aide d’un frère, un cousin ou un ami». «Ils cherchent les peaux dans la région pour rassembler les meilleures de chèvre ou de mouton, les plus épaisses et surtout les plus de touffues», certaines pouvant couter jusqu’à 1 000 dirhams l’unité, précise Imane.
Imane dans son costume Boujloud de l’année dernière / Ph. Yabiladi
Vient ensuite le temps de la préparation des peaux, qui est un processus très long et prenant. «Ça commence par le nettoyage, le séchage au soleil et la salaison pendant deux à trois jours pour enlever l’odeur désagréable des peaux».
Après, c’est le temps de la confection et de la couture, une étape qui prend des mois. Certains le font eux-mêmes alors que d’autres, qui ne sont pas assez doués avec les aiguilles, délèguent cette tâche à un frère ou un ami. Un costume peut nécessiter jusqu’à 8 à 12 peaux de chèvres ou moutons.
«Chacun de nous a une vision en tête de son costume à concrétiser», a dit Imane. «On décore en utilisant des bijoux traditionnels qui représentent la culture amazighe ou d’autres, sans oublier bien sûr, cerise sur le gâteau, les pieds de moutons pour frapper les passants», a-t-elle conclu.
Divertir le village
À Imintanout dans la province de Chichaoua, Mouhammed et d’autres jeunes du village de Boulouane ont même formé un groupe, pour organiser les festivités annuelles et mascarades.
Appelé Boulouane Bilmawen, le groupe coopère pour avoir confectionné leurs costumes et organiser les festivités. «Chacun de nous a un rôle et on se prépare pour les festivités de Boujloud quelques mois à l’avance», raconte Mouhammed. Le jeune homme et d’autres de son village font un tour hebdomadaire des souks et marchés locaux, pour acquérir les peaux. Ils s’immergent ensuite dans le processus détaillé par Imane.
Pour Mouhammed et ses amis, la tradition a toujours été observée dans le village, un moment de divertissement mais aussi une mission que son groupe prend très au sérieux. «Bilmawen est une tradition avec laquelle on a grandi. Nos parents et grands-parents ont maintenu cette tradition en la pratiquant chaque année. Il est impossible qu’on rate une saison» a-t-il ajouté.
«Je me sens très heureux et accompli quand je rencontre des femmes et enfants de mon village qui nous demandent : est-ce que vous allez vous vêtir pour Boujloud cette année ?». «Les gens adorent ça et s’attendent à ce qu’on soit là chaque année. C’est comme un devoir pour nous de les divertir et voir dessiner un sourire sur leurs visages», s’enthousiasme Mouhammed.
Le fait de redonner vie à cette tradition de Bilmawen, avec la fusion entre anciennes et nouvelles pratiques, montre l’esprit novateur de l’expression culturelle marocaine. Les jeunes générations prennent la relève et ajoutent des touches créatives, pérenisant cette mise en scène joyeuse, et lui assurant une place dans les festivités marocaines pour les années à venir.