A peine que les populations des côtes marocaines et portugaises se sont réveillées, en cette matinée du 1er novembre 1755, le drame a frappé. Un tremblement de terre a été ressenti d’une magnitude entre 8,5 et 8,7. En tout, près de 60 000 personnes ont perdu la vie. Les répliques des jours d’après ont aggravé la situation, alors que Fès et Meknès en ont payé le plus lourd tribut, touchées par de nouvelles secousses quelque temps plus tard. De l’autre côté de la Méditerranée, la péninsule ibérique a enregistré de considérables dommages humains et matériels, notamment lors des incendies provoqués par le désastre à Lisbonne, et qui ont duré cinq à six jours.
La violence des évènements a laissé une douleur profonde chez les populations qui en ont été les principales victimes. Par ailleurs, cette catastrophe naturelle a créé un grand débat théologique. Les uns ont tenté d’y trouver explication religieuse, tandis que les autres ont essayé de justifier des faits naturels par des interprétations plus scientifiques. Entre ces deux socles, les initiatives des chercheurs pour localiser précisément la faille du mégaséisme sont restées vaines.
Cela dit, «elle serait située entre le sud-ouest du cap St Vincent et l’ouest du détroit de Gibraltar», selon les chercheurs Taj-Eddine Cherkaoui, Ahmed El Hassani et Malika Azaoum, auteurs d’«Impacts du tremblement de terre de 1755 au Maroc : histoire, société et religion».
Des témoignages écrits
Dans cette publication qui reconstitue les événements survenus au Maroc, alors gouverné par Moulay Abdallah ben Ismaïl (1748-1757), les chercheurs se sont appuyés sur des récits historiques décrivant l’hécatombe, ou encore des écrits de chroniqueurs marocains et européens. Selon eux, de grands dégâts ont été déplorés de Tanger à Santa Cruz (Agadir) et «dans quelques localités de l’intérieur du pays».
Parmi ces témoins oculaires, l’historien Mohammed Ibn al-Tayyib Al-Qadiri (1712-1773) qui a vécu dans la capitale spirituelle. Il décrit cet événement dans son livre Nashr al-mathānī li-ahl al-qarn al-ḥādī, cité par les auteurs. Ainsi, cet auteur a fait savoir que la terre «s’est inclinée à l’Est et à l’Ouest pendant cinq minutes, et on a entendu un fracas comparable à celui des meules de moulin. On a entendu dire que l’eau des vasques et des bassins était entré dans les maisons et les sources devenaient troubles. Il y a eu un arrêt dans le courant de certaines rivières».
Plus loin, Mohammed Ibn al-Tayyib Al-Qadiri a décrit de nombreuses maisons détruites, des murs et des plafonds fissurés ou endommagés, ainsi que des habitants qui ont fini de les démolir pour éviter qu’ils ne s’effondrent sur eux. Quant aux commerçants, ils «ont abandonné leurs magasins ouverts avec ce qu’ils contenaient».
Al-Qadiri a rappelé également la violence des répliques, notamment celle qu’il a datée au 27 novembre 1755. «Vingt-six jours après (les secousses du 1e novembre, ndlr), un nouveau tremblement de terre plus grave que le précédent a eu lieu après la prière d’Al-ichae, mais il a duré moins longtemps», a-t-il écrit. A Meknès, «la plupart des maisons et des fortifications ont été démolies ; la tour de la grande mosquée s’est effondrée sur sa base, ainsi que la mosquée de la Casbah du Sultan et la plupart des autres édifices du culte». Bilan humain : 10 000 personnes ont été ensevelies et plusieurs autres n’ont jamais été retrouvées.
En effet, le nombre de morts a été tellement important que selon les chercheurs, l’odeur des corps sous les décombre a fini par envahir l’air. A ce propos, ils rapportent des témoignages écrit de Meknès : «Après le tremblement de terre, les survivants ont enlevé la terre sur eux puis ont enterré leurs morts. La plupart de ces derniers ont été inhumés de la même manière : on a creusé une grande fosse et on y a mis dix dépouilles ou plus.»
Les victimes ont été enterrées à la hâte «pour prévenir les épidémies, surtout que le pays venait de sortir de deux périodes épidémiques sévères : entre 1742 et 1744 et entre 1747 et 1751, dont les conséquences politiques et démographiques furent catastrophiques pour le Maroc», a indiqué la même source.
S’agissant du tsunami, «la mer aurait pénétré sur 2,5 km à l’intérieur des terres comme à Tanger et la hauteur des vagues aurait dépassé les dizaines de mètres dans certains endroits de la côte». «L’on a reçu des nouvelles de Salé, où la mer s’est retirée très loin et la population de Salé est sortie pour contempler ce spectacle de désolation ; mais le flot est revenu vers le rivage et s’est rapidement avancé vers l’intérieur des terres (…) submergeant tous les gens se trouvant en dehors de la ville», raconte encore Al-Qadiri.
Des interprétations théologiques à une catastrophe naturelle
Al-Qadiri a noté que de nombreuses caravanes étaient englouties par un flot, qui a emporté sur son passage hommes, femmes, enfants, bétail et barques de pêche. Dans ce sens, les historiens ne s’accordent pas sur une hypothèse unique, mais certains ont expliqué la chute partielle de la tour Hassan par le séisme de Lisbonne. D’après eux, le minaret aurait perdu 33 mètres de haut pour n’en compter plus que 44 à cause de cet impact, qui a conduit à un géant tsunami, submergeant Salé et Rabat sur des centaines de kilomètres.
Aussi, les mêmes réactions populaires ont été observées dans plusieurs villes touchées : à Mazagan (El Jadida), les croyants chrétiens se sont réfugié dans les églises pour implorer le pardon divin. A Fès ou à Meknès, les musulmans ont accouru vers les mosquées pour faire de même. Comme les tsunamis, les séismes sont des phénomènes naturels complexes et difficiles à expliquer scientifiquement, dans un contexte imprégné par la religion. De ce fait, beaucoup dans le temps ont cru au châtiment céleste et aux prémices d’une fin du monde, comme l’ont noté Taj-Eddine Cherkaoui, Ahmed El Hassani et Malika Azaoum, expliquant que ces catastrophes naturelles avaient tout autant effrayé, sur la base d’un imaginaire commun, de légendes et de mythes.
Questionné sur l’origine de ce tremblement de terre à Fès et cité par la même source, l’érudit Abdelkader Al-Fassi Al-Fihri a ainsi expliqué que l’histoire du «taureau portant la terre sur une corne» était «sans fondement», et que le Coran disait : «Nous n’envoyons des miracles que pour avertir». «Avicenne expliqua l’origine des séismes par la formation des gaz à l’intérieur de la terre… Dieu seul le sait», a-t-il ajouté. En Europe, le débat s’est élargi au sein des théologiens et des philosophes, tandis qu’au Maroc, cette apocalypse est restée largement perçue comme une punition divine.