Depuis les années 1950 jusqu’en 2019, le Maroc a connu plus de 80 inondations, avec d’importants dégâts humains et économiques. Bien que saisonniers, ces épisodes illustrent la menace récurrente dans de nombreuses régions du pays, avec des victimes, des endommagements d’habitations et d’infrastructures, ou encore des perturbations dans l’agriculture.
Selon les données regroupées par les chercheurs, les inondations au Maroc ont eu un impact particulièrement dévastateur au cours des dernières décennies. Les archives historiques montrent qu’entre 1970 et 2020, ces inondations ont constitué la catastrophe naturelle la plus fréquente dans le pays. Ils ont causé le plus grand nombre de victimes humaines.
Intitulée «Pratiques de gestion des risques d’inondation au Maroc : faits et défis», une évaluation a été réalisée en 2022 par les chercheurs marocains Dalila Loudyi, Moulay Driss Hasnaoui et Ahmed Fekri, de l’Université Hassan II de Casablanca. Leur contribution révèle que les inondations auront été la catastrophe naturelle la plus courante et la plus meurtrière dans le pays, entre 1970 et 2020. Ils représentent 62,1% de tous les événements de catastrophe naturelle, contre 33,8% pour les tremblements de terre, 3,3% pour les tempêtes et 0,8% pour les glissements de terrain.
En termes de mortalité, les inondations ont provoqué 42,1% des décès causés par des catastrophes naturelles au cours de cette période. Les températures extrêmes ont suivi avec 15,8%, tandis que les sécheresses, les tempêtes et les infestations d’insectes ont représenté chacune 10,5%. Les tremblements de terre et les glissements de terrain ont été responsables de 5,3% des décès chacun.
Inondations de 1970 à 2020
Depuis les années 1970, les inondations sont une catastrophe récurrente au Maroc. Dressé par les chercheurs, un inventaire des épisodes passés de 1970 à 2020 met en évidence les incidents notables. Le 22 janvier 1970, une inondation dans le nord du pays a fait 11 morts et causé 30 millions de dollars de dégâts matériels. En avril 1975, 10 personnes ont péri dans un drame similaire, survenu dans les provinces du Gharb. D’autres inondations majeures ont eu lieu en octobre 1979 à Ouarzazate, faisant 16 morts, ou encore en janvier 1985 à Guelmim, à cause d’une crue de l’oued Oum Laachar.
L’année 1995 a été particulièrement dévastatrice, avec de multiples inondations. En avril, 18 personnes sont mortes à Tata après la crue de l’oued Akka, laissant 350 familles sans abri et causant 9 millions de dollars de dégâts. En août de la même année, une inondation des plus dramatiques dans la vallée de l’Ourika a tué 730 personnes et laissé 9 millions de dollars de dégâts.
Un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) note que cette crue «fait partie de la mémoire collective des catastrophes au Maroc, car elle a entraîné d’importantes pertes en vies humaines». L’instance explique que la vallée de l’Ourika présente une forte pente et un sol rocheux et imperméable, ce qui rend l’oued particulièrement réactif aux fortes pluies, qui ont entraîné un écoulement massif et dévasté des villages.
Inondations d’août 1995 dans la vallée de l’Ourika. / Ph. Agence de Bassin Hydraulique de Tensift
Un mois seulement après la catastrophe de l’Ourika, une inondation dans l’oued Amlil, région de Taza-Taounate, a fait 43 morts. En 1996, un drame similaire à Beni Mellal a tué 25 personnes et provoqué 55 millions de dollars de dégâts. L’année d’après, des inondations à El Hajeb ont entraîné le décès de 60 riverains.
Au cours des années 2000, les inondations sont devenues quasi annuelles, affectant des zones de plus en plus urbanisées et habitées. En 2000, celles de de Martil et de Tétouan ont fait six morts. En 2001, les inondations à Settat et à Essaouira ont fait 16 morts et 2,2 millions de dollars de dégâts.
En 2002, une série d’inondations à Mohammedia, Berrechid, Settat et Fès a fait 80 morts, 17 blessés et 26 disparus. Elle a également endommagé 44 unités industrielles, tout en provoquant un incendie à la raffinerie de pétrole SAMIR. 1 334 habitations ont été détruites, des terres agricoles ont été dévastées et les pertes ont touché également le bétail, entraînant des dégâts matériels de 200 millions de dollars.
Les inondations ont continué de ravager le Maroc au cours des années qui ont suivi. En 2003, les drames survenus à Nador et à Al Hoceïma ont fait 35 morts. En mai 2006, six personnes sont décédées dans les mêmes circonstances à Errachidia, où 140 maisons ont été endommagées, outre les hôtels, les routes et le réseau d’assainissement à Merzouga. En 2008, neuf morts ont été comptées à Marrakech et 30 à Tanger, où des unités industrielles ont subi de lourds dégâts.
En février 2009, 29 personnes ont péri dans des inondations dans le Gharb, où 400 habitations et 100 000 hectares de terres agricoles ont été détruites. En décembre de la même année, cinq personnes ont perdu la vie dans des inondations dans la moyenne vallée du Draa.
Inondations à Tétouan / DR
En 2010 seulement, 42 personnes ont perdu la vie dans les inondations qui ont frappé Bouskoura, El Ksiba, Taza, Midelt, Khénifra, Tifelt, Al Hoceïma, Ouazzane, Bouznika, Ouarzazate, Zagora, Salé, Rabat et Casablanca. A Bouskoura, des écoles, le siège du géant de phosphate OCP et plusieurs bâtiments ont été inondés, entraînant des dégâts matériels estimés à 29 millions de dollars.
Entre 2012 et 2019, 89 personnes sont décédées dans une série d’inondations qui ont frappé Taroudant, Agadir, Tétouan, M’diq, la région de Guelmim, Sidi Ifni, Ouarzazate, Salé, Rabat, Zagora, Tata et Errachidia. A Taroudant seulement, 200 maisons ont été détruites et 27 personnes ont été blessées à Errachidia.
Urbanisation rapide, mauvaise planification urbaine et dérèglements climatiques
Les chercheurs de l’Université Hassan II ont observé des schémas familiers dans ces inondations, notant que le Maroc connaît fréquemment des épisodes près des montagnes du Rif et de l’Atlas. Ces catastrophes naturelles peuvent être classées en inondations lentes dans les plaines, rapides dans les zones escarpées et sans végétation, ou encore urbaines submergeant les systèmes d’assainissement après de très fortes précipitations.
Selon les chercheurs, les facteurs contribuant aux inondations sont notamment l’urbanisation rapide, la planification urbaine déficiente, des lits d’oueds négligés et les dérèglements climatiques, avec des précipitations intenses. Avec l’expansion des villes et le déclin de l’agriculture traditionnelle, ces drames revêtent des dimensions plus problématiques. Bien que le Maroc ait érigé des barrages pour contenir le débit de l’eau, ces projets ont été onéreux et le gouvernement a eu du mal à les financer, ont noté les chercheurs.
L’OCDE souligne également que les caractéristiques géologiques et hydrologiques du Maroc le rendent particulièrement vulnérable aux inondations. «Le relief inhospitalier et les vallées creuses des montagnes du Rif, du Moyen Atlas et du Haut Atlas créent des conditions pour une hydrologie particulièrement réactive en période de précipitations abondantes», explique l’OCDE.
Bien avant les années 1970, le Maroc a connu également de graves inondations, comme celles de Sefrou en 1950 et des vallées de la Moulouya et du Ziz en 1963 et 1965. La fréquence de ces épisodes s’est accrue et leur ampleur est devenue de plus en plus considérable, au cours des deux dernières décennies. L’OCDE attribue cette tendance à la démographie croissante dans les zones vulnérables, à l’urbanisation et au rétrécissement de la superficie du couvert végétal naturel.
Se basant sur les données de la Banque mondiale, l’OCDE estime que la valeur annuelle moyenne liée à ces catastrophes naturelles au Maroc s’élève à 4,2 milliards de dirhams. Ce chiffre pourrait atteindre 27,5 milliards de dirhams pour une inondation centenaire et 34 MMDH pour une inondation millénaire.
Depuis 2019, les inondations continuent de faire des victimes et d’endommager des infrastructures. Celles qui ont frappé Tétouan et Tanger en février 2021 ont coûté la vie à 28 personnes, principalement des ouvrières bloquées dans un atelier clandestin de textile. Plus récemment, au moins 11 personnes sont mortes à Tata, Errachidia et Tiznit à la suite de fortes pluies.