Comme les musulmans de plusieurs pays, les Marocains célèbrent depuis mercredi soir Achoura, un événement de portée religieuse, spirituelle et symbolique commémoré dans la nuit du 9e au 10e jour du mois de Moharram.
Si les célébrations des musulmans de confession chiite diffèrent de ceux des sunnites, les Amazighs du royaume fêtent Achoura à leur façon.
Aux origines de la célébration d’Achoura
Au départ, Achoura était une fête religieuse juive, coïncidant avec le dixième jour de Tishrei, le 7e mois de l’année ecclésiastique du calendrier hébraïque. Lorsque le Prophète Mohammed s’est réfugié à Médine, il avait observé que la communauté juive de cette ville jeûnait ce jour-là. «On lui a dit que c’était Yom Kippour ou le grand jour de grâce», rappelant la date où Dieu a sauvé Moïse du Pharaon d’Egypte, rapporte en septembre dernier le site Taste Of Maroc, qui consacre un article à Achoura. Le Prophète a ainsi demandé aux musulmans de jeûner également. Mais afin d’éviter toute confusion entre juifs et musulmans, ces derniers ont été appelés à jeûner le 9 et le 10 Moharram.
Si Achoura est synonyme de deuil chez la communauté chiite, il est célébré par les communautés sunnites dans la joie. C’est aussi «un jour solennel où les musulmans visitent des tombes et en prient pour leurs morts».
Aux fils des années, plusieurs festivités sont apparues, sous forme de mélanges entre patrimoine culturel, pratiques ancestrales et préceptes religieux. Mais dans le royaume, l’héritage judéo-amazigh fait que les célébrations liées à Achoura diffèrent selon les régions.
Bu Wkeffus célébré à Goulmima. / Ph. Tamazgha.fr
«Oudayen n Taâchourt» à Goulmima
Comme dans d’autres contrées ayant connu autrefois une forte concentation de la communauté juive, la ville de Goulmima (province d’Errachidia) a su garder sa façon typique pour célébrer cette fête. La ville abrite annuellement un carnaval appelé «Bu Wkeffus», connu également sous le nom «Oudayen n Taâchourt» (qui signifie «le Juif d’Achoura») ou encore «Bou-ihitar», comme le précise le site Tamazgha, basé en France. «A l’origine, Bu Wkeffus était une fête animée par les Juifs berbères qui mettaient à cette occasion annuelle des masques en bois de palmier, en peaux de moutons ou enduisaient simplement leurs visages avec de la suie (akeffus), d’où le nom Bu Wkeffus pour le carnaval», écrit-il.
Bu Wkeffus célébré à Goulmima. / Ph. Tamazgha.fr
Moha Oustouh, chercheur dans la culture et l’histoire de la vallée de Ghriss et l’oasis de Goulmima, confirme cette information. Dans une déclaration à l’agence MAP, il précise qu’il s’agit d’«une ancienne tradition héritée d’une importante communauté juive ayant longtemps habité dans la région dans sa partie basse». «Plusieurs troupes sillonnent le ksar et la grande place où elles se succèdent durant toute la nuit, au grand bonheur des habitants, hommes, femmes et enfants», explique-t-il.
Carnaval et spécialités culinaires
Des comédiens, habillés en rabbins juifs et en vieilles femmes et portant des costumes traditionnels, battent le pavé de la ville pour chanter de vieilles chansons en amazigh avec un accent juif local et collecter des dons qui serviront par la suite à la préparation du dîner d’Achoura, partagé entre les familles. Les paroles des chansons sont, quant à elles, issues de «poésie qui se transmettent de génération en génération».
Bu Wkeffus à Goulmima. / Ph. Tamazgha.fr
Au menu également, des «sketchs en hébreu» improvisés mais aussi des plats traditionnels, comme «le couscous aux légumes assorties de viande séchée du mouton de l’Aid El Kebir, dit Tafaska», ou encore les abats séchés appelés «Kourdass».
Aux enfants qui parcourent les ruelles en petits groupes déguisés, les mamans offrent des dattes, des amandes et d’autres fruits secs. Un tableau qui rappelle sans doute les célébrations de la fête folklorique et païenne traditionnelle d’Halloween.