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«Ceci n’est pas un crash d’avion» [Edito]

«Ceci n’est pas un crash d’avion» [Edito]


Suite à la sortie de piste spectaculaire, impliquant un Hawker 800, sans passagers à bord mais avec trois membres d’équipage envoyés à l’hôpital pour contrôle, la compagnie Air Océan a tenu à rassurer. Normal. Elle a évoqué une enquête en cours. Légitime. Mais elle a surtout pris la plume et envoyé un communiqué pour… contester le vocabulaire utilisé par la presse. Un mot précisément : «crash». Air Océan affirme qu’il ne s’agit pas d’un crash, que l’usage de ce terme est «factuellement incorrect», et qu’il crée «inquiétude et confusion inutiles». Sauf que les faits sont têtus. Et les définitions aussi.

Quand la communication d’entreprise tente de redéfinir la réalité

L’entreprise considère ainsi qu’il ne faut pas parler de crash, ni même d’accident aérien, mais d’un simple incident. Alors même que le communiqué du ministère des Transports, repris par la MAP, parle bien d’un accident d’avion. Plusieurs médias, ce lundi, ont repris à leur compte la terminologie recommandée par Air Océan, sans recul ni esprit critique et sans attendre les résultats de l’enquête des autorités et du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA).

Or, un accident aérien – aussi appelé écrasement, atterrissage forcé avec dégâts, catastrophe aérienne ou crash (anglicisme) – désigne un événement impliquant un aéronef, provoquant des blessures ou la mort de personnes, ou endommageant gravement l’appareil de manière irréversible. En revanche, lorsqu’un incident affecte la sécurité d’un vol sans entraîner de conséquences majeures, on parle alors d’incident aérien. Ce n’est pas un journaliste qui choisit la terminologie, mais ce qui est indiqué dans les textes réglementaires de référence comme l’annexe 13 du BEA (Cf. pages 18 et 19).

«L’impact a causé d’importants dégâts matériels à l’avion. L’accident a également entraîné des blessures pour les trois membres de l’équipage, ainsi que pour une personne au sol.»

indique un communiqué du ministère du Transport et de la Logistique

La sortie de piste d’un avion qui termine dans une clôture en dur, les ailes détruites et le train d’atterrissage à l’envers (sans parler des dommages non visibles sur les photos), entre bel et bien dans la typologie d’un accident aérien. Et si le mot «crash» a certes une connotation dramatique, il désigne avant tout un événement objectivement grave, engageant des procédures d’enquête, des analyses techniques et des responsabilités opérationnelles.

En déniant ce terme, Air Océan joue à la fois les pompiers de l’image et les académiciens de la langue. Ce faisant, elle détourne l’attention de l’essentiel : un accident sérieux s’est produit, mettant en cause un jet d’affaires, mobilisant les secours, et appelant des réponses transparentes. Le qualifier de simple incident de sortie de piste, c’est tenter d’amoindrir la réalité par un euphémisme de convenance.

Langage sous contrôle, perception sous influence

Cette stratégie est fréquente dans les milieux de la communication de crise : nier les mots pour mieux contenir l’impact. Le problème, ici, est que cette tentative frise le ridicule. Car elle ne se contente pas de minimiser les faits — elle accuse les médias de désinformation, en les exhortant à «faire preuve de rigueur». Comme si ces derniers avaient inventé la collision avec une clôture. Comme si les pilotes n’avaient pas été brièvement hospitalisés. Comme si l’avion n’avait pas dévié de sa trajectoire d’atterrissage avec de graves dommages.

Le véritable enjeu ne réside pas dans la bataille lexicale, mais dans la transparence des réponses : que s’est-il passé ? Pourquoi l’avion n’a-t-il pas pu freiner à temps ? Des causes techniques sont-elles à écarter ? Les conditions météorologiques ou humaines ont-elles joué un rôle ? C’est sur ces questions que le public attend des réponses, pas sur une querelle sémantique.

À vouloir réécrire le dictionnaire au lieu de faire toute la lumière sur l’événement, Air Océan se trompe de priorité. La rigueur, qu’elle appelle de ses vœux dans le travail journalistique, commence par l’honnêteté dans la communication. On peut comprendre la volonté de préserver l’image d’une compagnie. On comprend moins qu’elle tente de manipuler la perception de ce qui, selon toutes les définitions, relève bel et bien d’un crash, fort heureusement sans victime.

En somme, Air Océan a raté son atterrissage médiatique autant que son atterrissage physique. Ce n’est pas un drame. Mais c’est un fait.





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