Jordan Bardella, président Rassemblement National (RN), a réaffirmé l’engagement de son parti à réserver certains postes «stratégiques» aux seuls citoyens français. «Nous n’entendons pas remettre en cause la double nationalité […]. En revanche, nous entendons effectivement réserver un certain nombre d’emplois stratégiques dans les secteurs notamment liés à la sécurité et à la défense exclusivement à des citoyens français (sic)», a t-il déclaré lors la présentation de son programme, ce lundi 24 juin. Bardella a exposé cette interdiction d’accès aux «emplois sensibles» pour les binationaux comme une mesure de précaution pour se protéger des ingérences étrangères. Or, dans les faits, il s’agit d’une proposition de loi discriminatoire, contraire à la Constitution française.
Les binationaux dans le viseur
Effectivement, il vise à «interdire l’accès à des emplois dans l’administration, des entreprises publiques, et des personnes morales chargées d’une mission de service public aux personnes qui possèdent la nationalité d’un autre État». Les secteurs touchés incluent des domaines variés comme le social, la santé, l’enseignement privé, mais aussi des services comprenant la gestion des déchets municipaux et les grandes entreprises nationales telles que La Poste, EDF et la SNCF. Ainsi, les Franco-marocains travaillant dans ces secteurs pourraient voir leurs emplois menacés.
À ce jour, la binationalité n’exclut pas l’accès aux emplois de la fonction publique. Certains métiers, dits «de souveraineté», liés aux fonctions régaliennes de l’État, sont réservés aux Français, qu’ils soient ou non détenteurs d’une seconde nationalité. Gwénaële Calvès, professeure de droit public à CY Cergy Paris Université (Val-d’Oise), précise auprès de l’AFP qu’ «aujourd’hui, tous les Français sont français exclusivement. Vous pouvez avoir une, deux ou trois autres nationalités, ça ne regarde pas le droit français». L’AFP complète en déclarant que « la classification d’un poste comme emploi de souveraineté est laissée à l’appréciation de l’employeur, souvent un ministère».
Suppression du droit du sol
Jordan Bardella a réitéré son intention de supprimer le droit du sol. Ce droit permet à un jeune né en France de parents étrangers d’acquérir la nationalité française à sa majorité, à condition de résider dans le pays depuis au moins cinq ans, continus ou discontinus, depuis l’âge de onze ans.
«L’acquisition automatique de la nationalité française ne se justifie plus dans un monde à huit milliards d’individus, et alors que se multiplient sur notre sol les preuves quotidiennes de notre incapacité à intégrer et assimiler», a argumenté le candidat RN. Cette position avait déjà été soutenue par Marine Le Pen qui avait déclaré en avril dernier à BFMTV : «La nationalité française devrait s’hériter ou se mériter.»
Ainsi, si cette réforme vient à être adoptée, un enfant né de parents étrangers ne pourra plus obtenir aussi facilement la nationalité française, quelle que soit la situation de ses parents. Il devra alors demander un titre de séjour et éventuellement sa naturalisation plus tard. Cela risque de compromettre l’intégration de ces enfants dans la société française.
Remplacer l’AME par un fonds d’urgence
«Il faut arrêter avec l’AME (aide médicale d’État), il faut à nouveau que le séjour irrégulier soit un délit», avançait Marine Le Pen en novembre 2023. Effectivement, en plus de la suppression du droit du sol, le RN souhaite rétablir le délit de séjour irrégulier, une mesure censurée précédemment par le Conseil constitutionnel pour son absence de lien avec le texte initial de la loi immigration. Le programme du RN prévoit également de relever les ressources exigées pour le regroupement familial et de remplacer l’Aide médicale d’État (AME) par un fonds d’urgence ne couvrant que les urgences vitales.
Jordan Bardella a argumenté que l’abrogation de l’AME permettrait d’économiser 1,6 milliard d’euros, dénonçant la gratuité des soins pour les étrangers en situation irrégulière. Toutefois, cette affirmation est contestée. L’AME offre un accès aux soins de base aux étrangers en situation irrégulière en France depuis au moins trois mois, avec des ressources inférieures à 810 euros par mois. Contrairement à ce qu’affirme le RN, les soins couverts par l’AME sont limités, avec des coûts à charge pour les soins dentaires et optiques.
La suppression de cette aide nuirait non seulement aux personnes concernées, mais pourrait aussi favoriser la circulation de certaines pathologies parmi la population générale. Un rapport de Claude Evin et Patrick Stefanini met en garde contre les effets négatifs de la transformation de l’AME en aide d’urgence, précisant que cela pourrait peser sur la santé publique et sur la résilience du système hospitalier. En limitant l’accès à la prévention et au diagnostic précoce, cette mesure pourrait engendrer des coûts supplémentaires liés à l’augmentation des soins urgents et vitaux.