Nous sommes à Tanger, ville aux mille et unes vies, qui porte toujours les marques d’une histoire richissime. Point de jonction entre diverses civilisations et cultures, chacune lèguera son héritage. Le cimetière pour animaux de Boubana fait partie de ses endroits qui témoignent du passé intrinsèque à la ville devenue un temps internationale.
Surplombant la ville, Boubana se trouve à quelques kilomètres au nord-ouest du centre-ville. Né durant les années 1940, ce cimetière était autrefois surnommé, «The Animal Rest Home», (Maison de repos des animaux).
Un cimetière pour la dignité des animaux
L’histoire de ce lieu est toujours aussi flou, comme nous l’explique Abdou Benattabou, de l’association Zanka 90 de Tanger. L’associatif nous raconte que le cimetière faisait partie d’un projet initié par un groupe d’expatriés britanniques dans les années quarante. «Les ressortissants britanniques de la ville se sont regroupés pour trouver une solution au problème du travail des animaux victimes de mauvais traitements en ville», a-t-il expliqué.
Image d’illustration / Ph.DR
Le constat et l’intérêt de bâtir un lieu comme celui-ci s’explique par deux principaux facteurs. Tout d’abord, Abdou Benattabou parle de l’irritation des expatriés face au mauvais traitement des animaux domestiques. «Chaque dimanche, les commerçants transportaient leurs marchandises à dos d’âne jusqu’aux souks», de là serait né l’idée d’un espace où ces animaux pouvaient être soignés.
L’instigatrice du cimetière aurait été une diplomate britannique qui a décidé d’acheter -avec l’aide d’autres familles- un terrain et de construire un centre de soins pour les animaux domestiques, explique à Yabiladi Abdou Benattabou. Cependant, le cimetière, n’a vu le jour que durant les années 1950, lorsque le célèbre décorateur d’intérieur David Herbert a décidé de lancer une initiative tout à fait unique. «Il a eu l’idée de créer un cimetière d’animaux domestiques», précise Bouattabou, soulignant que cette idée était adaptée au style de vie des habitants de la ville à cette époque.
«C’était le début de l’époque hippie et beaucoup d’habitants avaient des animaux domestiques».
Ainsi le site deviendra un hôpital où les animaux malades étaient hébergés, traités et enterrés après leur mort. La plus veille pierre tombale est là depuis 1943, c’est-à-dire bien avant l’indépendance du Maroc, raconte Abdou Benattabou. Depuis lors, des chats, des chiens et de nombreux autres animaux ont été enterrés à Boubana.
Un exemple au niveau national et international
L’importance et la notoriété de Boubana ont été rapporté par plusieurs écrivains d’ici et d’ailleurs. On retiendra ceux de la biographe Virginia Spencer, l’écrivain Josh Shoemake et l’écrivain et romancier américain Paul Bowles, qui affectionnait tout particulièrement la ville de Tanger, où il a vécu de nombreuses années.
«Au bout de la route, au pied de la montagne, se trouve ‘The Animal Rest Home’, qui vaut le détour pour jeter un coup d’œil aux amusantes pierres tombales, où Bowles a prétendu vouloir passer l’après-vie.»
Josh Shoemake, «Tanger : Guide littéraire du voyageur» (IB Tauris, 2013)
En effet, l’américain Paul Bowles avait un plan bien particulier pour son enterrement, qui incluait le cimetière de Boubana. «Si je dois être enterré, j’aimerais qu’il soit dans le cimetière des animaux ici à Tanger, avec les chiens et les chats qui appartenaient aux résidents européens», a-t-il confié à Virginia Spencer.
Image d’illustration / Ph.DR
Susan Searight archéologue qui a vécu plus de 25 ans au Maroc a brièvement évoqué le cimetière de Boubana pour animaux de compagnie dans son livre «Maverick Guide to Morocco» (Éditions Pelican). «Le cimetière des chiens, unique à Tanger, n’est pas ici, mais se trouve dans la ville haute, surplombant la montagne… Les chats sont également enterrés ici, avec leurs noms gravés sur les pierres tombales», écrivait-elle en 1999.
Si ce lieu et ces amusantes pierres tombales ont impressionné plus d’un, il semble que son prestige le lui a été ôté au fil des années. Le cimetière a survécu aux fortes pluies, à la négligence et aux profanations multiples ces dernières années. Dans ce sens, les activistes et les ONGs à Tanger estiment que cette installation unique a besoin d’une assistance urgente.
Laissé pour compte, le cimetière a besoin d’une seconde jeunesse
Loin des beaux descriptifs donnés par les auteurs, une vidéo de l’association Zanka 90 révèle le piteux état des lieux. Les pierres tombales semblaient détruites et négligées, une réalité dénoncée par Abdou Bouattabou.
L’association ainsi que d’autres qui œuvre pour la protection du patrimoine de la ville du détroit ont élaboré de nombreux projets de revalorisation de ce lieu, mais leurs tentatives n’ont malheureusement pas abouti. Pour cause, la propriétaire du terrain est toujours introuvable.
«Nous avons découvert que la terre appartient actuellement à une femme juive de 90 ans qui possède deux hôtels. Nous avons essayé de la joindre plusieurs fois, mais en vain», nous confie l’associatif de Tanger. La question qui se pose désormais, «va-t-elle céder le cimetière à la ville, pour que cette dernière puisse l’inscrire à son patrimoine», espère Abdou Bouattabou.
Image d’illustration / Ph.Tea with an Architect
Par ailleurs, le militant dénonce la pollution des cours d’eau dans le cimetière. De tels espaces sont une richesse pour «la région qui regorge de tortues marines et d’autres espèces qui ne se trouvent nulle part ailleurs». Outre l’impact des aléas climatiques, l’action humaine est pour beaucoup dans le délabrement du site, nous explique notre interlocuteur. «Le garde du cimetière profite de la terre et il y élève ses animaux qui piétinent les tombeaux», regrette-t-il.