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Ben Askar, l’émissaire malchanceux de Mohamed Es-Sghir


En 1637, le royaume chérifien dirigé alors par le sultan saadien Mohamed Cheikh Es-Sghir, l’avant dernier monarque de cette dynastie, et la Grande Bretagne, parviennent à l’un des premiers accords entre les deux Etats. Une entente conclue grâce à Jawdar Ben Abdellah, nommé en 19 septembre 1637 en tant qu’ambassadeur à la cour de Charles Ier. Mais Ben Abdellah sera démis de ses fonctions une année après, soupçonné par le sultan saadien d’avoir trahis le royaume chérifien. Pour combler ce vide diplomatique, Mohamed Cheikh Es-Sghir dépêchera Caid Mohamed Ben Askar à la Cour du roi Charles I.

En déclin, la dynastie saadienne en quête d’un soutien

Nous sommes dans les dernières années de vie de la dynastie saadienne et plus exactement en 1627. Moulay Zidane, neuvième sultan saadien ayant régné depuis 1613, vient de décéder. Son fils, Abdelmalek Ben Zidane est couronné sultan du Maroc. C’est lors de cette même année que la «République de Salé» proclamera son indépendance.

En 1636, après les assassinats de Abdelmalek Ben Zidane et El Walid Ben Zidane, leur frère Mohamed Cheikh Es-Sghir est proclamé sultan du royaume. Il règnera jusqu’au 30 janvier 1655 mais cette période sera marquée par plusieurs divisions au sein du royaume, avec notamment l’influence montante des Zaouias d’Illigh et de Dila, de la «République» des corsaires de Salé et des Chorafas alaouites de Tafilalet.

Le Maroc vers 1660. / DRLe Maroc vers 1660. / DR

Mais bien avant cette date, la dynastie saadienne n’a cessé de multiplier ses demandes aux puissances étrangères pour disposer d’armes et de soutiens pour faire face aux dissidences internes. En effet, l’historien Roger Coindreau a rapporté qu’«en novembre 1613, Moulay Zidane sollicita à nouveau des Pays-Bas la fourniture d’un vaisseau et d’un yacht». «Les Etats-généraux donnèrent, une fois encore, leur accord à cette demande, mais l’amirauté de Rotterdam, mieux avisée, éleva une énergique protestation, alléguant, non sans de bonnes raisons, que ces armements n’auraient d’autres fin que d’écumer la mer et d’y capturer tout ce qui pourrait venir sous le canon de ces navires», poursuit-il dans son livre «Les corsaires de Salé» (Editions Eddif, 2006).

Mais si les Pays-Bas étaient jusque-là au chevet du royaume saadien, les Anglais, eux, avaient compris qu’il fallait garder de bonnes relations avec toutes les factions régnantes au Maroc. Abdellah Nemli a rapporté dans son ouvrage «Le port de Safi au cours des siècles», cité comment les Anglais ont réussi à monopoliser le commerce -notamment à Safi-, depuis le règne de Moulay Zidane. Ce port était, en effet, sous l’influence de la Zaouia de Dila.

Illustration du port de Salé au 17e siècle. / Ph. DRIllustration du port de Salé au 17e siècle. / Ph. DR

Un ambassadeur pour remplacer Jawdar Ben Abdellah

Au Sud, vers Agadir et Tiznit, les Anglais commerçaient avec la Zaouia d’Illigh d’Abou Hassoun Semlali. Dans l’encyclopédie «Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History Volume 8» (Editions Brill, 2016), on raconte qu’en septembre 1630, les captives musulmans en Angleterre ont fait l’objet de correspondances entre Charles I et Abou Hassoun Selmali, dirigeant de la Maison d’Illigh, dans le Souss marocain. Les deux parties conviendront à un accord pour protéger les ressortissants anglais au Maroc et musulmans en Angleterre.

C’est dans ce contexte perturbé que Moulay Mohamed Cheikh Es-Sghir décidera, six ans après son intronisation, de renouer avec la Grande-Bretagne. Le 19 septembre 1637, il dépêche Jawdar Ben Abdellah, en compagnie de Robert Blake, l’émissaire britannique au sultan saadien, à Londres pour rencontrer Charles I. Mais la missions s’annoncera courte, à cause de soupçons de trahison.

Illustration des sultans saadiens. / Ph. ZamaneIllustration des sultans saadiens. / Ph. Zamane

En 1638, le roi saadien choisira Caid Mohamed Ben Askar, un chef corsaire, pour replacer Jawdar Ben Abdellah et partir convaincre Charles I d’abandonner ses transactions avec les Zaouias du Maroc et pour aborder l’épineuse question des captives. Caid Mohamed Ben Askar n’arrivera à Londres qu’en 1639, comme le raconte l’historien Nabil Matar dans son ouvrage «Turks, Moors, and Englishmen in the Age of Discovery» (Editions Columbia Universty Press, 2000).

«Deux ans après l’arrivée de Jawdar, un autre ambassadeur sera envoyé pour coordonner un traité avec l’Angleterre : Mohamed Ben Askar arrivera en avril 1639 pour « demander justice » contre les pirates anglais.»

Nabil Matar

Un ambassadeur… malchanceux

Pour l’historien, Mohamed Ben Askar «ne semble pas avoir réalisé grand-chose», car son arrivée coïncidera avec le départ de Charles I pour le nord de l’Angleterre afin de «faire la guerre aux Ecossais». C’est également pour la simple raison évoquée par le chercheur Abdelaziz Ben Abdellah dans son œuvre «Souss, porte du désert» (2004). Il affirme, en effet, que l’Angleterre ne souhaitait pas rompre ses liens avec la Zaouia d’Illigh «pour ne pas perdre son influence de cette province au profit des Français et des Hollandais».

Sur un autre dossier, Mohamed Ben Askar sera dépêcher aux Pays-Bas, rapporte Roger Coindreau. Cette fois, Mohamed Cheikh Es-Sghir demandera des armes aux Etats-généraux. Ces derniers «firent preuve envers les différents souverains marocains d’une complaisance inlassable», commente l’historien.

Portrait de Mohamed Cheikh Es-Sghir. / Ph DRPortrait de Mohamed Cheikh Es-Sghir. / Ph DR

«C’est ainsi que le 23 mars 1645, ils écrivaient à Mohamed Cheikh Es-Sghir : « Nous avons permis et accordé au Caid Mohamed Ben Askar (envoyé en Hollande par S.M. Chérifienne) de passer un contrat, conformément aux us et coutumes de ce pays, avec tel ou tel marchand, en vue de faire construire et équiper un bon navire armé… Nous sommes d’ailleurs prêts et disposés à favoriser et à autoriser le départ d’ici pour le Maroc du navire en question ».»

Correspondance entre les Etats-généraux des Pays-Bas et Moulay Mohamed Cheikh Es-Sghir

Mais selon l’historien, cette transaction n’a pas abouti, marquant ainsi un deuxième échec pour l’ambassadeur marocain de Mohamed Cheikh Es-Sghir. Ce dernier dépêchera encore une fois, en 1647, Issac Pallache. «Il négociera, cette fois, la libération des captifs de Salé, raconte David Bensoussan dans son livre «Il était une fois le Maroc» (Editions iUniverse, 2012).

Après le décès de Mohamed Cheikh Es-Sghir en 1655, c’est Ahmed el-Abbas qui montera sur le trône avant qu’il ne soit assassiné en 1659. Jusqu’en 1668, date de l’arrivée des Alaouites, le royaume sera sous l’emprise de la Zaouia de Dila au centre, la Zaouia d’Illigh au sud et les corsaires de Salé.





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