Bilal Ben Abdelkarim porte l’histoire migratoire de ses parents, faite de résilience, comme de nombreux Marocains nés aux Pays-Bas de parents ayant quitté leur terre natale à la recherche de meilleures opportunités.
Originaire de Tétouan, son père n’a que 18 ans lorsqu’il décide de partir pour Gibraltar avec son frère aîné. Ainsi commence le périple migratoire. Il travaille à Stockholm, en Suède, à Torremolinos, en Espagne, avant de s’installer aux Pays-Bas. Dans ces tentatives pour s’établir en Europe et trouver un emploi, il se marie.
«Dans les années 1970, beaucoup de gens de cette génération sont allés aux Pays-Bas, en Belgique et en France. Mon père est d’abord parti en Espagne, qui n’était pas mieux que le Maroc, économiquement parlant. Il est donc venu ici avec ma mère», raconte Bilal, professeur d’instruction civique dans un collège professionnel à Amsterdam, ancien travailleur social et, plus récemment, écrivain.
Aux Pays-Bas, le père de Bilal a travaillé comme cuisinier. Il a appris le métier en Suède, dans une pizzeria italienne. À Utrecht, il a travaillé dans des restaurants italiens comme, chef tout au long de sa carrière, avant d’ouvrir son propre restaurant. Bilal décrit auprès de Yabiladi une histoire de travail acharné et de résilience, qu’il raconte aussi dans son premier livre, Van dankbaar naar strijdbaar (De reconnaissant à militant). A travers le vécu de ses parents, il relate celui des migrants de première génération aux Pays-Bas.
«Pour moi, il est important de montrer qu’avant de venir aux Pays-Bas, la première génération—souvent réduite à de simples chiffres et appelée gastarbeiders (travailleurs invités)—était constituée de personnes, avec des idées sur l’avenir, des ambitions et une histoire», dit-il avec enthousiasme.
Un autre pilier de l’histoire migratoire de la famille de Bilal est sa mère. Également originaire de Tétouan, elle a tout donné pour que ses enfants restent liés à leurs racines, leur terre d’origine et leur culture—en particulier celle de la ville du nord, avec son histoire glorieuse. «Elle nous racontait toujours des histoires sur l’islam, la culture marocaine», se souvient Bilal.
Née dans la médina, la mère de Bilal a été une élève brillante, élevée par ses grands-parents. «Elle n’est pas allée à l’université, mais elle est intelligente et elle sait beaucoup de choses. Elle nous a tout raconté», dit l’écrivain. Aux Pays-Bas, elle a rapidement appris la langue et s’est fait de nombreux amis.
Un tournant : questionner l’identité
Avec des parents aussi aimants, Bilal a eu une enfance plutôt heureuse. «Bien sûr, certaines personnes ont vécu de mauvaises expériences comme le racisme et la discrimination. Mais pour moi, grandir dans une partie de la ville où presque tout le monde était marocain, à l’école—j’ai peut-être vécu cela, mais je n’en étais pas conscient», explique Bilal.
Mais Bilal vit un tournant, lorsqu’il commence à se demander pourquoi il était regardé différemment et pourquoi certains voyaient les Marocains comme les «autres». Ce questionnement a été déclenché en 2001, après les attentats terroristes du 11 septembre à New York.
«J’avais déjà 17 ans. Bien sûr, avant cela, il y avait des débats à l’école avec, certains politiques et journaux parlaient déjà mal des Marocains, des musulmans, de la culture occidentale et de nous traiter comme les autres», a-t-il remarqué. Cependant, Bilal n’a pu voir cette différence et s’intéresser à la politique qu’après le 11 septembre.
Il commence à regarder les nouvelles et à lire les journaux. «C’était un tournant. Chaque musulman est devenu suspect. Même les enseignants à l’école ont commencé à poser des questions—pas vraiment pour apprendre quelque chose, mais pour vous mettre dans une case», a-t-il réfléchi.
Bilal s’est senti obligé d’avoir des réponses aux nombreuses questions qu’on lui posait et de se défendre, ainsi que sa culture et sa religion. «Parce que je n’étais pas satisfait de mes propres réponses, j’ai commencé à lire le Coran, mais aussi à m’instruire sur la politique», se souvient-il.
Après le lycée, le parcours personnel de Bilal a influencé son choix de carrière. Il s’est orienté vers le travail social, porté sur les 16-25 ans. Il a principalement travaillé avec des jeunes dans des quartiers difficiles qui luttaient contre la pauvreté et avaient des casiers judiciaires. «J’essaie de les aider à réussir—en étudiant ou en trouvant un emploi. Après cinq ans comme travailleur social, j’ai décidé de faire des études moi-même, pour devenir enseignant», a-t-il expliqué.
Un appel à l’émancipation
Bilal enseigne depuis 10 ans. Il forme des jeunes qui souhaitent devenir travailleurs sociaux. L’idée d’écrire un livre est née lors d’un échange avec ses étudiants. «Parce que beaucoup de mes étudiants ont le même parcours, j’ai trouvé inconcevable qu’ils ne sachent rien de leurs origines. Je leur ai demandé un jour, ‘Que pouvez-vous me dire sur les Marocains néerlandais?’ Ils n’ont mentionné que Hakim Ziyech et la Mocro Maffia», dit-t-il.
Cela a poussé Bilal à réfléchir à la responsabilité des binationaux de raconter leur propre histoire. «Si nous, en tant que Marocains néerlandais, ne prenons pas la responsabilité de raconter nos vécus, cette expérience marocaine européenne sera oubliée», a-t-il pensé.
Motivé par un sentiment de responsabilité, Bilal a commencé son livre avec l’histoire de ses parents, s’étendant à des sujets plus larges comme la politique. «J’ai commencé le livre de manière personnelle pour que le lecteur puisse s’identifier à moi, mais le personnel rencontre le politique. Après, le livre devient plus politique», a-t-il expliqué.
Cet ouvrage aborde à la fois les aspects négatifs et positifs, mettant l’accent sur l’émancipation, comme aime le dire Bilal. «Ce n’est pas juste un livre où je me plains. Je dis que pour vous émanciper, vous devez être autonomes. Vous devez participer et saisir les opportunités», a-t-il soutenu.
«C’est un grand pays. Je veux qu’il reste grand, démocratique, et qu’il respecte l’État de droit. C’est pourquoi, je pense que nous devons être organisés et impliqués politiquement pour avoir notre mot à dire», a conclu Bilal.