Alors qu’un peuple est méthodiquement anéanti sous les bombes, affamé et abandonné dans l’indifférence générale, M. Jacky Kadoch, représentant de la communauté juive marocaine, a jugé opportun lors d’une rencontre organisée par l’Académie Lahcen Lyoussi, de célébrer avec emphase les vertus de la coexistence judéo-musulmane au Maroc – allant jusqu’à proposer l’institution d’un jour férié pour le Nouvel An juif.
Une telle audace est a priori légitime si elle ne servait de paravent au silence observé face à la tragédie palestinienne. Un silence qui met M. Kadoch en porte-à-faux avec le sentiment national et les positions royales qu’il prétend pourtant chérir.
En réalité, M. Kadoch fait fi deux réalités accablantes : d’abord que la politique génocidaire d’Israël donne de nouveaux motifs de rejet de la normalisation ; ensuite que les condamnations royales – le discours royal adressé à la 15è Conférence au Sommet de l’Organisation de la Coopération Islamique en mai 2024 assimilant l’agression contre Gaza d' »affront pour toute l’humanité » – brillent par leur absence dans ses propos.
Le paradoxe est saisissant : la même voix qui exalte la protection accordée jadis par feu Mohammed V aux Juifs marocains sous Vichy devient étrangement muette face aux crimes contemporains. Comment peut-on se prévaloir des valeurs de tolérance au Maroc tout en restant silencieux face à leur violation flagrante en Palestine ? Comment louer l’enseignement dans nos écoles de l’histoire des Juifs marocains et de la Shoah tout en ignorant les crimes de guerre perpétrés sous nos yeux ? Comment invoquer la sollicitude royale sur tous les sujets sauf la Palestine ?
Insupportable double langage
Ce double langage, désormais mis à nu, se manifeste dans le silence assourdissant des représentants des Juifs marocains en Israël ou ailleurs. L’activisme de Jacky Kadoch en terre israélienne ne paraît guère destiné à réparer ce naufrage moral. Pas plus que ne semble l’inspirer la conscience déchirée de certains Juifs qui eux se sont illustrés en s’écriant «not in my name».
Dans ces conditions, par respect pour les victimes d’hier et celles d’aujourd’hui – et pour ne pas creuser davantage le fossé qui vous sépare du sentiment de la nation et de la parole du Roi –, mieux vaut se taire. Car chaque louange exaltée creuse l’obscénité de ce qui reste tu : votre soutien tacite, Monsieur Kadoch, à la politique israélienne qui est devenue la honte des Juifs à travers le monde.
Et qu’il soit clairement entendu qu’aucune normalisation véritable ne s’enracinera dans les consciences tant que les Juifs marocains – premiers dépositaires de cette exigence éthique – n’auront pas dénoncé la politique génocidaire d’Israël en mêlant leur voix à celle du peuple marocain réclamant un arrêt immédiat de cette tragédie, où se joue bien plus que le sort d’un peuple : la dignité humaine universelle, au-delà de toute appartenance confessionnelle. Sachant que cette page historique sera enseignée à nos enfants au même titre que les grandes tragédies du XXe siècle.