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Alia Al Kasimi fusionne cuisine marocaine et intelligence artificielle


Comme beaucoup d’étudiants marocains à l’étranger qui se trouvent éloignés du cocon familial, Alia Al Kasimi est tombée dans la nostalgie des saveurs de la cuisine de son pays, surtout des plats habituellement préparés par sa grand-mère. Alors en cursus d’informatique aux Etats-Unis, la native de Rabat d’un père irakien et d’une mère maroco-algérienne a décidé d’apprendre le b.a.-ba de la cuisine.

Au début des années 2000, alors que les réseaux sociaux ne sont qu’à leurs balbutiements, Alia décide d’enregistrer une recette de baghrir et de la partager avec ses amis américains. Qui de mieux pour l’aider que sa grand-mère marocaine, cuisinière connue de la capitale et souvent sollicitée par les familles locales pour les plats de mariages et d’occasions festives ?

«Quand j’étais petite, j’allais avec ma grand-mère aux mariages. Je restais avec elle pendant trois jours, à manger et à goûter les plats qu’elle préparait. C’était une cuisinière hors-pair», a déclaré Alia à Yabiladi lors d’un entretien.

Mais une fois aux Etats-Unis pour ses études, Alia se retrouve face à elle-même. Non seulement elle ne sait pas cuisiner, mais elle a du mal à recréer certaines spécialités marocaines dont elle connaît pourtant bien le goût depuis son enfance. «Quand ma grand-mère est venue aux Etats-Unis, elle cuisinait beaucoup pour moi. Et quand je rentrais chez moi, j’emmenais avec moi de la nourriture en quantités à congeler», se souvient celle qui est désormais mère de deux enfants.

Un jour, Alia décide de filmer une vidéo de sa grand-mère en train de préparer baghrir, afin de la mettre en ligne sur YouTube et apprendre elle-même la recette, tout en la partageant avec ses amis américains. C’est ainsi qu’est née «Cooking with Alia», une chaîne dont elle sera surprise du succès.

«Ma première vidéo sur YouTube date de 2007», raconte Alia, qui se souvient encore du nombre de messages reçus d’internautes américaines mariées à des Marocains, lui demandant de leur montrer comment préparer d’autres plats du terroir.

Apprendre devant la caméra

Curieuses d’apprendre la cuisine marocaine mais confrontées à des ressources limitées en anglais, ces internautes ont trouvé dans la chaîne d’Alia une fenêtre sur un autre monde. Seulement, Alia ne sait toujours pas cuisiner elle-même.

«Elles m’ont dit : ‘apprends et apprends-nous en même temps’», plaisante-t-elle. En plus de ses études, Alia s’est ainsi lancée dans la cuisine. Elle fait appel à sa grand-mère et à des amies maîtrisant le savoir-faire culinaire traditionnel, pour avoir la main et s’essayer à des recettes. En semaine, elle fait des essais. Le week-end, elle filme et met ses vidéos en ligne.

«J’ai acheté une caméra avec une cassette ; nous avions encore des téléphones dotés d’options vidéo limitées. J’ai embauché un étudiant qui savait faire le montage – c’était compliqué – et j’ai dû laisser une vidéo se mettre en ligne toute une nuit !», se souvient-elle.

Alia a appris à cuisiner des plats marocains devant le monde entier, grâce aux vidéos qu’elle a tenu à publier régulièrement, malgré son emploi du temps chargé de consultante à New York. Son parcours n’a pas toujours été simple.

«Au début, les gens n’étaient pas très sympathiques avec moi. En commençant à découvrir ma chaîne, les internautes marocains ont commencé été sévères à mon égard. Ils me disaient que je ne savais pas cuisiner et que je leur faisait honte», se rappelle Alia, qui nous confie avoir failli abandonner la cuisine. L’encourageant à persévérer, son mari lui a rappelé que sa communauté attendait ses vidéos.

«A l’époque, Barack Obama venait d’être élu pour la première fois. Mon mari m’a alors dit quelque chose qui m’a marquée : ‘Si le président américain a été élu avec 51% des voix, il suffit que 51% des gens vous approuvent et il n’est pas nécessaire d’avoir 100%.’ J’avais les 51 %, surtout avec les internautes américaines avec des époux marocains – elles avaient soif d’apprendre et prenaient donc tout.»

Alia Al Kasimi

Déterminée à continuer, Alia a pris le savoir-faire culinaire ancestral plus au sérieux. Elle a suivi des cours de cuisine dans le monde entier et aux Etats-Unis. Elle s’est rendue au Maroc pour rencontrer des dadas, ces femmes de maison qui jouent traditionnellement des rôles cruciaux au sein des foyers, notamment en préservant et en transmettant la cuisine marocaine, d’une génération à l’autre.

En 2013, l’un des rêves d’Alia est enfin devenu réalité. Elle est choisie comme cheffe marocaine de Master Chef Pologne. «Pour moi, ce moment était très important car c’était la scène d’ouverture du pays. J’ai dit : ‘Bienvenue au Maroc, je vais vous faire découvrir la cuisine marocaine’. C’était très important de combler ce vide. J’avais le sentiment d’avoir la responsabilité de partager la cuisine marocaine avec le monde», nous a-t-elle déclaré.

Après un MBA à Berkeley, Alia a déménagé en Corée du Sud, pour travailler chez Samsung. Malgré ses engagements professionnels, sa passion pour la cuisine est restée intacte. En vraie passionnée, elle a continué à faire des vidéos, à filmer et à cuisiner le week-end et le soir.

Lors de son séjour dans le pays, Alia a participé à un concours culinaire où elle a été finaliste, combinant cuisine coréenne et marocaine. Après plusieurs expériences à la télévision, elle s’est rendu compte qu’elle préférait les plateformes en ligne, là où tout a commencé pour elle.

«Je penche pour tout ce qui est digital, parce que je comprends le pouvoir des réseaux sociaux, qui éliminent fondamentalement tout intermédiaire», a-t-elle expliqué. L’épouse et mère de famille décide de prendre une année sabbatique pour se consacrer à sa passion. «J’avais plein d’idées et pendant cette année-là, j’ai lancé mon entreprise, une agence de marketing digital orientée vers le secteur alimentaire», se souvient-elle fièrement.

Son entreprise s’est axée sur le domaine de la cuisine, entre branding, stratégie, création de contenu et tout ce qui se rapporte à la présence numérique des entreprises du secteur.

L’IA et la cuisine marocaine

Mais avec l’émergence de l’intelligence artificielle (IA), Alia a dû capitaliser sur ses compétences en affaires et en cuisine pour s’investir dans une nouvelle dimension. En février 2023, crée le premier livre de recettes marocaines utilisant l’IA. Intitulé «Spice and Machine : 10 Moroccan Recipes Born from Artificial Intelligence», l’ouvrage a été présenté en Arabie saoudite, en octobre de la même année.

«Nous avons demandé à ChatGPT de créer des recettes marocaines uniques, nous en avons sélectionné dix et les avons testées. Elles étaient incroyables», nous affirme-t-elle. Originaux et créatifs, les mets se déclinent en gâteau au thé à la menthe, en quiche harira, entre autres. Alia et son équipe ont récemment publié un autre opus, qui propose des conseils sur la façon d’inciter ChatGPT à générer des images du registre culinaire.

Comme la cuisine marocaine coule dans ses veines, Alia a créé «Flavors of Morocco», une école en ligne, qui enseigne la cuisine marocaine authentique avec l’aide de dadas.

«La cuisine marocaine se transmet de manière intergénérationnelle, de mère en fille, et non à travers l’école. Ces femmes ne documentent pas ces recettes par écrit.»

Alia Al Kasimi

Dada MalikaDada Malika

A ce jour, l’école propose 150 cours dispensés par les dadas, avec des démonstrations détaillées, des vidéos et des photos inédites. Ces séances sont dispensées en anglais pour répondre aux besoins des fidèles abonnés d’Alia, des amateurs de cuisine anglophones qui, en raison de la barrière linguistique, ne peuvent pas accéder aux ressources locales.

«Les Marocains peuvent toujours appeler leurs parents ou aller sur YouTube, mais que peuvent faire les autres, pour apprendre la cuisine marocaine authentique ? C’est pourquoi, nous documentons le patrimoine culinaire ancestral, même visuellement, avec des vidéos», explique Alia.

En plus de l’école de cuisine en ligne, Alia, à travers Flavors of Morocco, crée la première influenceuse dada en IA : Dada Malika. «Elle enseignera la cuisine marocaine en portant des vêtements traditionnels», a déclaré l’entrepreneuse, désormais installée à Lisbonne (Portugal).





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