Avant de devenir l’un des Sept Saints de Marrakech, Sidi Mohamed Ben Slimane Al Jazouli a fondé la Zaouia Jazoulia. Celle-ci mène par la suite plusieurs guerres contre les Portugais installés sur les côtes marocaines depuis 1415.
Nous sommes en 1269. Les Mérinides, dynastie amazighe du Nord du Maroc, viennent de renverser les Almohades et s’emparent de Marrakech. Mais la peste noire au 14ème siècle, la naissance des Wattassides puis les guerres fratricides provoqueront le déclin de cette dynastie née sur les côtes du Rif.
Une anarchie qui profitera au roi Henri III de Castille et au roi Jean Ier du Portugal. Ainsi, le premier s’empare de Tétouan en 1399 massacrant au passage la moitié de la population de la ville. Le deuxième occupe Ceuta dès 1415 et l’Îlot Persil (ou Perejil), connu au Maroc sous le nom de l’Île de Leila, annonçant ainsi le début d’une première conquête des Européens.
Cette période s’illustre aussi par la naissance de la Zaouia Jazoulia, fondée à Safi par Sidi Mohamed Ben Slimane Al Jazouli. Né vers 807 de l’hégire, soit vers 1404 à Gzoula, ce dernier n’est pas un inconnu des Marocains. Il est en effet l’un des célèbres Sept saints de la ville ocre et dispose d’un marabout au cœur de Marrakech.
A l’origine d’une «milice monastique antichrétienne»
Son histoire commence, comme le raconte plusieurs historiens marocains, lorsqu’il quitte sa région natale, Souss, pour se rendre à Fès. Etudiant à la prestigieuse université Al Quaraouiyine, il deviendra vite l’un des érudits de son époque avant de se démarquer en devenant l’un des savants disposant de disciples dans presque tout le royaume. Ainsi, il fonde la Zaouia Jazoulia, qui emprunte une nouvelle voie soufie et s’inspire du Cheikh Ahmed Zerouk, plus connu sous le nom d’Ahmed Bernoussi al Fassi (mort en 1445), à l’origine de la zaouia contemporaine portant son nom et sa tariqa Zaroukia.
La cité portugaise à El Jadida. / DR
Après plusieurs années passées à Fès, Sidi Mohamed Ben Slimane Al Jazouli se dirige vers Marrakech, El Jadida et Safi. Peu d’informations existent sur les dates de ses déplacements ou sur son ouvrage «Dala’il Al Khayrat» (Répertoire des Biens). «Lorsqu’il arrivera à Safi, sa tariqa est d’ores et déjà célèbre et répandue au Maroc et à l’étranger. Elle remplace même la tariqa Chadiliya et donnera naissance à plusieurs autres formes de soufisme», rapporte Mohamed Janbouni dans «Les Savants du Maroc».
Les Marocains commencent donc à lui rendre visite à Safi et à adhérer à sa Zaouia. Mohamed Janbouni rapporte aussi comment Mohamed Ben Slimane Al Jazouli a réussi, à son époque, à «donner un nouveau souffle aux tariqas et surpasser ce qui existaient comme structures politiques et religieuses». Ainsi, l’érudit commence à s’intéresser au vécu des Marocains, mettant en avant l’échec des dirigeants Mérinides à défendre les côtes marocaines, occupées par les Portugais. Il sera ainsi considéré comme «le premier à ouvrir sa tariqa pour accueillir la résistance armée et populaire de façon collective et spontanée au Maroc». Un fait historique souligné également par Louis Massignon dans «Le Maroc dans les premières années du 16ème siècle» (Editions Alger, 1906). Celui-ci indique que «sous Mohammed Al Jazouli, (…) une véritable milice monastique antichrétienne» se formera dès 1440.
Mais de l’autre côté du Maroc, les Portugais continueront leur invasion malgré la résistance. Ainsi, Lopes David rapporte dans son article «Les Portugais au Maroc» (Revue d’histoire moderne, tome 14 n°39, 1939) que les Lusitaniens occuperont Ksar Sghir dès 1458, lançant ainsi une vaste opération de construction de forteresses sur le sol marocain. Ils s’empareront d’Assilah en 1471 en mettant en place, à Safi, la même année, une forteresse avant de transformer la ville en vassale du Portugal.
Les 7 tours de Bab Doukkala à Marrakech en hommage aux Sept Saints. / Ph. DR
Un sanctuaire à Marrakech construit par les Saadiens
En 1497, ils construiront une forteresse au Nord de Massa, dans l’emplacement actuelle de la ville d’Agadir, puis la forteresse de Casteo-Real à Mogador en 1506. Mais cette expansion sera retardée par l’intensification de la résistance menée par les héritiers de la Zaouia Jazoulia. En effet, après ses positions sur la résistance face aux occupants et sa dénonciation du pouvoir des Mérinides, Sidi Mohamed Ben Slimane Al Jazouli tombe en disgrâce et irritera les autorités de la ville de Safi. Celles-ci tenteront même de l’exiler vers une autre ville. Il finira par retourner à Gzoula où il décède vers 1466.
La conquête des côtes marocaines par les Portugais se heurte également à l’installation des Wattassides dès 1472 qui remplaceront leurs cousins les Mérinides, puis la montée en puissance d’une nouvelle dynastie venue du Sud du Maroc. A Tagmadert, au cœur de la vallée de Drâa, les Saadiens deviendront des princes d’un district qui s’étend sur le Souss, le Tafilalet et la vallée dès 1509. Leur chef historique et fondateur de la dynastie, Abou Abdallah Al-Qaim, membre également de la Zaouia Jazoulia, décide dès août 1511 de mener la guerre aux Portugais. Mais ce n’est qu’en 1525 qu’il parvient à reprendre Mogador.
Le sanctuaire d’Al Jazouli à Marrakech. / DR
Occupés par les guerres menées contre les Wattassides, les Saadiens ne reprendront leur «croisade» qu’en 1541 en chassant les Portugais de plusieurs villes comme Santa Cruz (Agadir) et Azemmour. Ils finissent aussi par chasser les Wattassides en 1554 et règnent sur l’ensemble du Maroc avant d’étendre leur empire jusqu’à Tombouctou.
La reconnaissance des Saadiens envers Sidi Mohamed Ben Slimane Al Jazouli s’illustrera avec l’arrivée au pouvoir d’Ahmed Al Araj (1517- 1544). En 1523, ce sultan saadien décide d’exhausser le vœu de son père Abou Abdallah Al Qaim qui lui aurait confié la mission d’accorder à Al Jazouli, inhumé à Gzoula, la place qu’il mérite. La dépouille de Sidi Mohammed Al Jazouli sera alors transférée à Marrakech où le sultan saadien lui construit, à Ryad Laarouss soit la partie nord de la ville ocre, un sanctuaire. L’érudit devient ainsi l’un des saints de Marrakech. Son sanctuaire sera par la suite réaménagé par les sultans alaouites Moulay Ismail et Moulay Mohammed Ben Abdellah.