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Al-Hajari, l’Andalou à la rescousse des musulmans d’Espagne


Andalou de confession musulmane, Chihab Din Ahmad ibn Qasim Al-Hajari Al-Andalusi pousse son premier cri vers 1570 dans le village d’Al-Hajari, aux alentours de Grenade, explique Mohamad Ballan, doctorant à l’université de Chicago spécialisé dans l’histoire islamique et médiévale. Al-Hajari passe la majeure partie de sa jeunesse dans les environs de cette ville, qui donna son nom à la capitale du dernier royaume musulman de la péninsule ibérique.

Le jeune homme est un Morisque, du nom de ces musulmans d’Espagne convertis au catholicisme entre 1499, date des premières campagnes de conversions massives à Grenade, et 1526, suite au décret d’expulsion des musulmans de la couronne d’Aragon.

Pendant un long séjour à Marrakech entre 1598 et 1636, Al-Hajari entre au service de Moulay Zaydan, sultan de la dynastie saadienne, en tant que traducteur et secrétaire. Il entreprend dans ce cadre un grand voyage en Europe, en France et aux Pays-Bas, entre 1609 et 1611. En fait, il s’agit de visites d’ordre diplomatique sur injonction de la dynastie arabe chérifienne des Saadiens, qui régna sur le Maroc entre 1549 et 1660, raconte Mohamad Ballan. Sa mission ? Sécuriser les biens et la richesse confisqués aux Morisques lors de leur expulsion d’Espagne. Al-Hajari, «témoin exceptionnel de l’expulsion des Morisques d’Espagne», selon l’Opinion, se forge de solides compétences linguistiques en espagnol et en portugais en plus de l’arabe, sa langue maternelle, ce qui lui vaut d’être sélectionné pour traduire les «Livres principaux du Sacromonte» vers 1588, du nom de ce quartier traditionnel de Grenade.

«Al-Hajari a appris dans l’entourage des émissaires français, l’existence d’un tribunal à Bordeaux pour juger les affaires des Morisques. On avait loué le service des armateurs français en 1609 lorsque Philipe III d’Espagne décide l’expulsion des Morisques mais ces derniers furent pillés par les capitaines de navire. En 1611, il y eut proposition du sultan Moulay Zydane de constituer une délégation pour aller défendre les intérêts des Morisques qui avaient été dépouillés de leurs biens par les armateurs français», poursuit l’Opinion, citant les travaux de recherche d’Abdelmajid Kaddouri, professeur-chercheur doyen de la Faculté de lettres de Ben Msik.

Des carnets de voyage riches en descriptions

L’ouvrage dans lequel son voyage est retracé a donné lieu à un titre narguant : «al-Din ‘ala al-Qawm al-Kafirin». Comprendre : «Faire de la foi une victoire contre les mécréants». Son carnet de voyage compile des détails particulièrement intéressants ; des échanges personnels et des observations pertinentes signées de la main d’un voyageur musulman chevronné en terre européenne au début du XVIIe siècle. La majeure partie des textes se concentre sur l’auteur, qui décrit ses échanges théologiques et ses différends polémiques avec les érudits chrétiens et juifs qu’il rencontre en France et aux Pays-Bas, note également Mohamad Ballan.

Fasciné, il pose sur ses pays hôtes un regard nouveau ; celui de l’étranger en terre inconnue. Il écrit : «Lorsque nous avons atteint la ville d’Amsterdam, j’ai été impressionné par la façon dont elle était bien construite, bien organisée et combien elle était peuplée. C’était presque aussi grand que Paris en France. C’est aussi la ville qui compte le plus grand nombre de navires au monde. Chacune des maisons était élégamment peinte et ornée de couleurs vives de haut en bas. Chacune différait de la suivante dans sa forme et son style, et elles étaient toutes ornées de pierres. J’ai rencontré beaucoup de ceux qui ont vu les terres de l’Est, les terres des Slaves, de Rome et d’autres pays, et ils m’ont dit qu’aucun de ces pays ne possédait de maisons si bien décorées.» «Chihab fut très épaté par son séjour en Hollande où il est reçu par le plus grand arabisant, un professeur qui enseignait la théologie à l’université de Leyde. Il l’a aidé à écrire le premier livre de grammaire arabe», relève l’Opinion.

…qui suscitent la réflexion

Al-Hajari pousse la description plus loin encore, confinant à la réflexion : «Les Pays-Bas se composent de dix-sept provinces, toutes régies par le roi d’Espagne. Sur ces territoires est apparu le grand savant qu’ils appellent Lutrī [Martin Luther, 1483-1546] et un autre appelé Qalbin [John Calvin, 1509-1564]. Chacun d’eux écrivit son opinion sur la façon dont les éléments du christianisme avaient été déformés et n’avaient rien à voir avec la religion proclamée par Notre-Seigneur Jésus et les Evangiles, et sur la manière dont les Papes à Rome confondaient délibérément les gens en imposant le culte des idoles et en introduisant des innovations dans la foi, comme interdire aux prêtres de se marier, entre autres choses.»

«Les gens du Royaume d’Angleterre, ainsi que beaucoup en France, suivent aussi cette école de pensée. Leurs savants religieux les ont constamment prévenus contre le pape, leur interdisant d’adorer les idoles et de nourrir de la haine contre les musulmans, car ces derniers étaient considérés comme l’épée de Dieu sur Terre contre les idoles-adorateurs [les catholiques]. Par conséquent, ils sont plutôt favorables aux musulmans.»

En raison de l’absence de sources, on ne saurait dire où et comment Al-Hajari a passé le reste de sa vie. Ce qui est certain, c’est qu’il s’éteint vers 1638-1639 alors qu’il travaillait dans la production de poudre à canon, conclut le doctorant Mohamad Ballan. Reste que les travaux de cet érudit, traducteur et inlassable voyageur demeurent une source d’information importante pour le monde islamique.





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