Lui, c’est Ahmed Hantout, Marocain. Elle, c’est Erna Else Hildegard Seidel, Allemande. Si leur histoire d’amour diffère certainement de celle de Roméo et Juliette, on y retrouve sacrifice et dévouement.
Ahmed Hantout est né en 1905 à Tanger. Fils de Cherif Mohamed Ben Mohamed Hantout et de Cherifa Fatoma ben Ismaël, tous deux appartenant à une famille religieuse, il fait des études à la medrassa et quelques cours d’espagnol et de français avant de se lancer dans une aventure qui l’amène en Europe où il rencontrera Erna Else Hildegard Seidel, une belle Allemande née à Berlin le 3 août 1911.
Ahmed Hantout faisait en fait partie de la troupe de cirques qui sillonnaient à l’époque toute les capitales européennes. «En 1923, il est en Europe et y reste pendant 16 ans. C’est comme ça qu’il a connu ma grand-mère, au début des années 30», nous raconte Karim Benzakour, petit-fils du côté maternel d’Ahmed et Erna.
C’est ainsi à Berlin, au début des années 1930, qu’une histoire d’amour réunira Ahmed et Erna, à une époque où l’Allemagne, sous les Nazis, se préparaient pour lancer une chasse à l’homme contre les couples mixtes, les Juifs et les homosexuels.
Car, c’est à partir de la deuxième moitié de 1933 que le parti nazi, comme d’autres services du gouvernement central allemand commençaient déjà les appels à l’interdiction du mariage et des relations sexuelles entre Juifs et non-Juifs. Connu dans l’histoire sous l’appellation Gleichschaltung, ce processus imposé aux Allemands ne s’achèvera qu’en septembre 1935 avec l’adoption des lois nazies dites de Nuremberg qui interdisaient officiellement le mariage mixte entre Allemands et étrangers.
Un amour qui résiste à l’idéologie dominante
Et c’est durant cette période qu’Ahmed et Erna, voyant leur amour menacé, profitent du déplacement du cirque vers Genève pour se rendre en Suisse et se marier secrètement. C’était le 12 septembre 1934 qu’Erna dit oui à Ahmed, renonçant même, au passage, à sa nationalité allemande pour concrétiser son union, et promettant à Ahmed un éternel amour, jusqu’à ce que la mort les sépare. Le couple se rendra ensuite à Paris, en France, où Erna deviendra une «protégée de l’Etat français en tant qu’indigène nord-africaine en 1935», nous raconte le petit fils du couple.
Un an plus tard, le couple accueillera son première enfant, puis un deuxième, dans une atmosphère tendue d’une Allemagne qui se transformait petit à petit en une dictature nazie. C’est finalement en 1938 qu’Erna et Ahmed décideront de rentrer au Maroc et s’installer d’abord à Tanger, sous contrôle d’une coalition internationale. «Ma mère est née à Tanger en 1939», nous raconte le petit fils de ce couple, affirmant que sa grand-mère perdra complètement sa nationalité allemande en 1944. «Je pense qu’elle avait dû faire cela pour obtenir un papier marocain car elle deviendra Marocaine et ne reviendra en Allemagne qu’entre 1966 ou 1967 pour rendre visite à sa mère mourante», ajoute-t-il. Erna n’assistera pas au décès de son père en 1958.
De plus, l’amour d’Erna et Ahmed subira aussi une épreuve pour la deuxième fois. En effet, en 1946, alors que Tanger est toujours une zone internationale, la France arrivant à la présidence tournante de la ville commence à soupçonner des familles tangéroises de faire de l’espionnage pour l’Allemagne. La petite famille d’Erna et Ahmed, entre autres, sera alors expulsée de Tanger vers Tétouan, qui était sous occupation de l’Espagne. «Mon petit oncle, aujourd’hui résidant à Boston, n’avait que deux mois. C’était un deuxième coup dur pour la famille. Et un an après, les familles étaient enfin autorisées à revenir à Tanger, ce que mon grand-père refusera», rapporte Karim Benzakour.
Jusqu’à ce que la mort les sépare
La famille avait pourtant vécu des débuts difficiles à Tétouan. «Ahmed Hantout s’est battu pendant quatre longues années, seul et face à la plus désastreuse des injustices, sans travail et sans l’aide de personne», selon un article paru dans Eco de Tetuan en 2010 et signé Habiba Hantout Seidel.
Mais le père de famille ne perdra jamais espoir. La chance sourira enfin à la petite famille, dans les années 50, lorsqu’Ahmed est nommé directeur de la réception du nouvel hôtel Dersa par le propriétaire lui-même, Bulaix Baeza. C’est aussi dans les années 50 qu’Ahmed Hantout deviendra l’auteur du premier «Guide touristique de Tétouan» et fondera la première «Agence de voyages de Tétouan», alors que la zone est toujours sous protectorat espagnol.
Acrobate durant ses années en Europe, passionné des voyages lors de ses retours au Maroc et autodidacte, Ahmed Hantout parlait neuf langues en plus du berbère, bien que n’étant pas d’origine amazighe, nous raconte son petit-fils.
Ahmed et Erna devant un cirque. / Ph. Karim Benzakour
Pour son petit-fils, «il y a certes des parties méconnues de l’histoire». Une chose est sûre : Ahmed était tout aussi «attaché à sa femme» à une époque où l’attachement d’une femme à son mari était la seule norme. «Il était fidèle et totalement dévoué à sa femme jusqu’à sa mort».
Et c’est effectivement la mort qui les séparera, car Ahmed décède en 1985 à Tétouan alors qu’Erna vivra jusqu’en 1997, transmettant son amour pour Ahmed à leurs cinq enfants et les nombreux petits-enfants. Celle qui est née Allemande restera jusqu’à son dernier souffle Marocaine, pour être inhumée aux côtés son mari, à Tétouan, pour l’éternité.