«Le dossier sera prêt pour être débattu durant la prochaine audience, rendez-vous donc le 30 septembre. Veuillez vous assurez, s’il vous plaît, de la présence de toutes les parties civiles»

Les victimes étaient obligées d’arnaquer des internautes en ligne, en créant de faux profils sur les réseaux sociaux, et en incitant des personnes à investir dans des cryptomonnaies pour ensuite leur dérober leur argent
C’est par cette phrase que le magistrat Ali Torchi a clôturé la 5e audience de l’affaire Myanmar, une audience éclair qui n’a pas duré plus de dix minutes. La cause est toujours la même: des parties civiles ne se sont pas encore présentées devant la chambre des crimes financiers et économiques près la cour d’appel de Casablanca, jeudi 11 septembre 2025.
Au cœur d’une forêt, forcé à travailler 18 heures par jour
Les absences répétées et les multiples reports exacerbent l’impatience de certaines familles. Un père venu de Marrakech, dont le fils est victime dans cette affaire, confie que ces ajournements pèsent sur lui: le kidnapping de son enfant a été une épreuve difficile, et la lenteur de la procédure ne fait qu’accentuer sa douleur. «Je n’ai même pas les mots pour vous décrire la souffrance que j’ai vécue», nous livre-t-il avant le début de l’audience, la voix nouée et le regard fuyant. «Mes mains et mes pieds tremblaient sans cesse, je pensais que j’allais devenir fou».
Le chagrin de ce père tient à ce qu’a vécu son fils. Attiré par une fausse offre d’emploi promettant un salaire de 30.000 dirhams en Thaïlande, dans le secteur du e‑commerce, au sein d’une entreprise présumée appartenir à un Marocain, il finira entre les mains de mafieux chinois, contraint au travail forcé et subissant différentes formes de torture.
Séduit par cette opportunité de travail, il quitte son Marrakech natal pour parcourir plus de 11.000 kilomètres, en quête d’une vie meilleure. L’entreprise prend en charge les frais de voyage et, grâce à un intermédiaire d’origine chinoise, obtient en 24 heures un visa pour la Thaïlande via son ambassade à Kuala Lumpur, en Malaisie.
Mais plutôt que de travailler dans cette entreprise qui n’était qu’un mirage, le jeune homme, âgé de 23 ans et absent de l’audience de jeudi pour des raisons de santé –son père souhaitait présenter un certificat médical attestant de son état– a été victime d’un réseau de trafic d’êtres humains aux ramifications internationales.
Le Marrakchi a été conduit dans un centre d’arnaques en ligne (scam compound) au Myanmar (ex Birmanie) – d’où le nom attribué médiatiquement à cette affaire – pays frontalier au Thaïlande en proie à une sanglante guerre civile entre groupes ethniques armés.
Le scam compound était niché au cœur d’une forêt. Des hommes armés se tenaient à ses portes et il était entouré d’un grand mur clôturé par une barrière de fer. Le jeune homme a été fouillé avant l’entrée puis a été conduit à sa résidence, une chambre de «taille moyenne qui contient un ensemble de lits entassés».
C’est là qu’il rencontre le Marocain, propriétaire de l’entreprise d’e-commerce inexistante. Accompagné d’un ressortissant libanais surnommé «Gabby», celui-ci informe le Marrakchi qu’il est destiné à arnaquer des internautes en ligne, en créant de faux profils sur les réseaux sociaux et en incitant des personnes à investir dans des cryptomonnaies pour ensuite leur dérober leur argent.
Il est contraint de travailler jusqu’à 18 heures par jour et subira des tortures lorsqu’il refuse d’exécuter les ordres des ténors du centre.
Un cadre juridique balbutiant
«Ali Torchi est un magistrat expérimenté. Il pourra démarrer le débat sur le fond du dossier sans la présence des parties civiles, comme il peut recourir à la force publique pour les faire comparaître», dit un avocat de la défense à L’Economiste. «En tous cas, le dossier sera débattu lors de la prochaine audience», a-t-il ajouté.
Après la fin de l’audience, le père de la victime s’est tenu face à l’entrée de la salle n°8, l’air perdu.
– Combien de temps faut-il pour que la cour rende son verdict dans ce genre d’affaires, interroge-t-il.
– Ce genre d’affaires est sans précédent et les chefs d’accusations sont rarement joints dans la même procédure. La pratique judiciaire de la loi contre la traite humaine est encore balbutiante vu qu’elle date de 2016, lui a-t-on répondu.
– Déçu, il rétorque: en tout cas, le plus dur est déjà passé.
Des dizaines d’années de prison
Le Marocain, faux chef d’entreprise, aurait torturé l’un de ses concitoyens en le frappant avec une épaisse corde mouillée. Il compte parmi les quatre accusées dans cette tentaculaire affaire de traite d’humains aux ramifications internationales. Ils sont poursuivis pour trafic d’êtres humains, commis par le recours à l’épreuve de violences volontaires, de torture, de sévices et de séquestration, perpétrés par une organisation criminelle opérant dans un cadre transnational.
Un autre accusé est aussi poursuivi pour viol. Ils risquent tous des dizaines d’années de prison si la cour confirme ces accusations.
A.O.
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