Avant de devenir l’un des Sept Saints de Marrakech, Sidi Abdellah Ben Oujal El Ghazouani était avant tout connu pour son amour pour le jardinage, le forage de puits et de chenaux. Dit «Moul El Ksour», en allusion au quartier de Marrakech qui porte depuis son nom, il mène une vie entre Fès et la ville ocre à une époque où la dynastie wattasside est en déclin.
Originaire de la tribu Ghazouane à Chaouia, il est né à Ksar El Kébir où il apprendra à lire et à écrire avant de se rendre d’abord à Fès puis à Grenade pour rencontre le Cheikh Abou Al Hassane Ali Saleh Al Andaloussi. Ce dernier, de retour à Fès, est suivi par le jeune El Ghazouani pour apprendre le coran et la science. L’érudit restera au service de la zaouia de ce cheikh pendant quelques années avant d’être autorisée à se rendre à Marrakech
Dans la ville ocre, El Ghazouani deviendra le disciple de Sidi Abdelaziz Tebaa. Selon le récit rapporté dans «Al Motrib Bi Machahir Al Maghrib» du Cheikh Abdellah Ben Abdelkader Talidi, le maître confiera à son disciple les missions de transporter du bois de chauffage à la zaouia et de s’occuper du bétail. «Plus tard, El Ghazouani se chargera surtout des jardins de la zaouia. Il y passera dix ans de sa vie», poursuit-il.
Emprisonné à Fès par les Wattassides
Il sera enfin autorisé par son cheikh à quitter Marrakech et se rendre dans sa région de Ksar El Kébir. A El Habat, El Ghazouani construit une première zaouia puis une deuxième à Ben Yedder, à proximité des tribus jbalas. Sa réputation et son enseignement basé sur la tariqa Chadiliya Tebbaaiya le rendent ainsi célèbre, ce qui ne manque pas d’attirer l’attention des serviteurs d’Abou Abdellah Mohamed Ben Cheikh Al Wattassi. Selon un article de Jamal Bami paru dans la revue Oloum wa Omran, le sultan wattasside ordonnera ainsi l’arrestation d’Abdellah El Ghazouani, alors que ce dernier se dirige vers Marrakech.
L’érudit est alors «enchaîné» et transféré à Fès où il est emprisonné. Ce n’est que grâce à des récits «mythiques» rapportés par ses geôliers et après s’être assuré que le disciple d’Abdelaziz Tebbaa n’a aucune prétention au trône wattasside que le sultan décide de libérer El Ghazouani. Il lui présente ses excuses et l’exhorte de rester à Fès. A Bab Ftouh, l’amoureux du jardinage construit une nouvelle zaouia qui abritera par la suite la tombe de son disciple Abou Abdellah Mohamed Ben Ali Ben Talib.
La zaouia d’Abdellah El Ghazouani de l’intérieur. / Ph. DR
Oloum wa Omran rapporte aussi que les relations entre le sultan et l’érudit ne seront jamais au beau fixe. Ainsi, appelé par les habitants à construire un chenal, Abdellah El Ghazouani se heurte au prince Annassir, frère du sultan qui s’en plaindra auprès de ce dernier.
El Ghazouani, fâché, quitte Fès après y avoir résidé pendant près de sept ans, prédisant alors que «son départ serait celui des wattassides». Une allusion faite à l’arrivée des Saadiens qui commençaient déjà à gagner du terrain. Cette version est également évoquée dans «Al Isstiqssa Fi Akhbar Al Maghrib Al Aqsa» (Editions Dar Al Kotob Al Ilmiyah, 2014).
Un personnage mythique au cœur de plusieurs légendes
A Marrakech, El Ghazouani construit alors une dernière zaouia au quartier El Ksour vers 926 de l’hégire (1519), où il transmettra à plusieurs disciples non seulement ses connaissances, l’interprétation du Coran, la science et le soufisme mais également l’amour du Prophète, de l’agriculture et du jardinage. Dans son ouvrage «Awliyae Fi Al Maghrib» (Les érudits au Maroc), Mohamed Jenboubi cite un ouvrage de Mohamed El Mazouni qui met en avant le «rôle économique d’El Ghazouani dans la région de Marrakech» au XVIe siècle, en mémoire aux puits et chenaux construits par la zaouia d’Abdellah El Ghazouani à Tamslouht et dans la région d’Al Haouz. Il se démarquera aussi par ses écrits où il fait appel à des termes marocains pour décrire le soufisme.
Après neuf ans passés à Marrakech à reconstruire sa zaouia et répandre sa tariqa, El Ghazouani décède vers 935 de l’hégire (1528) d’une crise cardiaque après avoir vu sa prophétie se réaliser. Dès 1524, les Saadiens deviennent en effet maîtres de Marrakech après avoir chassé les Wattassides. L’érudit est inhumé dans sa zaouia au quartier El Ksour de la ville ocre, à côté de la mosquée Mouassine.
La zaouia d’Abdellah El Ghazouani au quartier El Ksour à Marrakech. / Ph. Médi1Tv
Et comme tout saint de la ville ocre, plusieurs mythes autour de la personnalité d’El Ghazouani circulent depuis des siècles. Les plus célèbres sont relayés par Abdellah Ben Abdelkader Talidi. Alors qu’il était en prison à Fès, on raconte qu’Abdellah El Ghazouani, pourtant enchaîné, arrivait à se débarrasser des chaînes pour sortir la nuit errer dans les rues de Fès avant de revenir le matin, juste avant la première prière de la journée.
La légende raconte aussi que lors de la guerre entre Wattassides et Saadiens à Marrakech, une balle aurait touché l’érudit. Alors que ses compagnons pensaient qu’El Ghazouani décèdera de cette blessure fatale, ce dernier aurait sorti le bout de métal de sa djellaba, sans aucune trace de blessure. Abdellah El Ghazouani aurait même été capable de prédire le futur.